Jamais Sans Mon Masque

Sans port de masque généralisé nous ne vaincrons pas le coronavirus

#JamaisSansMonMasque

Nous sommes un groupe informel de médecins généralistes de terrain, au front depuis deux mois. Nous sommes investis de diverses manières, au-delà de nos cabinets, dans la lutte contre le coronavirus.

Ce message est un appel général à la communauté culturelle, scientifique, médiatique, et à toutes les personnes susceptible de relayer un message essentiel :
Pour bloquer drastiquement l’épidémie de covid 19, le port du masque généralisé est indispensable.

Nous alertons depuis mars sans vraiment de succès sur une évidence : le port de masque en population est crucial. Un groupe de travail de médecins généralistes a créé le site stop-postillons.fr, pour aider à l’auto fabrication et à l’information sur les masques. De très nombreux médecins relayent le message, mais nous avons besoin de voix puissantes.

Les pays qui maîtrisent cette épidémie, dont certains sans confinement, ont adopté le port du masque précocement, en particulier Hong Kong (7,5 millions d habitants, 4 décès avec la plus forte densité de population au monde dans un de ses quartiers, 130000 habitants au km2). Voyez ce qui s’est passé à Iéna en Allemagne : aucune contamination depuis que le masque est obligatoire !

L’heure n’est pas à constater des défaillances dans notre préparation, les incohérences, mais à l’efficacité dans la lutte contre le virus. Porter un masque.

Nous avons recherché des relais politiques, scientifiques, qui sont bien timides. La politique actuelle est d’imposer le masque uniquement dans les transports.
Ceci ne peut permettre de limiter la diffusion, qui s’opère particulièrement en lieux clos par des personnes qui ne se savent pas malades, la contagiosité des personnes commençant avant tout symptôme, en moyenne 2 jours avant de tomber malade.
Le masque protège l’autre et celui qui le porte. Il est un facteur majeur de lutte contre l’épidémie et sa progression en population. Porter un masque nous protège.

Les mesures du plan de déconfinement n’ont pas de sens sans port généralisé du masque en population et nous courrons à la catastrophe. Le traçage et les enquêtes ainsi que les tests ne pourront suivre le nombre de cas quotidiens de nouvelles contaminations et s’avèrent d’emblée inefficaces sans un coup d’arrêt aux principales sources de contamination. Portons un masque.

Nous souhaitons monter une opération de communication permettant d’inciter fortement le port du masque en population sur la base du volontariat. Il nous semble que la responsabilisation individuelle doit être essayée avant la coercition, qu’il est urgent d’informer et de préconiser à grande échelle.

Nous faisons appel à toutes les bonnes volontés qui peuvent être entendues pour changer le cours des événements.
Nous sommes disponibles pour toute information scientifique en cas de doute sur cette information. Il est urgent de faire et de préconiser ce qui est indispensable.

ACTION
Nous demandons à toute personne souhaitant soutenir cette communication de relayer ce projet dans son réseau de relations.

Objectif : à partir de Dimanche 10 mai à 20h : publier massivement sur les réseaux sociaux Instagram, Twitter, Facebook un selfie masqué accompagné du texte suivant :
Sans port de masque généralisé nous ne vaincrons pas le coronavirus
Quand je mets mon masque, je te protège et je me protège.
#JamaisSansMonMasque

Merci de votre aide
Collectif médical 22
Collectif Stop-Postillons
Marraine de l’opération Estelle Denis.

L’INCa et le quotient magique

Le Tricheur à l’as de carreau – Georges de La Tour vers 1636-1638

L’institut National du Cancer (INCa) est passé maître dans l’art de la communication, nous avions eu l’occasion d’en parler à diverses reprises. Les études épidémiologiques, les longs rapports documentés c’est bien, mais pour la comm ça ne marche pas. Surtout quand il s’agit de dépistage, quand il s’agit d’inciter des femmes à se faire dépister régulièrement le cancer avec des examens comme des mammographies ou des frottis. Nous les mecs on a même plus besoin de se faire doser les PSA. Plus besoin de flipper une fois par an en attente d’un résultat de prise de sang inquiétant. Mais pour les femmes c’est autre chose. Entre 50 et 65 ans par exemple, si tu suis les recos, entre mammo, frottis et recherche de sang dans les selles, ça te fait un dépistage et demi par an en moyenne. Tous les 9 mois. Autant d’occasions d’examens pas tordants, d’attentes de résultats angoissants, etc. On peut comprendre qu’il y ait des réticences. À l’INCa ile le savent bien et c’est pour sûrement pour ça qu’ils ont mis au point la technique du quotient magique et des nombres sortis du chapeau. Pour créer de la motivation.

On se souvient (et si on ne se souvient pas on peut regarder ici) de la célèbre affirmation à propos du cancer du sein : “s’il est détecté tôt, ce cancer peut-être guéri dans 9 cas sur 10”. C’était le quotient magique du cancer du sien, repris à l’époque par tous les promoteurs du dépistage. C’est tellement beau 9/10. On ne peut pas lutter. Mais, cette comm caricaturale ayant été maintes fois dénoncée, notamment par Cancer Rose, L’INCa avait fini par la modifier. Chassez le naturel comme on dit, il revient en vidéo. Et cette fois pour une autre (bonne) cause, celle de la promotion du tout nouveau programme de Dépistage Organisé du Cancer du Col de l’Utérus (DOCCU).

Je ne demande qu’à les croire à l’INCa et je suis sûr que toutes les femmes de 25 à 65 ans auxquelles ils s’adressent ne demandent qu’à les croire également. L’efficacité de ce dépistage est fantastique. Trumpienne. Aucun inconvénient et en plus ça gagne 9 fois sur 10. Le problème c’est qu’en médecine une intervention qui gagne 9 fois sur 10 en ayant aucun effet indésirable c’est très très rare. Tiens ça me fait le même effet que dans les tests de lecture Prescrire, quand ils te demandent : « chez les patients en état d’agitation aiguë, quand un médicament psychotrope semble justifié, la forme injectable est toujours à privilégier. Vrai ou faux ? », tu sais tout de suite que c’est faux même si tu ne connais pas le sujet parce que les toujours ou les jamais, en médecine ça n’existe pas. Et « 9 fois sur 10 » c’est presque toujours. Trop beau pour être vrai.

Remontons aux sources

De magique le quotient devenant suspect, je l’ai mis en examen. Deux documents sont à la base de tout l’édifice du DOCCU. Le premier a été établi par l’HAS en 2010 et ne comporte pas moins de 235 pages, il s’intitule : État des lieux et recommandations pour le dépistage du cancer du col de l’utérus. Soutenu par une vaste bibliographie, il sert de principale référence sur l’impact du dépistage à un autre document, l’étude médico économique phase 2 pour la Généralisation du dépistage du cancer du col de l’utérus. Celui-la date de 2016 et a été établi par sa majesté l’INCa. Il constitue l’analyse de référence pour la mise en place du DOCCU. C’est du dur. Si le quotient magique doit sortir d’un chapeau, c’est de celui-la. C’est obligé. Je me suis plongé dans les deux volumes et j’y ai appris beaucoup de choses.

Saviez-vous par exemple, comme l’écrit la HAS p. 48, qu’aucun essai clinique randomisé n’a jamais été conduit de manière à prouver l’intérêt du dépistage du cancer du col utérin mais qu’il (le dépistage) est reconnu dans tous les pays du monde comme étant un moyen de prévention efficace du cancer du col de l’utérus. Dur dur pour les fans de science exacte mais c’est comme ça. Et je ne crois pas qu’il y en aura jamais (des essais cliniques) parce qu’il y a assez d’études pour montrer que ce dépistage est utile et qu’il serait maintenant immoral de les conduire.  Conséquence : on ne chiffrera jamais avec précision l’intérêt du dépistage sur la mortalité par exemple. Sauf l’INCa bien sûr puisqu’ils ont le quotient magique.

Saviez-vous par exemple que la sensibilité du frottis est assez médiocre (la HAS, p. 48-49 dit “imparfaite”), quelque part entre 49 et 67% dans le cadre du dépistage. Et de ce fait les faux négatif sont importants. En clair, pour celles qui ne sont pas familières, si je fais un frottis de dépistage et que j’ai un cancer du col de l’utérus, j’ai entre 3 et 5 chances sur 10 pour qu’il ne soit pas détecté par ce frottis (1). Et pour celles qui ont été distraites, je rappelle ici le mantra de l’INCa : « Grâce au frottis, le cancer du col de l’utérus peut-être évité dans 9 cas sur 10 ». Détecter 9 fois sur 10 un cancer avec un test qui marche au mieux 7 fois sur 10 c’est fort. Magique même !

Saviez-vous qu’il peut y avoir des effets indésirables. Le geste peut être douloureux nous dit la HAS p. 50 (mais l’INCa dit le contraire dans sa vidéo et n’y parle pas d’effets indésirables) et surtout les conisations peuvent entraîner des hémorragies, des douleurs post opératoires sévères, des sténoses du col de l’utérus et des dysménorrhées (douleurs pendant les règles). A plus long terme on augmente le risque  d’accouchement prématuré (x2 environ), de faible poids de naissance et de césarienne. (Une conisation est une intervention chirurgicale qui consiste à tailler le col de l’utėrus en cône si des cellules cancéreuses y ont été retrouvées lors du frottis.)

Il existe également un risque de surdiagnostic (comme dans tout dépistage) mais il est non quantifié.

Comment en arrive-t-on à prévoir 30% de réduction d’incidence et de mortalité à 10 ans ?

On ne peut pas déterminer l’impact réel du dépistage sur l’incidence et la mortalité du cancer du col, soit. Aussi l’enjeu est-il d’essayer de comparer l’impact du dépistage organisé versus un dépistage individuel. On sait, même si le chiffre restera inconnu, que le dépistage individuel présente un bénéfice certain. Mais il y a énormément de facteurs qui entrent en jeu comme l’âge de la patiente, l’évolution des pratiques sexuelles, la vaccination anti HPV, l’évolution thérapeutique…et les études sont difficiles. L’objectif de la HAS et de l’INCa était de démontrer qu’avec la mise en place d’un dépistage organisé on allait sauver plus de vies à un coût acceptable qu’avec le dépistage individuel. Comme on ne peut pas comparer stricto sensu les deux formes de dépistage, on travaille sur des zones test (en Alsace notamment), des modélisations savantes avec des formules complexes. C’est le mieux que l’on puisse faire. Et on arrive à ceci (HAS p. 131) : la mise en place du dépistage organisé réduirait le nombre de cancers diagnostiqués de 16,1% et le nombre de décès dus à ce cancer de 19,5% par rapport à la situation de l’époque à savoir le dépistage individuel. C’était en 2010. 20% de gain. Environ 200 vies sauvées par an à l’échelle du pays (2).

En 2016, dans le chapitre Discussion et limites (p. 83 du rapport de l’INCa), on peut lire la synthèse de la modélisation de divers scénarios de dépistage (combinaisons variées de types de tests – frottis, test HPV, marquage p16/Ki67 et de délai entre les tests, de mix avec la vaccination anti HPV, etc.). Cela conduit, selon les scénarios, à une projection de réduction de l’incidence du cancer du col de l’utérus entre 20 et 45% et de sa mortalité entre 15 et 30%. Ce qui permet à l’INCa de conclure : ces chiffres suggèrent qu’il est possible d’atteindre l’objectif fixé par le Plan cancer 2014-2019 de réduction de l’incidence et du nombre de décès par cancer du col de l’utérus de 30% à 10 ans, quelle que soit la stratégie retenue.

On est assez courageux à l’INCa. L’objectif fixé par le plan c’est 30% de réduction de mortalité, ça correspond à notre fourchette haute, allez on y va. Ce sera 30%. Le chef sera content.

Comment en arrive-t-on à 80% de couverture de dépistage (contre 61,5% actuellement) ?

C’est sur la page internet de l’INCa décrivant le programme pour les professionnels de santé que nous découvrons ce chiffre. On nous dit : l’objectif de ce programme est de réduire l’incidence et le nombre de décès par cancer du col de l’utérus de 30% à 10 ans, en atteignant 80% de taux de couverture dans la population cible. Un nouveau nombre magique, 80% ? Ce taux de couverture qu’on nous sort du chapeau, je ne l’ai pas vu dans les rapports sus-cités. Aurais-je lu trop vite ? Heureusement ma tablette cherche plus vite que mes yeux et je retrouve une – une seule – phrase avec ce 80 %. C’est à la p. 14 du rapport de l’INCa, dans l’introduction et ça vient tout droit de l’objectif formulé par le Plan cancer 2014-2019. Ce dernier non seulement demandait à l’INCa un programme pour réduire à 10 ans l’incidence et les décès par cancer du col de l’utérus de 30%, mais fixait comme objectif un taux de couverture du dépistage dans la population cible à 80%. Bon joueur, l’INCa reprend texto les objectifs du départ. La boucle est bouclée. Pas besoin de démontrer un lien entre une couverture à 80% et une baisse de 30% des décès et de l’incidence vu que c’est ce qu’on doit atteindre. On va faire baisser l’incidence de 30% en augmentant la couverture à 80% parce que c’est l’objectif. Point. La vie est simple non ?

Mais alors me direz-vous et le 9 fois sur 10 il est où ?

Et bien nulle part dans ces lourds rapports. Uniquement dans la communication. L’information est la même, adaptée à sa cible. Quand l’INCa s’adresse aux professionnels de santé, le ton est sérieux, on admet qu’il y a peut-être une incertitude, le conditionnel est là : On considère pourtant qu’un dépistage régulier de toute la population-cible permettrait d’en réduire l’incidence de 90 %. Pas bête, Je ne dit pas que ça le fait, je dis que ça pourrait le faire.

Quand l’INCa s’adresse à la « population cible« , l’information garde le conditionnel : On estime que 90 % des cancers du col de l’utérus pourraient être évités avec un test de dépistage réalisé tous les 3 ans. Les termes sont évidemment moins techniques

Mais quand il faut communiquer fort avec la vidéo, les plaquettes, il n’y a plus aucun doute, ça marche : Grâce au frottis, le cancer du col de l’utérus peut-être évité dans 9 cas sur 10.

Pour le fun je me suis livré à un petit calcul, comme si tous ces chiffres étaient vrais Appliquons les 30% de réduction d’incidence et de décès aux chiffres actuels (source HAS : l’incidence est de 3000 cas par an et le nombre de décès de 1000, et ce avec un taux de couverture du dépistage individuel de 61,5%.). On passe alors, pour une amélioration de 20% du taux de couverture du dépistage (de 61,5%  à 80%), de 3000 à 2100 d’incidence et de 1000 à 700 décès (soit 300 décès de moins par an à 10 ans, c’est l’objectif !). Si on passait à 100% de couverture, donc 20% de plus, on aurait une réduction de 90% de l’incidence et des décès. Il n’y aurait plus que 300 cas de cancer par an et 100 décès. De 60 à 80% de taux de couverture on gagne 300 vies, de 80 à 100% on en gagne 600. Cherchez l’erreur !

Reste la vraie vie et ce que l’on dit aux femmes qui nous consultent. Que oui il semble bien établi que le dépistage améliore les chances de ne pas mourir du cancer du col de l’utérus. Que le nouveau test HPV sera plus simple, moins fréquent et plus efficace mais que, bien que recommandé après 30 ans, il n’est pas remboursé. Que si se faire examiner les gêne l’auto prélèvement arrive et les aidera. Que si on trouve quelque chose au test il faudra vérifier (souvent ce n’est rien) puis agir avec des conséquences pas toujours agréables mais souvent nécessaires. Qu’on ne peut pas leur garantir que ça marche 9 fois sur 10 comme on veut bien leur faire croire. Qu’il y a toujours des incertitudes et qu’elles doivent rester en alerte si des signes se manifestent. Que oui c’est chiant / angoissant / de devoir régulièrement vérifier qu’elles n’ont pas le cancer, etc. 

Et ça c’est pas l’INCa qui va nous aider à le faire, à trouver le ton et les mots justes, à entendre le non dit, à partager une information solide, pas magique.

 

(1) Avec la répétition des frottis cette faible sensibilité nous dit-on est en partie contournée. Par ailleurs on sait que le test HPV présente une meilleure sensibilité que le frottis (il y a plus de chance de détecter le cancer avec ce test). Mais il n’est pas remboursé par l’Assurance Maladie. L’INCa ne peut donc décemment pas le mettre comme référence dans le plan de dépistage organisé. Alors que la HAS elle même recommande dorénavant le test HPV à partir de 30 ans. Qui bougera en premier ?

(2) il meurt 290.000 femmes par an en France, juste pour situer l’importance du programme de dépistage organisé dans un contexte plus général.

Amgen sans gêne

Ils n’ont vraiment aucune pudeur ces laboratoires pharmaceutiques. Du moment que ça les arrange. C’est bien joli mais moi ça me dérange.

Une campagne de communication financée par AMGEN, laboratoire pharmaceutique producteur de l’evolocumab, un médicament anti cholestérol de nouvelle génération, nous assène depuis quelques jours des annonces vidéo qui m’agacent singulièrement. (Ces vidéos ne sont pas signées Amgen mais d’un obscur @Alliancecoeur dont le site Prenons le à coeur est © 2018 Amgen Inc. Ça va, la piste n’est pas difficile à remonter.)

Ces vidéos représentent une variante du disease mongering, cette pratique courante des laboratoires pharmaceutiques qui consiste à communiquer sur une définition de nouvelle maladie de manière à mieux vendre un traitement dont ils possèdent la propriété. Lisez @docdu16 pour une bonne compréhension du concept. La variante présentée ici consiste non pas à promouvoir une pathologie mais à promouvoir une cause de maladie : l’excès de cholestérol qui devient, sous la plume d’Amgen, un (le?) facteur de risque majeur d’accidents cardiaques et cérébraux.

Dénonciation de la campagne de Pfizer en 2003 dans la revue Prescrire

En 2003 une campagne similaire mais plus violente (dont l’illustration principal était le pied d’un cadavre dans une morgue) avait été dénoncée par les Docteurs Christian Lehmann et Martin Winckler ce qui avait valu à ce dernier d’être viré de France Inter grâce au lobbying du Leem

Décryptage de la communication

Comme toujours en ce domaine, il faut dire sans dire, suggérer sans affirmer. Le discours est inattaquable alors que ce qu’il laisse entendre est faux mais bien dans l’intérêt du sponsor cela va de soi.

Chacune des trois vidéos qui circulent “sponsorisées” sur Twitter est bâtie sur le même principe.Un scène pleine d’émotion soutenue par une expression forte (p. ex. “le coup de foudre”), le mot fort de cette expression étant ensuite reprise dans une formule choc (“120.000 français seront foudroyés cette année…”) le tout se terminant par l’annonce de l’infâme coupable, j’ai nommé l’excès de cholestérol. Bien sûr on ne précise pas que le “sponsor” fabrique un médicament anti cholestérol et encore moins que ce médicament est indiqué dans des situations particulièrement rares parce que ce n’est pas le but. Le but est que les gens fassent doser leur cholestérol, flippent et se fassent prescrire par la suite le médicament qui les délivrera du mal. Amgen sera au rendez-vous mais pas tout seul car il y a beaucoup d’autres médicaments vendus comme tels, c’est le risque de ce type de campagne. C’est aussi pour cela qu’il faut taper fort, très fort. En l’occurrence, ici on ne lésine pas : le cholestérol est rendu coupable de tous les accidents cardiaques et cérébraux ou presque. Voici comment.

Vidéo 1 / Au restaurant

  • image 1 : deux mains (d’un certain âge) s’entrelacent au-dessus d’une nappe
  • message 1 en superposition : En France on croit au coup de foudre
  • image 2 : la main de la femme lâche brutalement la main de l’homme (c’est un couple hétérosexuel), s’agrippe à la table, s’arrête de bouger.
  • message 2 en superposition : 120.000 français seront foudroyés par un infarctus cette année
  • message 3 plein écran sans cinéma :  L’excès de cholestérol : un facteur de risque majeur d’accidents cardiaques et cérébraux
  • message 4 plein écran sans cinéma : Le cholestérol, prenons le à cœur + adresse du site créé par Amgen pour la campagne.

La définition du dictionnaire est limpide : Foudroyer  Tuer quelqu’un brutalement (d’un coup de feu) : Une rafale de mitraillette l’a foudroyé sur le trottoir.

Si je dis que l’infarctus foudroie 120.000 personnes par an je dis bien l’infarctus tue 120.000 personnes par an. Il n’y a pas de doute. C’est ce qu’on entend. Je n’ai pas dit tué certes mais l’idée est claire. Je le dis sans le dire. Et voilà. (Vous noterez que j’ai légèrement modifié l’expression. Je n’ai pas dit 120.000 français mais 120.000 personnes. Et oui l’infarctus n’atteint pas que les français. Pourquoi Amgen parle de français et pas de personnes ? C’est extraordinairement bizarre mais je ne m’étendrai pas.)

Sur le site Santé Publique France (on ne fait pas plus officiel) l’infarctus tue 15.000 personnes par an (en 2013) contre 120.000 morts annoncés dans cette vidéo. Vous avez dit exagéré ?

Ajoutons, mais le lecteur l’avait remarqué, que bien qu’il y ait de nombreux (et globalement plus importants) facteurs de risque d’infarctus que le cholestérol, on ne parle que de lui. Que fait-on du tabac, de l’hypertension artérielle, du sexe, de l’âge, du diabète, de la sédentarité, de l’obésité, du stress, de la malbouffe, des antécédents familiaux et personnels de maladie coronaire, de l’insuffisance rénale chronique, et j’en oublie sûrement. Foutaises que tout cela. Le vrai, le seul ennemi du cœur et du cerveau, c’est le cholestérol. Circulez y’a rien à voir.

Ce n’est pourtant pas un fléau comme le montre ce tableau qui classe les facteurs de risque. Il arrive en 8ème position. Les autres facteurs sont beaucoup plus importants. Impossible d’évaluer son poids avec précision mais à la louche, en poussant fort, pour un 8ème rang max 10-15% des décès lui sont sans doute attribuables. Donc dans les 1500 à 2500 pour arrondir. On est un peu loin des 120.000 dites-voir.

Allez on passe aux autres vidéos. Ce sera plus court on a déjà dit l’essentiel. Ce qui est amusant ici c’est le décryptage verbal

Vidéo 2 / Danse avec du style

  • Image 1 : gens sympas qui dansent en musique
  • Message 1 en surimpression : En France on a le style dans le sang
  • Image 2 : gros plan sur des mains (dont une paralysée) appartenant à quelqu’un en fauteuil roulant
  • Message 2 : 150.000 français porteront les conséquences d’un AVC cette année
  • message 3 plein écran sans cinéma :  L’excès de cholestérol : un facteur de risque majeur d’accidents cardiaques et cérébraux
  • message 4 plein écran sans cinéma : Le cholestérol, prenons le à coeur + adresse du site créé par Amgen pour la campagne

Ici ce n’est plus le coup de foudre foudroyé mais c’est le sang qui va se répandre dans le cerveau. Ah l’imagination des publicitaires !

Sur les chiffres même principe : il y a 150.000 AVC en France par an, là pas de tricherie sur le nombre. Mais par contre même discussion pour les facteurs de risque. Le cholestérol ne peut être rendu responsable que d’une fraction modeste de ces AVC contrairement à ce que peut laisser penser cette vidéo.

Vidéo 3 / au Stade

  • image 1 : des supporters émus aux larmes devant la France qui joue
  • message 1 en surimpression : En France on aime le foot et ses attaques éclair (vous le sentez venir ?)
  • image 2 : un des ces supporters à la barbe blanche se tient tout à coup la poitrine de sa main droite en grimaçant
  • message 2 en surimpression : 270.000 français en seront victime cette année
  • message 3 plein écran sans cinéma :  L’excès de cholestérol : un facteur de risque majeur d’accidents cardiaques et cérébraux
  • message 4 plein écran sans cinéma : Le cholestérol, prenons le à coeur + adresse du site créé par Amgen pour la campagne

Là on fait très très fort dans le raccourci. On ne dit pas de quoi ces pauvres 270.000 français seront victimes chaque année (j’ai fait l’addition pour vous : 120.000 foudroyés par un infarctus + 150.000 qui portent les conséquences d’un AVC = 270.000. C’est sans doute cela). Et on enchaîne par le message 3 direct : l’excès de cholestérol, etc.Grosso modo 270.000 français seront victime du cholestérol quoi. Mais que fait Amgen ?

Et bien Amgen fait le site de la campagne où on peut oh merveille calculer son risque cardiovasculaire. Bien joué. Alors chers lecteurs, ne reculant devant rien pour la gloire de la science j’ai fait le test, mais en en rajoutant un max. Je suis hypertendu, fumeur, obèse, diabétique, j’ai trop de cholestérol, je ne fait pas d’activité physique et je bouffe comme un malade. Et oh surprise, voici ce que ,me conseille Amgen (en invoquant au passage la Haute Autorité de la Santé, bigre !)

Au regard des informations que vous nous avez fournies, vous semblez présenter un ou plusieurs facteurs de risque d’accident cardiaque ou cérébral. Sachez qu’il est recommandé par la Haute Autorité de Santé de faire un suivi régulier de son taux de cholestérol. Plus on a de facteurs de risque, plus on est exposé à faire un accident cardiaque ou cérébral. Leur contrôle réduit considérablement la probabilité de faire un accident. Vous pouvez pour cela contacter votre médecin

Je ne commenterai pas, ça commence à me fatiguer. Je préfère vous recommander de lire cet avis du CNGE qui résume admirablement le problème.

Parce que oui j’en ai ras le bol de ces conneries de campagnes débiles qui incrustent des idées fausses dans la tête des gens. Et après de ne plus pouvoir parler des vrais problèmes avec mes patients. De les amener sur les vrais sujets. De les aider / accompagner à faire les changements vraiments importants pour eux. De les aider à hiérarchiser. Bref ils me pourrissent la vie et n’arrangent pas celle de mes patients. Voilà je suis véner. Je voulais le dire. Ça me soulage.

« Jamais des granules n’ont empêché quiconque de bander »

Alors que l’entrée en bourse de son entreprise promet d’être retentissante, Les Rumeurs publie une interview exclusive et fracassante de Ferdinand Poireau, le Fondateur Dirigeant Principal Actionnaire des Laboratoires Poireau.

LR – Une croissance à deux chiffres depuis 10 ans, un bénéfice digne des GAFA, une capitalisation boursière qui pourrait atteindre le milliard d’euros dès la première cote, quels sont les ingrédients du succès des Laboratoires Poireau ?

FP – Notre succès tient en trois points très simples : un positionnement marketing en béton armé (le fonctionnement de nos médicaments repose sur de la croyance et non pas sur des faits scientifiques), un business model générant une rentabilité exceptionnelle (nous n’avons à financer ni R&D ni études de validation d’efficacité de nos médicaments) et enfin une culture d’entreprise, un ADN puissant qui assure une cohésion incroyable à la société. Investir aujourd’hui dans les Laboratoires Poireau c’est miser sur une tendance lourde : les croyances seront toujours plus fortes que les faits.

LR – Pouvez-vous détailler le fonctionnement de la croyance en vos médicaments ?

FP – la croyance en nos médicaments tient en trois points très simples : premièrement ils n’ont en soit aucun effet décelable, c’est le rite qui agit. Le rite de la dilution et du secouage qui rappelle l’alchimie et ses merveilleux secrets, le rite de la dénomination en latin qui évoque des liturgies anciennes, des imprécations sorties de grimoires inconnus, le rite des prises de médicaments avec ses horaires complexes, ses techniques précises (pour sortir les granules du tube par exemple), tout cela est étudié pour crėer une adhésion à l’homéopathie : une approche à la fois ésotérique et sophistiquée pour générer une croyance profonde. Deuxièmement nos médicaments soignent les gens. C’est du moins ce qu’ils croient. Si vous êtes malade, que vous prenez un médicament et que vous guérissez, vous serez convaincu que c’est grâce au médicament, même si ce n’est pas le cas. Prenez par exemple les maladies infantiles courantes. La plupart guérissent toutes seules. Et si vous les soignez avec de l’homéopathie, elles guérissent pareillement. Sauf que là c’est grâce à l’homéopathie. Il ya aura toujours des parents qui voudront soigner leurs enfants malades, qui ne se contenteront pas de surveiller et d’attendre la guérison. Le marché est inépuisable. Enfin, et c’est plus métaphysique, on y croit parce qu’on a envie d’y croire. On a envie de croire qu’il existe des remèdes qui ne sont pas les remèdes officiels mais qui marchent. On a envie de croire en autre chose. On préfère toujours David à Goliath. Ce n’est pas près de changer. Et croyez moi les équipes marketing des laboratoires Poireau sont au taquet sur ces sujets.

LR – vos médicaments n’ont aucun effet décelable ? Pouvez vous nous en dire plus

FP – Je vous répondrai en trois points. Tout d’abord aucune étude n’a montré une quelconque efficacité des médicaments homéopathiques sur le plan scientifique. Ce n’est pas grâce à une efficacité per se que nos médicaments agissent, c’est parce que les gens y croient, nous venons de le voir et parce qu’ils sont indiqués essentiellement pour des pathologies bénignes. Ensuite, et je dois à nos futurs actionnaires cette information capitale : le contenu de tous nos tubes est rigoureusement le même. Il y a bien longtemps que nos équipes méthode ont mis en place cette simplification considérable de nos processus, simplification sans conséquence sur l’efficacité des médicaments on l’aura bien compris, mais fondamentale sur la constitution de la valeur ajoutée de l’entreprise. Enfin, de très nombreux médicaments dit allopathiques n’ont aucune efficacité démontrée et cela ne les empêche pas d’être prescrits et consommés, je pense par exemple aux anti alzheimer qui viennent seulement d’être déremboursés alors qu’on sait de longue date qu’ils sont inefficaces. Et je ne parle pas de ceux qui sont inutilement prescrits en masse comme la vitamine D en prévention des fractures chez les personnes âgées ou les statines en prévention primaire. Il faut bien comprendre que ce n’est pas parce qu’un médicament est inutile ou inefficace qu’il ne peut pas générer de la valeur pour les actionnaires.

LR – A propos de déremboursement, une récente tribune dite des 124 s’est prononcée contre le remboursement des médicaments homéopathiques et a fait beaucoup parler d’elle. Une information inquiétante au moment d’entrer en bourse non ?

FP – Je voudrais rassurer nos actionnaires en trois points très nets. 1) les médicaments homéopathiques sont très bon marché, rien à voir avec par exemple certaines molécules anti cancer dont le prix exorbitant n’a d’égal que la faiblesse des effets. 2) La simplification de notre processus de fabrication nous permet d’envisager des baisses de coût que nous saurons répercuter sur le consommateur. Nous pourrons facilement absorber les 15 à 35% actuellement remboursés sans baisse de marge brute. 3) Enfin et surtout, sur le plan marketing cela constituerait une excellente opportunité : l’homéopathie déremboursée c’est la victoire de l’establishment sur les alternatives douces, c’est une raison de plus de croire en l’homéopathie, victime des lobbies de bigpharma bref c’est un encouragement à se positionner pour l’homéopathie, à la défendre. C’est quand une croyance est attaquée qu’elle retrouve toute sa vigueur.

LR – Pouvez-vous nous parler de vos projets d’investissements ?

FP – Nos projets d’investissements tiennent en un mot : marketing. De ce point de vue nous ne nous distinguons pas vraiment des laboratoires pharmaceutiques allopathiques, l’essentiel du budget de recherche et développement est un budget marketing. Mais l’avantage de l’homéopathie c’est qu’il ne s’agit que de marketing. Comme nos médicaments sont en fait tous le même et qu’il n’ont aucun effet, aucune recherche fondamentale n’est nécessaire pour en trouver de nouveaux, rien ne nous oblige à démontrer leur efficacité. Vous imaginez facilement l’économie considérable que cela représente. Nous pouvons ainsi investir massivement en marketing et nous le faisons selon 3 axes. Un axe produits, un axe communication consommateurs et un axe communication prescripteurs.

C’est principalement pour soutenir ce dernier axe que nous entrons en bourse aujourd’hui. En effet, les facultés de médecine comme toutes les autres sont en permanence à court de budget. Nous allons ainsi développer de très nombreux cofinancements d’actifs (amphithéâtres, bibliothèques…) en échange de l’apposition de notre marque sur l’actif financé. De cette manière le nom de Poireau sera aussi familier aux jeunes générations de médecins que celui de Pasteur, ainsi l’homéopathie figurera aux bases de la formation médicale, fera en quelque sorte partie des murs. Une excellente opportunité pour manipuler les esprits en formation. C’est un projet de long terme, ambitieux et porteur d’avenir.

En développement produit, nous avons dans les tuyaux un anti Alzheimer qui devrait faire date : l’encephalum generatum 9CH. Déjà le nom est très puissant mais surtout son mode de prise est très intéressant : il s’agit de prendre 5 granules toutes les 45 minutes lorsque le patient est éveillé les jours pairs, et toutes les une heure trente les jours impairs. Imaginez la présence de soin, la stimulation cognitive qui en découle, le sentiment de l’entourage de vraiment faire quelque chose, d’agir pour le bien être de leur proche. C’est quand même autre chose que de leur coller un patch de mémentine et d’aller au bureau non ?

LR – Et comment savez-vous que ce traitement marche

FP – C’est très simple, c’est comme pour tous nos nouveaux produits. Si les consommateurs l’achètent, s’il atteint ses objectifs de chiffre d’affaire et de marge brute alors on dit qu’il marche. Sinon on dit qu’il ne marche pas. Le marché sera notre juge de paix. Avouez que c’est autrement plus valide que toutes ces études bidonnées que bigpharma produit pour avoir ses autorisations de mise sur le marché.

LR – Que dites-vous aux détracteurs de l’homéopathie ?

FP – Et bien je leur dis trois choses. La science n’est non seulement pas venue à bout de la religion mais le 21ème siècle montre un retour en force des religions et des croyances de toutes sortes. Nous vivons une époque où la science tient une place immense et pourtant elle n’atténue pas le besoin de religion, de croyance. On ne peut pas briser une croyance puisque celle-ci ne repose pas sur des faits. Alors ils peuvent détracter autant qu’ils veulent, cela ne changera rien.

Ensuite je leur dit qu’ils commencent par balayer devant leur porte. Combien de mėdicaments allopathiques ont une efficacité nulle ou limitée mais des effets indésirables importants et sont prescrits en masse ? Prenez les soit-disant antidépresseurs. On sait très bien qu’ils ne guérissent pas la dépression et qu’ils permettent surtout de mieux supporter la situation en attendant qu’elle s’améliore toute seule. Mais au prix de nombreux effets secondaires comme par exemple des troubles de l’érection. Alors que vous pouvez prendre de l’homéopathie. Elle ne guérira pas non plus la dépression mais elle au moins n’entraînera pas d’effets secondaires. Jamais des granules n’ont empêché quiconque de bander. C’est d’ailleurs une des grandes forces de l’homéopathie : l’absence d’effets secondaires.

Et puis c’est bien joli la science, mais ça change tout le temps. Avant il fallait coucher les bébés sur le ventre, maintenant il faut les coucher sur le dos, avant il fallait mesure le PSA pour dépister le cancer de la prostate maintenant on pense que c’est une connerie, avant on posait des stents sur des angors stables, maintenant on pense que ce n’est pas plus efficace que certains médicaments (mais on continue de poser des stent), etc, etc. Alors qu’avec l’homéopathie rien n’a jamais changé. Ce qui était vrai il y a un siècle est vrai aujourd’hui. Quelle stabilité, quel repos pour l’esprit, quelle assurance pour nos consommateurs !

LR – N’avez-vous pas peur que votre franc-parler induise une méfiance chez vos « consommateurs ». Avouer que vos médicaments contiennent tous les mêmes granules ne risque-t-il pas de déconsidérer vos produits ?

FP – Il n’y a aucun risque et c’est même le contraire. Je vous l’expliquerai en trois points. A) N’importe qui est capable de comprendre qu’une société de notre taille, de notre stature ne peut croître sainement qu’en étant extrêmement rigoureuse dans tous ses processus, que ce soit le marketing, la fabrication des médicaments ou la gestion financière. Il y a donc bien longtemps que nous savons que les dilutions homéopathiques sont tellement gigantesques qu’il n’y a mathématiquement aucune chance pour qu’il reste une molécule dėcelable du composé original dans nos granules. On nous prendrait pour des imbéciles de ne pas le savoir et le reconnaître montre simplement que nous sommes lucides. De même ne pas prendre en compte ce fait dans nos processus de fabrication serait perçu comme absurde, que ce soit par nos consommateurs et plus encore par nos futurs actionnaires. Imaginez un peu que nous réalisions réellement toutes ces dilutions tout en sachant pertinemment que ça ne sert à rien. Soyons raisonnables, supprimons les processus inutiles et donc les coûts superflus, soyons honnêtes avec nous-mêmes et avec nos parties prenantes. Comme je le dit souvent (avec une certaine malice reconnaissons-le), nous ne voulons pas prendre les gens pour des poireaux. B) D’une manière générale il n’y a pas de lien entre les faits et les croyances. Et nous l’avons vu la croyance est le principal moteur de l’homéopathie. C) Enfin je vais sans doute vous choquer mais quasi personne ne lit votre journal. Votre volonté d’essayer d’établir des faits, de lutter contre les fakes news n’intéresse plus personne. Les gens préfèrent se gorger de nouvelles amusantes et fausses sur les réseaux sociaux.

LR – Hum. On accuse parfois l’homéopathie d’être dangereuse, on parle de gens cancéreux qui se soigneraient avec l’homéopathie. Quelle est votre position sur ces sujes ?

FP – Trois points sont à retenir pour bien comprendre. Tout d’abord l’homéopathie ne soigne que des maladies qui guérissent toutes seules. C’est une de ses grandes forces. Nous ne visons que les problèmes bénins, ce qui représente un marché considérable et sans risque. Il est important en effet pour une société comme la nôtre de ne pas courir de risques juridiques en essayant de soigner des maladies qui ne guérissent pas ou très difficilement. Sans compter que nous risquerions de remettre en question la en notre efficacité que les consommateurs nous portent. Ensuite nous ne pouvons être tenus pour responsables de ce que font les consommateurs voire les prescripteurs avec nos produits. Enfin je tiens à le dire, nous n’accomplissons pas de miracles. Nous nous contentons d’adresser un segment de marché bien défini, en forte croissance, dans lequel notre leadeship et notre positionnement permettent à la fois des volumes de ventes en augmentation constante et des économies d’échelle et donc des gains signiticatifs de marge opėrationnelle que, je le confirme au passage, nous saurons transformer en dividendes pour les actionnaires qui nous accorderons leur confiance, notre valeur ajoutée atteignant un niveau de performance inégalé, grâce à la rationalisation de nos processus, la qualité de notre ingénierie financière et la force de nos valeurs fondamentales, de notre ADN. Voilà. J’espère avoir été clair.

PS Cette interview est une oeuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnages ou des sociétés existants ou ayant existé serait purement forfuite.

Pourquoi croit-on que le coca c’est bon contre la déshydratation ?

Parmi les fausses idées incroyablement répandues (comme “il faut boire 1,5 l d’eau chaque jour pour être en bonne santé”) il y a celle du coca-cola dé-gazéifié pour “soigner” la diarrhée et/ou la gastro. Ma dernière en date : “comme je vomissais ma copine m’a dit de boire du coca sans bulle”. Alors pour sûr, avaler un grand verre de coca (ou de n’importe quelle autre boisson) après avoir vomi ne peut avoir qu’un seul effet : déclencher un nouveau vomissement. OK là je prend un exemple extrême. Mais ce n’est pas mieux pour la diarrhée : en aucun cas le coca ne guérit la diarrhée (qui dans la majorité des cas guérit toute seule d’ailleurs) et n’est pas, et de loin, la boisson la plus efficace pour lutter contre la déshydratation induite par la diarrhée : les solutés de réhydratation orale prônés par l’OMS contiennent 2,6 g de sel par litre. Le Coca-cola en contient 0,12 soit 20 fois moins. On peut donc même affirmer qu’il est dangereux de se réhydrater avec du Coca.

Le Quotidien du Médecin, bien connu pour sa rigueur et son indépendance, constate avec justesse qu’aucune étude n’a jamais démontré l’intérêt du Coca dans le “traitement de la turista”. Cela est facile à observer en faisant des recherches sur pubmed : ce type d’étude n’existe pas, même financée par Coca-cola. Autrement dit à aucun moment il n’a été démontré que boire du coca-cola était une bonne solution en cas de diarrhée (c’en est même une mauvaise, j’insiste) et pourtant un nombre incroyable de gens pense que c’est vrai. Finement le Quotidien du Médecin, sous la plume du Dr Paul-Henri Consigny, conclue : “Cela dit, il faut être pragmatique : en pratique, le coca est la boisson stérile la plus répandue dans le monde, c’est son meilleur argument. En l’absence de SRO ou d’eau non contaminée, mieux vaut boire du cola que de mourir de déshydratation ! » Boire du Coca ou mourir le choix semble facile.

C’est amusant quand même ce genre d’affirmation : le coca-cola est la boisson stérile la plus répandue dans le monde. Quelle ânerie ! D’abord parce que ce n’est pas vrai, et de loin, ensuite parce que ce qui prime dans la réhydratation ce n’est pas la stérilité du breuvage (même si c’est important) mais sa composition en sels minéraux, et pour ça coca c’est absolument nul (d’ailleurs personne chez Coca-cola ne propose le coca comme traitement de la déshydratation). Trop compliqué pour le Quotidien du médecin semble-t-il.

Ce cher confrère bien informé reprend un argument maintes fois utilisé comme justification, le fameux meilleur argument : on trouve du coca (stérile) partout.

Cet argument d’ubiquité est intéressant à deux titres :

1/ Personne ne le met en doute. C’est l’argument massue qui revient toujours comme une évidence, une démonstration, indiscutable comme l’est la puissance de la compagnie Coca-Cola. Indiscutable comme l’est la puissance du capitalisme occidental capable d’apporter au plus profond des régions reculées des boissons stériles salvatrices sans même le faire exprès. Cet argument qui conforte l’occidental.e dans sa supériorité ne peut que provoquer une résonance immense. On s’en réjouit, on s’en délecte. Pensez-donc, « ils » n’ont même pas de boissons stériles à donner à leurs enfants qui chient de l’eau et « nous », avec un truc aussi simple, basique et courant que le coca-cola, adieu la turista !

2/ Il fait le lien avec ce que je crois être l’origine de cette conception absurde, ou plutôt avec celui qui, bien à son insu, est peut-être à l’origine de cette idée. Il s’agit de Simon Berry.

Simon Berry est un homme admirable qui a décidé de lutter contre la mortalité infantile par déshydratation sur diarrhée aiguë dans les pays en voie de développement. Pas à soigner la turista.

Tout commence en 1988. A cette époque Simon Berry travaille pour le British Aid Programme en Zambie. Il est effaré par le niveau de mortalité infantile et notamment par la quantité de décès par déshydratation aiguë qui pourraient être évités par la simple absorption de Soluté de Réhydratation Orale. Mais de soluté il n’y a point. Alors que du Coca il y en a partout ! Cet écart fantastique entre la non disponibilité d’un produit vital et l’ubiquité du Coca le fait tilter.

Et l’idée qu’il va avoir ce n’est pas de faire boire du Coca pour sauver les enfants (cette idée est complètement idiote au cas où vous n’auriez pas suivi) mais de chercher à utiliser la formidable puissance de distribution du Coca pour mettre à disposition, au plus près des besoins locaux, les Solutés de Réhydratation Orale.

Ce n’est que 20 ans plus tard, en 2008 qu’il arrive à interpeller Coca-Cola et à se faire entendre, utilisant avec habiletés les ressorts des nouveaux réseaux sociaux, son idée va devenir virale.

Et si Coca Cola utilisait ses canaux de distribution (qui sont incroyables dans les pays en développement) pour distribuer des sels de réhydratation ? Par exemple en transformant un casier sur 10 en casier “sauveur de vie” ?

Il fondera une ONG, Colalife pour développer cette idée et je vous invite à lire son incroyable histoire. Elle débouche sur la mise au point du Kit Yamoyo (SRO + Zinc + savon + instructions) et la mise en place d’une chaîne de valeur (un terme barbare de logistique  : travailler toute la chaîne de la production à l’acquisition par l’utilisateur de manière à la rendre optimale) inspirée des méthodes de distribution de Coca Cola et d’autres. Elle a fait l’objet d’innombrables articles. La communication a été un des nerfs de la guerre que mène Simon Berry encore aujourd’hui pour distribuer des Sels de réhydratation auprès de ceux qui en ont besoin.

Je ne ferai pas à mes lecteurs l’affront de penser qu’ils ou elles ne savaient pas que le Coca n’est pas une solution de réhydratation. De nombreux articles l’ont déjà expliqué (un exemple). Je leur recommanderai par contre de continuer à ne pas lire le Quotidien du Médecin.

Bon week-end Moussa

Vendredi 19h. Moussa arrive. J’ai senti au téléphone qu’il fallait le voir aujourd’hui. Le cabinet est vide, la semaine est terminée, j’ai tout mon temps.

Il sort de l’hôpital de jour et m’apporte le compte rendu pour que, comme chaque fois, je lui (ré)explique les choses. Non pas qu’on ne lui dise rien là-bas, mais parce qu’il veut comprendre le mieux possible, peut-être aussi parce qu’il veut la version du médecin auquel il a accordé sa confiance.

Notre premier contact remonte à un peu plus de deux ans, au tout début de mon installation. La médecine du travail lui avait détecté une hyperglycémie. C’était la première fois que je devais prendre en charge un diabète 2 débutant et j’ai préféré l’adresser en hôpital de jour dans un grrrand CHU parisien. Il en est revenu terrorisé, avec l’équation diabète = maladie mortelle imprimée profondément, un bilan montrant une absence de complications, un lecteur de glycémie, l’instruction de s’auto-mesurer 5 fois par jour, une dose de metformine qui lui donnait mal au ventre et une feuille de conseils hygiéno-diététiques détaillés. Il ne sait pas lire Moussa.

Je lui ai demandé s’il savait à quoi servaient les auto mesures, il n’en avait pas la moindre idée. Moi non plus. Je lui ai dit d’arrêter, que son diabète était peu important et que l’on avait pas besoin de ça pour le suivre. Au fil du temps j’ai tenté de dédramatiser la situation, de lui expliquer que le suivi du taux de sucre ne constituait qu’une facette d l’histoire, que ce qui comptait surtout c’était la surveillance des complications possibles, qu’on allait s’en occuper, qu’on avait le temps, que si on le surveillait bien ça devrait aller, on pourrait détecter les complications à temps, agir. Je lui ai parlé de cœur, de reins, d’artères, de nerfs, je lui ai expliqué comment on surveillait cela. J’ai exploré avec lui comment, alors qu’il vit en foyer, que sa base alimentaire est constituée de mil et de riz (qu’on lui avait interdit), il pouvait se mettre plus en phase avec les sacro-saintes règles hygiéno-diététiques, etc. J’ai cherché à lui faire comprendre les vrais enjeux du suivi de son diabète, je continue.

Quelques mois plus tard il est venu me voir pour autre chose. Il avait passé deux mois au Mali, avec sa femme, ses enfants, sa famille, ses amis. Il avait constaté alors qu’il n’avait plus d’érections. Complication possible du diabète certes, mais je lui ai fait réaliser un bilan quand même. Et découverte d’une hyperprolactinémie majeure conduisant à l’identification d’un gros macroprolactinome (une tumeur non cancéreuse ou adénome située à la base du cerveau au niveau de l’hypophyse), pris en charge comme il se doit dans un grrrand CHU parisien. La nouvelle l’avait abasourdi. Je ne suis pas sûr que je savais répondre aux questions qu’il se posait, à peine à celles qu’il me posait. La cabergoline qu’on lui avait prescrite semble un traitement efficace et l’on peut espérer une guérison. Mais lui savait surtout qu’il avait une tumeur dans la tête. Il avait sans doute accepté l’idée que ce n’était pas un cancer mais restait d’autant moins convaincu de sa guérison possible qu’au fil du suivi en hospitalisations de jour le volume de l’adénome diminuait à peine. Les chiffres il les lisait bien. Et pour ce qui concerne le retour des érections il ne pouvait pas se prononcer tant qu’il n’aurait pas revu sa femme.

Doit-on les attribuer à son anxiété, à la prise de médicaments en tous cas il s’est par la suite mis à se plaindre de douleurs digestives telles que je l’ai adressé pour une fibroscopie gastrique. J’ai reçu le compte rendu d’anapath la semaine dernière. Mon correspondant avait ajouté au stylo qu’il allait reconvoquer Moussa pour mettre en place le suivi de la métaplasie gastrique qu’il avait détectée.

Il est 19 h. Dans son boubou impeccable, une écharpe bleu délavée autour du cou faisant ressortir son regard clair, Moussa est là. Il me donne le CR de son bilan endocrinien en hospitalisation du jour même (alors là chapeau le grrrand CHU) et son ordonnance de sortie. L’adénome continue de diminuer doucement mais il a développé, du fait de cette tumeur, une insuffisance hypophysaire. Il doit dorénavant être supplémenté avec deux hormones : du cortisol et des hormones thyroïdiennes. Pire : sa production de cortisol étant insuffisante, en cas de situation d’urgence et d’impossibilité d’avaler des comprimés, il faut lui injecter de la cortisone. Il doit partir bientôt au Mali. Cela l’inquiète beaucoup. Comment fera-t-il là-bas s’il a besoin d’injections ? Combien emporter de doses ? Comment savoir quand il faut réellement augmenter les doses de cortisone ? Il me montre la carte européenne d’urgence qu’on lui a remis et qu’il doit dorénavant garder constamment sur lui. Il ne peut pas la lire mais le visuel ne fait pas place au doute : il est en danger.

Même si on lui a plutôt bien expliqué les choses à l’hôpital, il faut recommencer, s’assurer qu’il comprend bien, le rassurer sans minimiser l’importance de cette supplémentation. Je ne pense pas y arriver mais on cause, on clarifie, on répète, on essaye de rester très concret, ça le fait cheminer, c’est déjà ça, on continuera.

C’est alors il me demande de lui expliquer les résultats d’anapath de sa biopsie gastrique. Il est convaincu d’avoir un cancer de l’estomac. Ce n’est pas le cas mais oui il y a un risque de transformation de la métaplasie gastrique en cancer, c’est pour cela qu’il va falloir organiser un suivi, un de plus. Je ne peux pas lui expliquer les choses sans prononcer le mot de cancer. J’essaie de tourner autour du pot mais il faut bien. C’est le mot qu’il a en tête, si je ne le prononce pas, si je ne le situe pas comme il faut je ne vais que compliquer les choses. Moussa comprend très bien je pense mais me croit-il ? Et s’il me croit est-ce que cela change vraiment son ressenti, son appréhension de sa situation globale ? A une situation complexe et lourde s’ajoute le poids d’une nouvelle situation complexe.

Je sens bien que devant ce cumul comme il le nomme lui-même, mes tentatives pour calmer son anxiété sont maladroites. Parce que c’est un fait qu’il cumule Moussa, un diabète, un macroprolactinome, une insuffisance hypophysaire, une métaplasie gastrique pouvant se transformer en cancer… et … ah oui, une hépatite B chronique comme il me le rappelle, comme tant d’africains.

« Vous comprenez docteur je cumule des maladies qui ne sont pas guérissables, ça fait vraiment beaucoup ».

Le paradoxe c’est qu’en dehors de ses difficultés d’érection qui ne le gênent pas plus que ça au quotidien en France, il va bien Moussa, il se sent physiquement bien, il n’a pas de symptômes particuliers. Mais il est inquiet. Il cumule trop. Sa vie a basculé.

« Je ne veux pas mourir ici docteur, je veux mourir chez moi. Ici je n’ai personne. Avec tout ce que j’ai ça ne peut pas durer très longtemps. J’ai déjà prévenu mon fils aîné, il sait que je suis gravement malade. Alors il y a une chose que je voudrais vous demander docteur c’est de pouvoir compter sur vous quand ce sera la fin. Quand vous saurez que c’est fichu, qu’il n’y en a plus pour longtemps, dites le moi, prévenez-moi pour que je puisse rentrer chez moi. Parce qu’ici je n’ai rien, personne, je ne veux pas mourir ici. »

Il peut compter sur moi bien sûr, si tant est que je sois un jour capable de fournir avec précision un tel pronostic. L’accord est scellé par le regard.

Il est 19h30. Je lance les télétransmissions, baisse mes volets, range mon bureau. Nous échangeons des banalités. Nous sortons ensemble. Nous nous saluons sur le pas de la porte.

Bon week-end Docteur

Bon week-end Moussa

Acqua ma non troppo

« Il faut que je vous dise docteur, je ne bois pas assez d’eau, ce doit être pour ça que j’ai {insérer ici toutes sortes de symptômes imaginables}. »

Le médecin généraliste qui n’entend pas cet aveu au moins une fois par semaine doit consulter d’urgence un ORL : il est sourd. Ou retraité.

H.Y.D.R.A.T.E.Z V.O.U.S !

Ce message répété par tant de monde, corps médical compris, a fini par s’imposer au point de culpabiliser une proportion considérable de gens qui, c’est physiologique, répugnent à boire alors qu’ils n’ont pas soif – je n’ai pas de chiffres mais dans 100% des cas où je dis à quelqu’un qu’il suffit de boire selon sa soif, il.elle pense exactement le contraire. Mais que s’est-il passé entre l’époque du capitaine Haddock pour lequel boit-sans-soif était une insulte et le slogan d’aujourd’hui : « pour être en bonne santé il faut boire 1,5 litres d’eau – ou 8 verres d’eau – par jour ». (On peut admirer ici la démonstration du Professeur Marc Fantino, médecin nutritionniste et enseignant de physiologie à la faculté de médecine de Lyon, accessoirement président de Creabio, société à la mission limpide : « From medical sciences to high value health products »).

Pour la faire courte, cette allégation incrustée en lettres d’or au sein de cerveaux ne repose sur aucune base scientifique mais l’eau minérale est devenue un marché considérable qu’il faut animer et faire croître. Et tous les moyens sont bons.

Version longue

En 2002, Heinz Valtin s’est posé la question de savoir d’où venait la recommandation généralisée aux États-Unis de boire 8 verres d’eau par jour et sur quelles bases scientifiques elle reposait. La plus ancienne référence qu’il ait pu découvrir est une citation du Food and Nutrition Board of the National Research Council datant de 1945 mais dont l’origine et les bases sont inconnues : « Une allocation d’eau adaptée pour les adultes est de 2,5 litres dans la plupart des cas. Un standard courant pour des personnes différentes est de 1 millilitre pour chaque calorie de nourriture. L’essentiel de cette quantité est contenue dans les aliments. »

La notion réapparaît en 1974 dans un livre cosigné par Fredrick J. Stare, nutritionniste réputé, spécialiste de la soif :

« Combien d’eau par jour ? Cela est normalement bien régulé par différents mécanismes physiologiques mais pour un adulte moyen, quelque part entre 6 et 8 verres par 24h. Cela peut-être trouvé sous la forme de café, thé, lait, sodas, bière, etc. Les fruits et les végétaux sont aussi de bonnes sources d’eau. »

Heinz Valtin pense qu’il s’agit probablement de l’origine de la formule. Pourtant celle qui est retenue par la postérité aux États-Unis, « il faut boire 8 verres d’eau par jour » est bien différente. Mais elle accroche et, en 2002, quand il écrit son article, elle est quasi universelle.

Malgré des recherches considérables, il n’a retrouvé aucune base scientifique à cette recommandation et nous confirme, comme de multiples autres sources que – sauf exceptions à voir en Annexe – il suffit de boire à sa soif pour être correctement hydraté. Perruche en Automne, néphrologue (la spécialité médicale qui connait le mieux les questions liées au passage de l’eau dans l’organisme et à la filtration du sang par les reins) nous l’avait naguère expliqué et concluait : « Il n’existe aucune preuve qu’augmenter son apport hydrique pour forcer sa diurèse présente un bénéfice pour la santé. Suivre sa soif est le meilleur indice d’un déficit hydrique, l’intérêt de prévenir ce dernier ne repose sur aucune preuve ». De nombreux articles scientifiques le confirment et la démonstration de Perruche en Automne est à la fois limpide et très accessible sur ce plan.

Pourtant cette fausse idée continue d’être largement véhiculée. Chaque fois qu’en consultation je répond à la culpabilité du « je ne bois pas assez » par un « vous avez bien raison c’est une connerie de trop boire il suffit de boire à sa soif » j’ai le droit à un regard incrédule et je vois la confiance dans ma parole baisser d’un cran. Pourquoi donc un message de santé aussi faux est-il si répandu et considéré comme vrai ?

L’eau est nécessaire à la vie, elle en est quasiment constitutive. La somme de moyens mis en œuvre pour savoir s’il y avait de l’eau sur mars a été considérable. Pourquoi ? Parce que s’il y a de l’eau alors il y a peut-être de la vie. Mais sans eau, pas de vie. Cette nécessité tout le monde l’a ressentie profondément un jour ou l’autre en buvant goulûment de l’eau lors d’une grande soif. C’est une expérience universelle que de ressentir le bienfait, la nécessité de boire. Alors appuyer un peu là-dessus ça va dans le sens du poil. De l’eau est un bienfait, l’eau est vitale, l’eau c’est la vie à il suffit d’en boire 1,5 litre par jour pour être en pleine forme il n’y a qu’un pas. Et les industriels ont mis le paquet pour le franchir allègrement.

Voici comment

En Europe, quand un industriel souhaite alléguer pour un produit un bénéfice pour la santé, il doit faire valider son « allégation de santé » ou « Health Claim » par l’EFSA ou European Food Safety Autority. Celle-ci confie la question à un panel qui émet une opinion scientifique documentée. Cette documentation devient LA référence.

Enfin un règlement de la commission européenne liste toutes les allégation autorisées en s’appuyant sur les avis de l’EFSA.

L’EFSA reçoit des demandes de validation d’allégations qui pourraient paraître cocasses comme celle de Ferrero « Kinder, le chocolat qui aide à grandir » (refusée).

Mais quoi qu’il en soit les industries agro alimentaires doivent se reposer sur ses avis pour afficher leurs allégations. On ne peut plus dire « l’eau fait perdre du poids » (on se rappelle du Partenaire Minceur ou du célèbre Buvez éliminez). Mais comme l’indique le règlement cité plus haut page 12, on a le droit de dire : L’eau contribue au maintien d’une fonction physique et d’une fonction cognitive normales si l’on précise bien que l’effet bénéfique est obtenu par la consommation d’au moins deux litres d’eau par jour, toutes sources confondues. (Journal de l’EFSA 2011;9(4):2075).

Cela permet ensuite à des industriels comme Evian de pondre ce paragraphe n°9 du Top15 raisons de boire de l’eau :

9) Parce qu’elle aide au bon fonctionnement de vos neurones !

Notre cerveau est composé à 83 % d’eau… Il n’est donc pas étonnant que la déshydratation puisse avoir un impact sur les fonctions cognitives et sur l’humeur. L’eau dans le sang assure le bon transport des minéraux, des vitamines et de tous les autres nutriments essentiels au fonctionnement de chacune de nos cellules. Les experts européens de santé publique ont d’ailleurs validé qu’une bonne hydratation (2L d’eau par jour toutes sources confondues) permet le maintien des capacités cognitives et mentales optimales !

On note que ce sont les « experts européens de santé publique » qui ont validé la chose (effectivement cela vient de l’EFSA) mais on ne précise pas que c’est à l’origine une demande des industriels de l’eau et encore moins les conflits d’intérêts majeurs desdits experts européens (voir annexe)

Le système tourne en boucle parfaite : l’industriel émet une demande de validation d’allégation santé qui lui paraît intéressante sur le plan marketing. Il la soumet à l’EFSA qui nomme un panel d’experts dont la plupart ont des liens avec l’industrie agro-alimentaire. Ce panel rend un avis favorable, cet avis est publié dans le journal officiel (règlement) de l’Union Européenne et l’industriel peut clamer que le bénéfice de son produit est validé par des experts de santé publique. Cqfd.

Mais il faut bouger plus de volume, faire encore plus de profits.

Alors les industriels de l’eau minérale été encore plus loin. Ils ont eu l’idée brillante de demander à l’EFSA de déterminer les « Dietary reference values for water ». Ce travail, confié à un panel de chercheurs tous peu ou proux liés à l’industrie agro alimentaire (voir annexe) a ainsi produit une opinion scientifique sur le sujet qui constitue, en Europe, la référence absolue sur les besoin d’eau quotidiens. C’est désormais cette référence qui fait foi, reprise par toute organisation ayant intérêt à ce que les gens consomment le plus possible d’eau minérale. Son titre :

Scientific Opinion on Dietary Reference Values for water

Partons par exemple de l’exploitation qu’en fait Evian dans sa page sur les besoins d’eau

Cette présentation sous des allures très scientifiques est triplement fausse ou trompeuse.

  1. La part retenue pour l’apport d’eau par l’alimentation est de 20%. C’est faux car cette part n’est pas fixe et dépend de ce qu’on boit et de ce qu’on mange. L’EFSA évoque une fourchette (de 20 à 30%) dont Evian ne retient que le chiffre le plus faible ce qui majore d’autant les chiffres affichés des besoins quotidien en eau.
  2. L’EFSA ne fait pas une « recommandation » mais définit des « apports adéquats » (adequate intakes). La nuance peut sembler subtile mais elle est d’importance et systématiquement oubliée chaque fois que cet article de l’EFSA est pris comme référence (toujours donc). Pour expliquer la différence, je cite Manz et Wentz : « L’allocation diététique recommandée pour un nutriment est l’apport avec lequel le risque d’insuffisance est très faible (2 ou 3 %). Il correspond au niveau moyen d’apport quotidien qui est suffisant pour satisfaire le besoin en nutriment de presque toutes (97 à 98%) les personnes en bonne santé pour un groupe d’âge et un sexe donné. Si des preuves scientifiques suffisantes pour définir une allocation diététique recommandée d’un nutriment ne sont pas disponibles, on fournit alors un apport adéquat. L’apport adéquat est basé sur des estimations d’apports de nutriment observées ou déterminées expérimentalement dans un groupe de personnes en bonne santé. » Les preuves scientifiques suffisantes n’étant effectivement pas disponibles, l’EFSA ne fournit donc pas de recommandation. Mais Evian si.
  3. Enfin il n’est juste pas possible, et c’est bien le fond des choses, de déterminer une valeur fixe d’apports adéquats d’eau pour un groupe d’âge et de sexe déterminé car les besoins d’eau sont complètement variables. A sexe et âge identique, si je suis grand, gros, petit, maigre, physiquement actif ou sédentaire, musclé ou gras, dans l’air sec ou dans l’air humide, qu’il fait froid ou chaud, si j’ai la diarrhée ou de la fièvre, etc. je ne perd pas la même quantité d’eau et donc je n’ai pas besoin d’absorber la même quantité d’eau (l’EFSA le précise bien d’ailleurs mais pas ceux qui reprennent son étude).

Heureusement la soif d’un côté et le rein de l’autre permettent une adaptation parfaite de notre hydratation en fonction de ces variations et de nos comportements. Si par exemple je bois au-delà de ma soif et que j’augmente mes apports au dessus de mes besoins, je pisse plus car le rein laisse filer l’eau en trop dans les urines qui deviennent claires car diluées. Si je pratique une activité physique intense et que je perd de l’eau sous forme de sueur et d’effort musculaire, la soif me pousse à boire pour compenser et si je ne bois pas assez ou pas assez vite, le rein concentre l’urine à fond pour garder l’eau. L’écart physiologique (c’est-à-dire la zone de fonctionnement normale) entre ces deux extrêmes (urines très diluées et urines très concentrées) est grand. Il n’y a pas de normalité mais des limites, larges, au-delà desquelles les mécanismes d’adaptation physiologiques du rein sont dépassés. À  ce moment survient le risque de déshydratation ou d’hyperhydratation.

Manz et Wentz, pourtant largement cités par le rapport de l’EFSA résument très bien la situation : 1/ il n’existe pas de méthode de laboratoire acceptée universellement pour définir l’état d’hydratation d’un individu. 2/ les besoins en eau dépendent de plusieurs facteurs (par exemple le climat, l’activité physique, la charge rénale en soluté). Il est par conséquent impossible de définir des valeurs générales pour les besoins en eau.

Le lecteur attentif aura donc compris la difficulté à laquelle le panel de l’EFSA s’est retrouvé confronté : comment définir des apports hydriques adėquats alors qu’on ne peut pas ?

La réponse tient dans cette phrase de leur rapport :

« Le besoin en eau varie selon les individus et en fonction des conditions environnementales ((c’est ce que je viens de vous expliquer)). Par conséquent nous avons seulement défini des apports adéquats pour des groupes d’âge spécifiques ((pas des recommandations)) à partir d’une combinaison des apports observés dans des groupes de population avec des valeurs souhaitables d’osmolalité urinaire et des volumes d’eau souhaitables par unité d’énergie consommée. »

Tout est dans le mot souhaitable.

L’osmolalité urinaire(le niveau de concentration des urines) varie physiologiquement selon qu’il faut garder ou éliminer de l’eau. Il n’y a pas d’osmolalité normale mais une fourchette assez large avec qui plus est de fortes disparités notamment culturelles, les allemands pissant en moyenne plus concentré (860 mosm/kg) et les polonais plus dilué (392 mosm/kg) du fait d’habitude de consommation de liquides différentes. Et ils vont tous bien merci. On ne peut ainsi définir l’euhydratation ou hydratation normale que par le niveau d’osmolalité urinaire mais en l’encadrant dans une fourchette (schéma ci-après).

Comme on le voit, les situations à risque d’hyperhydratation ou de déshydratation précèdent les situations problématiques de troubles de l’hydratation avérées que l’on rencontre dès lors que les capacités de dilution ou de concentration du rein sont dépassées. Mais comme il fallait définir quelque chose, l’EFSA a dėclaré que « pour des raisons de sécurité ((le grand mot est lâché)) il apparaît prudent de ne pas baser le calcul sur la capacité maximale de concentration du rein ((qui est dans les 1600 mosm/l)) mais d’adopter la procédure proposée par Manz and Wentz et de cibler les recommandations d’absorption d’eau sur une osmolalité urinaire d’environ 500 mosml/l pour apporter une marge de sécurité de réserve d’eau libre ».

C’est ça l’osmolalité souhaitable. Un point arbitraire sur une courbe. et à l’arrivée une valeur d’eau à boire arbitraire.

Mais cela a permis d’établir des valeurs fixes qui par le truchement de la communication sont devenues des recommandations. Le tour est joué. Comme pour l’allégation sur les fonction cognitives, il n’y a plus qu’à communiquer à outrance en se référant à une autorité scientifique européenne dénuée de tout soupçons. Cqfd.

Si après avoir lu ce billet et les références vous continuez de penser que votre soif ne suffit pas à vous garantir une bonne hydratation, le site Hydratation for Health (dont la base line «We believe that drinking water is the healthiest way to hydrate» est à pisser de rire) vous propose de regarder la couleur de vos urines pour savoir si vous êtes bien hydraté.e.

Vous êtes sauvé.e.

ANNEXES

Quand faut-il boire plus que la soif ?

Les maladies qui touchent l’appareil urinaire nécessitent des adaptations. L’insuffisance rénale implique un contrôle strict des apports, la récidive de calculs rénaux est diminuée par des apports d’eaux augmentés, les symptômes d’infections urinaires semblent diminuer avec l’augmentation des apports d’eau.

Il y a ensuite toutes les situations où la personne n’est pas ou plus suffisamment autonome, du nourrisson fiévreux ou diarrhéique auquel il faut penser à proposer à boire (sa soif fera le reste) au vieillard atteint de démence plus ou moins grave qu’il faut pousser à boire.

C’est à peu près tout

Les liens d’intérêt des panelistes de l’EFSA

Les infos ci-après concernant les liens d’intérêts des panélistes ayant émis l’opinion scientifique sur les besoins en eau et celle sur l’eau et les facultés cognitives proviennent des articles suivants :

EU commission: OK for food lobbyist to run food regulator

Conflicts of interest still evident on new ESFA expert panels

Le gendarme des aliments trop laxiste

Carlo Agostini was paid by food companies Nestle, Danone, Heinz, Hipp, Humana and Mead Johnson to speak at conferences .

Susan Fairweather-Tait poursuit son travail pour l’ilsi

Albert Flynn est président en 2010 du groupe scientifique NDA (Nutrition, produits diététiques et allergies) à l’Efsa. Il a travaillé pour Kraft foods

Ambroise Martin poursuit son travail pour l’ilsi

Jean Louis Bresson est président de la mission scientifique de Syndyfrais le syndicat des industries laitières

Inge Teten poursuit son travail pour l’ilsi, recherches payées par l’industrie agro-alimentaire.

Hans Verhagen poursuit son travail pour l’ilsi

Quand l’internat durait un an

J’ai démarré tambour battant la préparation de l’internat (l’ancêtre des ECN) en assistant aux conférences dès ma quatrième année de médecine. Ça se passait à la Pitié où un chef de clinique réputé nous faisait plancher. On lui payait cash à chaque session une somme que j’ai oubliée, on rédigeait une question, il nous en présentait une autre, une fois par semaine, ça devait durer 3 ans comme ça, toutes les semaines. Après un raisonnement sophistiqué, j’ai conclu au bout d’un an que puisque je voulais devenir généraliste il valait mieux que je passe du temps en stage pratique – entendez à ne pas bachoter – et qu’au fond c’était une mauvaise idée de passer l’internat.

À l’époque faire médecine ne durait que sept ans. Si on ne passait pas l’internat on effectuait en 7ème année un stage de FFI ou Faisant fonction d’interne. J’étais passé dans plusieurs services au CHI de Poissy, j’avais adoré celui de réanimation chirurgicale dont Jean-Pierre Terville était le chef en même temps que celui du SMUR, antenne locale du SAMU 78. Il a accepté ma demande de faire le FFI chez lui en m’expliquant que passer un an à faire du SMUR et de la réanimation chirurgicale était une excellente manière d’achever une formation pour devenir généraliste. Je le cru.

C’est ainsi que j’ai passé une des plus belles années de ma vie.
Nous étions 4 co-internes, assurant en relais le SMUR 24/365. Les gardes de week-end duraient 48 heures. Nous passions la vie à l’hôpital. nous faisions relativement peu de sorties et les nuits blanches étaient rares. En général nous dormions pas mal – surtout moi qui flippais de ne pas dormir assez et qui allait me coucher dès 22h quand le régulateur me fichait la paix. Rien à voir avec ce que vivent les internes aujourd’hui. Après 6 ans d’études j’étais enchanté d’exercer mon métier. La vie et l’ambiance à l’hôpital étaient captivantes.

En début de stage, quand est venu le moment d’élire un nouvel économe à l’internat, j’ai proposé à mes co-internes de faire une liste commune avec moi. Il y aurait un économe sur place 7 jours sur 7 et la clé de la cave à vin serait toujours là. J’ignorais quasi tout des traditions de salle de garde. L’idée m’amusait. J’avais compris que le but était d’amener un peu de confort / réconfort aux gens qui y mangeaient, on verrait bien comment on s’y prendrait.

L’ambiance de la salle de garde était cool. Il n’y avait aucune règle et ni mes co-économes ni moi n’attendions un quelconque comportement de autres vis à vis de nous. Une fois par mois nous demandions de l’argent aux internes, chefs de cliniques et rares chefs de service qui mangeaient à l’internat (pas aux externes bien sûr). Assis à l’entrée, un grand seau rempli de diverses sauces à fort potentiel salissant à nos pieds, une louche dans la main et la caisse sur les genoux, nous acueillions les convives du jour avec bienveillance, s’ils payaient. Nous ne faisions jamais crédit. L’argent nous permettait d’acheter des boissons à base d’éthanol d’intensité et genres variés et d’organiser des tonus (fête d’internat). J’étais tellement inconscient que j’avais créé un compte joint avec Frédéric, l’économe numéro 2 pourrait-on dire, sans aucun contrôle de qui que ce soit.

Je réalise quand je découvre sur Twitter certaines ambiances d’internat d’aujourd’hui, l’exploitation dont sont victimes nos jeunes confrères, à quel point j’ai été privilégié. Nous entretenions d’excellents rapports avec l’hôpital. Deux « loulous » étaient détachées à la cuisine de l’internat, Madeleine et Geneviève. Elles s’assuraient que le frigo était plein, qu’on puisse se griller un steak en arrivant tard, elle amélioraient la cuisine de l’hopital, nous servaient à table parfois, nous dorlotaient, s’échappaient tout comme moi de l’internat quand un vent de folie gagnait mes collègues et que, on ne sait pourquoi, un déjeuner finissait en projection, transformant la salle à manger en gigantesque poubelle, puis nettoyaient avec nous en se plaignant de ces polissons qui avaient encore fait des bêtises. Madeleine venait aussi le soir, hors contrat. C’était notre Laurette.

Je trouvais la déco immonde. Les murs étaient sales couverts de graffitis et de dessins obscènes. J’ai obtenu sans difficulté que l’hôpital les repeigne, choisi avec soin un abominable rose saumoné puis scotché fermement sur cet écrin tout frais de superbes reproductions de Folon, Magritte ou Schlosser qui passèrent, à cette époque où l’image était rare, comme des oeuvres avant-gardistes (ces affiches provenaient de la boite créée par mes parents dont j’étais à des années lumière d’imaginer tenir un jour les rênes), transformant la salle de garde en une sorte de galerie d’art qui résista un mois ou deux avant d’être dévastée par une nouvelle projection. Heureusement c’est l’économe qui engage les peintres spécialisés pour réaliser les fameuses fresques pornographiques et nous avons pu cette année là échapper à cette tradition idiote.

Folon, Aime moi Lili

Folon, Aime-moi Lili

Nous obtenions assez facilement les choses de l’hôpital, les draps étaient propres (merci les loulous), on mangeait bien, on se sentait chez nous. Pour un tonus « gaulois » j’avais trouvé à acheter un sanglier entier. Il était abattu en fonction de la date à laquelle on venait le chercher. Je l’ai ramené sur une bâche dans mon coffre à la cuisine de l’hôpital où le chef s’est fait un plaisir de le transformer en plat exquis. Pour un autre tonus j’avais acheté un feu d’artifice assez important avec déclenchement électrique. C’est l’électricien de l’hôpital qui a tout installé et m’a fait découvrir par la même occasion les pinces à épissures. Le centre de transfusion sanguine juste à côté possédait une salle de conférence et nous l’a prêtée sans discussion quand j’ai organisé un concert avec Les Blaireaux, groupe de free jazz formé par des potamois et qui fut un bide à la fois musical – le public a trouvé ça mauvais – et financier, le seul public que nous ayons réussi à faire venir étant constitué des internes de garde non occupés et qui bien entendu refusèrent de payer leur place. Quand aux habitants de Poissy sur lesquels je comptais en masse pour pouvoir payer le cachet auquel je m’étais engagé, ils avaient sans doute piscine.

Pour la piscine d’ailleurs ça été un peu plus difficile. Le directeur de l’hôpital ne souhaitais investir ni dans une piscine en dur ni dans quelque chose de plus simple. J’avais beau lui expliquer à quel point il était important que les internes puissent avoir des moyens de détente sains pour mieux travailler, il manquait de clairvoyance. Qu’à cela ne tienne, nous avons écrit à tous les chefs de service sachant qu’ils comprendraient mieux la nécessité vitale d’installer une piscine à côté de l’internat pour le plus grand bien des patients qui bénéficieraient ainsi de soins d’internes détendus et heureux. Puis nous avons débarqué chez eux, dans leurs bureaux, dans leurs services pour argumenter oralement (sans louche et sans seau). La piscine a été installée au début de l’été (1984 je crois) une belle piscine Zodiac avec de gros boudins autour tous remplis d’eau comme. Idéal pour s’étendre et se relaxer. Le jeu le plus prisé a rapidement été de jeter à l’eau les internes tout habillées – oui je sais ce n’est pas politiquement correct – jeu rapidement stoppé suite à une initiative des gens de la biochimie qui retrouvèrent dans l’eau de la piscine les pires germes de l’hôpital. C’était l’été, le cocktail à la mode était le blue lagoon, les guitares chantaient certains soirs, on se réchauffait sur le tard avec un feu de bois, on avait hâte d’être de garde (1).

On bossait quand même, on ne pensait pas qu’à boire. D’ailleurs j’avais des problèmes d’estomac (qui sont finis merci d’avoir posé la question) et je ne buvais que du lait. Le SMIR c’est (c’était) assez simple : le but est de ramener le patient vivant à l’hôpital. Le régulateur se débrouille pour qu’on aille dans le bon hosto avec l’accueil ad hoc selon le problème. Le chauffeur chauffe. Comme en général les gens ne meurent pas en un instant, il suffit d’aller vite (2). On se retrouve projeté dans de multiples situations, parfois assez dramatiques et il faut évaluer, décider et agir vite. C’est formateur mais on n’a pas le temps de tisser des liens avec les patients. Ni l’occasion de les revoir. Peu de choses à voir avec la médecine générale donc.

La fin a été brutale. Tout à coup le stage se termine et les études avec. Après une année si intense sur tant de plans, avec tant de contacts, de travail en équipe, de camaraderie (n’ayons pas peur des poncifs), d’expériences, je me suis retrouvé dans la nature, à démarrer des remplacements à la campagne, seul dans mon cabinet, à faire face à des situations auxquelles je n’étais nullement préparé, sans besoin d’intuber ni perfuser des gens, sans internat, avec le service militaire qui pointait son nez et l’hiver avec. Brrr !

Ce n’est que plusieurs années après que j’ai réalisé que cette année fut celle de mon passage à l’âge adulte. C’est sans doute pourquoi elle reste si vivante dans mon souvenir.

(1) Apparemment il y a toujours une piscine et des fêtes à Poissy mais le climat a bien changé !
(2) Des fois c’est plus compliqué j’avoue

 

Sans tous mes sentiments

exuberanceIl y a les patients détestables, les patients adorables,
Il y a les patients désagréables, les patients hautains, les patients amicaux,
Il y a les enfants souriants, espiègles,
Il y a les enfants insupportables,
Il y a les enfants qui souffrent,
Il y a les beaux, les belles, les moches, les déglingués,
Il y a les fous attachants, les fous rigolos, les fous pathétiques,
Il y a les situations sociales désespérantes, les situations médicales sordides,
Il y a les maltraités, les bien traités,
Il y a les situations à pleurer, les gens qui pleurent, ceux qui rient à nouveau,
Il y a les vieux méchants, les vieux magnifiques, les jeunes vieux,
Il y a toutes les variétés possibles entre ces “il y a”, toute cette diversité de femmes, d’hommes, de corps, de personnalités, d’origines, d’histoires, de détresses, d’angoisses, de souffrances, d’accomplissements, d’espoirs.

Et il y a toi, le médecin généraliste, qui doit trouver à chaque fois l’attitude juste, l’écoute et les explications qui conviennent, la bonne distance, qui doit arriver à discerner entre les mots, entre les signes, à réfléchir avec justesse, à guider, à gérer l’incertitude, avec bienveillance et empathie.

Sans jamais laisser grandir tes sentiments, sans jamais te laisser influencer par un quelconque jugement.

Et ce n’est pas toujours facile.

Illustration Paul Klee, Übermut, (Exubérance), 1939

Pourquoi les chiffres de mortalité grippale sont incompréhensibles

La grippe est une tueuse, il n’y a aucun doute. C’est une salope en plus, elle tue les plus faibles. Voilà c’est dit. Mais combien ?

Chaque épidémie voit ressortir les chiffres les plus extravagants qui varient de 1 à 15, à tel point que même notre ministre de la santé n’ose plus en citer et parle maintenant de nombreux décès dus à la grippe. C’est également le parti pris par le HSCP (Haut Conseil de la Santé Publique) qui fait le tour de force, dans son rapport sur la grippe et la vaccination de 2014, de ne citer aucun chiffre de mortalité de la grippe en France (avec quand même un chapitre qui s’intitule Données françaises sur la morbidité et la mortalité de la grippe saisonnière !). Y-aurait-il anguille sous roche ?

La grippe tue-t-elle 18 300 personnes par an ?

Le chiffre qui circule le plus cette année c’est 18 300 morts, repris sans vergogne et sans vérification même par les titres de presse soit disant sérieux comme Le Monde : “Alors que l’épidémie de l’hiver 2014-2015 avait conduit à une surmortalité de 18 300 personnes, dont 90 % chez des plus de 65 ans…”

La relation de cause à effet est entendue : il y a une surmortalité saisonnière, et elle est due à l’épidémie.

Clarifions

Ce chiffre provient du bilan de l’épidémie 2014-2015 dressé par l’INVS :

L’estimation de la surmortalité toutes causes, extrapolée à l’échelle nationale, a été de 18 300 décès pendant l’épidémie de grippe. L’excès de mortalité s’est concentré essentiellement chez les personnes âgées de plus de 65 ans et a touché l’ensemble des régions métropolitaines. Il s’agit de l’excès de mortalité le plus élevé depuis l’hiver 2006-2007. Une partie importante de ces décès, dont l’estimation est en cours, est due à la grippe. (quand c’est souligné c’est moi qui souligne).

J’ai beau chercher, je ne trouve pas l’estimation promise plus haut. Je trouve par contre dans le document à télécharger ici cette intéressante courbe (et cette intéressante phrase : Cet excès de mortalité est lié à la grippe et à d’autres facteurs hivernaux) :

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Voilà la notion essentielle : la surmortalité saisonnière toutes causes ou surmortalité hivernale dont on nous dit comme on peut sans le dire qu’elle est due à la grippe tout au moins probablement en grande partie vous allez pas chipoter quand même.

Chipotons

Les épidémiologistes observent de longue date une surmortalité en hiver dans les villes aux USA et en Europe. Elle peut-être exprimée comme le pourcentage au-delà de l’attendu (défini comme la mortalité moyenne au printemps et à l’automne) pour les mois de décembre à mars. Dans un long article publié en collaboration avec l’INVS “La mortalité hivernale va-t-elle diminuer avec le changement climatique ?”, on est très loin d’établir le fait, si facilement repris par les médias que la grippe est la cause de cette surmortalité. Quelques extraits :

  • En janvier 2009, une augmentation significative de la mortalité a été observée chez les plus de 95 ans, et pourrait être en partie liée au froid et aux infections saisonnières
  • Les études sont descriptives et ne donnent pas d’informations quantitatives claires sur le rôle des températures basses comparé à celui des maladies infectieuses, ni sur les principaux facteurs de risque.
  • Une étude américaine s’est intéressée aux tendances du ratio de la mortalité hivernale à la mortalité estivale entre les années 1930 et les années 1990 [43]. Une baisse de ce ratio a été observée au milieu du siècle, suivie par une augmentation à partir des années 1970. Les auteurs font l’hypothèse que cette dernière augmentation pourrait être liée à une diminution de la mortalité due à la chaleur en été, compte tenu de l’augmentation de la prévalence de la climatisation au cours de cette saison.
  • L’interprétation de toutes ces associations statistiques serait facilitée s’il existait une bonne compréhension des mécanismes de l’effet hivernal saisonnier et/ou de l’effet des températures basses. En réalité, ces mécanismes ont fait l’objet de nombreux débats dans la littérature et deux théories s’opposent. La première suggère que les températures basses ont des effets directs sur le risque cardiovasculaire via un épaississement du sang et une augmentation des facteurs de coagulation, conduisant à des thromboses. De plus, les températures basses seraient associées à un air sec pouvant augmenter le potentiel infectieux d’organismes comme le virus de la grippe.  L’autre théorie émergente est que les maladies infectieuses, et particulièrement les infections respiratoires, sont élevées en hiver pour plusieurs raisons, et provoquent l’augmentation des inflammations et du risque cardiovasculaire. Il est certain que les infections respiratoires sont fréquentes en hiver, la grippe en étant l’exemple le plus frappant et le plus significatif…

Mais il est bon de ressortir ce chiffre chaque fois que l’on veut encourager les campagnes de vaccination comme dans ce document émis par le Ministère de la Santé en novembre 2015, destiné aux professionnels de la santé et dans lequel on appréciera la subtilité de la nuance dans la dernière partie de la phrase :

Si la mortalité attribuée à la grippe a globalement diminué au cours des dernières décennies, la saison grippale 2014- 2015 a été marquée par une surmortalité (18 300 décès supplémentaires), dont une partie peut être attribuée à la grippe.

Et un peu plus loin on précise :

D’après les estimations de l’Institut de veille sanitaire, la grippe saisonnière serait responsable en moyenne chaque année de 9 000 décès essentiellement chez les seules personnes âgées de 65 ans et plus.

Je résume : le chiffre de 18 300 qui fait peur n’est pas celui de la mortalité due à la grippe mais celui de la surmortalité hivernale en 2014-2015. On ne sait pas à ce jour quantifier ni préciser avec certitude les causes de la surmortalité hivernale.

La grippe tue-t-elle 9000 personnes par an ?

Bon on est parti de 18 300 clamés par les médias à 9000 clamé par l’INVS. Déjà on a baissé de moitié.

Alors je remet ma casquette de spéléologue et je m’empresse de rechercher sur le site de l’INVS d’où il vient ce chiffre. Et là je tombe sur ce rapport (29/03/20 lien non foncionnel / document non retrouvé) qui essaye de calculer combien de morts on pourrait éviter si toutes les personnes à risque étaient vaccinées. Pour ce faire bien entendu, il faut avoir un nombre de décès attribuables à la grippe. Et voici, devant vos yeux esbaudis, comment l’INVS calcule ce chiffre (accrochez-vous un peu quand même) :

Décès attribuables à la grippe

Au cours des 9 années (2000- 2009) et pour chaque semaine civile d’étude (de la semaine 1 à la semaine 52), nous avons comparé le nombre moyen de décès toutes causes se produisant les années où la semaine d’étude était incluse dans l’épidémie de grippe et ce même nombre les années où la semaine d’étude ne l’était pas (tableau 1). Il a été supposé que la différence entre ces deux nombres était due à la grippe*. Nous avons additionné les différences hebdomadaires pour obtenir le nombre moyen annuel de décès attribuables à la grippe. *c’est moi qui souligne

L’INVS précise quand même :

Si d’autres épidémies suivent la même périodicité que la grippe saisonnière, notre estimation des décès attribuables à la grippe aura probablement été surestimée… Cela peut être le cas pour les maladies qui partagent les mêmes déterminants météorologiques que la grippe (infections à VRS, infarctus du myocarde…) (j’adore les 3 petits points qui évitent de faire une liste plus complète).

Pour autant pas de remise en question, pas de citation de l’article vu plus haut qui explique par A+B qu’on ne sait pas expliquer la surmortalité saisonnière.

Ils préfèrent citer deux autres études qui confortent leurs chiffres :

La première a donné des estimations de 7 670 décès annuels dans le groupe d’âge des personnes de 75 ans et plus, de 1980 à 1990. La seconde a estimé un nombre de décès s’élevant à 11 000 au cours des saisons où la grippe A(H3N2)** était dominante et à 1 370 décès les saisons où la grippe A(H3N2) ne l’était pas dans le groupe d’âge des 65 ans et plus, de 1997 à 2009. **pas de bol c’est le virus de l’épidémie en cours.

Je résume : On serait à une moyenne maximale de 9000 décès par an attribuables à la grippe, avec une majorité chez les plus de 65 ans, avec des plus et des moins selon le virus dominant de l’année. Ce chiffre est une estimation basée sur des suppositions. Mais c’est le chiffre officiel

La grippe tue-t-elle moins de 1000 personnes par an ?

Mais alors me direz-vous, pourquoi ne compte-t-on pas les décès dus à la grippe un par un ? Et bien il y a des gens qui le font. Ils s’appellent le CépiDc et centralisent tous les décès et leurs causes en France à partir des motifs indiqués par les médecins sur les certificats de décès. Et leurs statistiques sont publiques, on peut les trouver ici.

Là les chiffres sont d’un ordre de grandeur tout à fait différent. Pour vous éviter du travail j’ai été chercher ceux des dix dernières années connues :

2005 988
2006 117
2007 232
2008 288
2009 488
2010 124
2011 317
2012 754
2013 684
2014 317

moyenne = 431

Ces chiffres, je me répète, comptabilisent tous les certificats de décès sur lesquels le médecin a mis “grippe” comme cause de décès. Point de supposition statistique ici. Du comptage pur et dur. Et le CépiDc comptabilise tous les certificats de décès. Il n’y en a point qui lui échappent.

Cela veut dire que sur les certificats de décès de tous ceux qui sont morts de la grippe pour l’INVS mais pas pour le CépiDc il n’y a pas marqué “grippe”.

Qu’y-a-t-il donc de marqué alors me demandera le lecteur attentif qui a réussi à tenir jusqu’ici ?

Comment se fait-il que des gens meurent de la grippe et qu’on inscrive une autre cause sur leur certificat de décès ? Et ce dans (9000 – 431)/9000 = 95% des cas !

A ben là j’en sais fichtrement rien. Infarctus ? Embolie pulmonaire ? syndrome de détresse respiratoire aiguë ? Pneumopathie aiguë communautaire ou pas ? Je vous laisse imaginer ce que vous voulez.

Voilà. Entre les 9000 de moyenne de l’INVS et les 431 de moyenne du CépiDc (j’oublie les 18200 de la presse) il y a un écart assez abyssal. Tellement abyssal que même notre ministre de la santé n’ose plus poser un chiffre sur la table dans ses communiqués de presse.

Et ça peut paraître incroyable, mais en 2017 on ne sait pas combien de personnes tue la grippe. Mais au moins on a compris pourquoi les chiffres les plus variés circulent.