Sans tous mes sentiments

exuberanceIl y a les patients détestables, les patients adorables,
Il y a les patients désagréables, les patients hautains, les patients amicaux,
Il y a les enfants souriants, espiègles,
Il y a les enfants insupportables,
Il y a les enfants qui souffrent,
Il y a les beaux, les belles, les moches, les déglingués,
Il y a les fous attachants, les fous rigolos, les fous pathétiques,
Il y a les situations sociales désespérantes, les situations médicales sordides,
Il y a les maltraités, les bien traités,
Il y a les situations à pleurer, les gens qui pleurent, ceux qui rient à nouveau,
Il y a les vieux méchants, les vieux magnifiques, les jeunes vieux,
Il y a toutes les variétés possibles entre ces “il y a”, toute cette diversité de femmes, d’hommes, de corps, de personnalités, d’origines, d’histoires, de détresses, d’angoisses, de souffrances, d’accomplissements, d’espoirs.

Et il y a toi, le médecin généraliste, qui doit trouver à chaque fois l’attitude juste, l’écoute et les explications qui conviennent, la bonne distance, qui doit arriver à discerner entre les mots, entre les signes, à réfléchir avec justesse, à guider, à gérer l’incertitude, avec bienveillance et empathie.

Sans jamais laisser grandir tes sentiments, sans jamais te laisser influencer par un quelconque jugement.

Et ce n’est pas toujours facile.

Illustration Paul Klee, Übermut, (Exubérance), 1939

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Malina, je me souviendrai de toi (1/4)

Premier Lundi avec Malina

Je reçois Malina qui “vient en urgence” me prévient le docteur H chez qui je débute un stage de médecine générale en autonomie surveillée. Comme c’est mon premier jour chez lui, le principe est que je reçoive seul certains patients mais que le Dr H me rejoigne en fin de consultation pour le débriefe, quand le patient est encore là. Nous ne sommes pas encore tout à fait au stade de l’autonomie différée dans laquelle le débriefe se fait en fin de journée, ce qui permet de rappeler les patients en cas de bêtise de ma part.

Cette jeune femme de 30 ans, exerçant une profession para médicale, me réclame un bilan sanguin complet car elle a eu “un malaise vagal sur son lieu de travail et a sûrement une anémie”.

Elle décrit une asthénie survenue depuis une semaine, démarrant l’après-midi, un peu après le repas, parfois avec un malaise semblable à celui qu’elle a eu au travail et au cours duquel sa tension serait tombée à 8 – sans suées ni tremblements. Elle insiste pour que l’on explore l’anémie dont on lui a parlé il y a quelques années et qui est sans doute à l’origine de ces malaises à moins que ce ne soit quelque chose de plus grave comme un “cancer généralisé par exemple”.

Elle avait à l’époque des règles très abondantes et malheureusement ne supportait pas le sulfate ferreux qu’on lui recommandait de prendre. Entre temps elle a eu un fils, maintenant âgé de 3 ans, dont elle parle en souriant et avec lequel “ça se passe très bien”. Ses règles sont normalisées. D’origine africaine, elle n’a jamais mangé de terre. Elle ne sait vraiment pas ce que c’est que cette anémie qu’il faut explorer. Elle ne comprend pas parce que le matin elle est en pleine forme, part à son travail avec entrain, dort bien et l’après midi elle est exténuée.

Je l’interroge sur une précédente consultation, il y a un mois, pour laquelle l’interne a noté syndrome dépressif alors qu’elle ne paraît pas dépressive ce jour-là (elle dit bien manger, bien dormir, se lever avec entrain, satisfaite de son métier…). Il s’agissait en fait d’un épisode d’inquiétude me dit-elle, son jeune frère de 25 ans ayant fait une fugue qui a affolé toute la famille dont elle-même ce qui l’a amenée à demander un somnifère pour quelques temps. Elle ne le prend plus et dit très bien dormir.

A l’examen clinique je retrouve une prise de poids (dont elle est plutôt contente avec 52 kg pour 1m70 alors qu’elle pesait à une époque 45kg) et une tension de 10/7 allongée et de 9/6 debout. Pour le reste rien de rien : pas de ganglions ni de thyroïde palpés, pas de foie ni de rate perceptibles, un abdomen souple, un examen cardio-vasculaire normal, aucun signe neurologique. Je n’examine pas spécifiquement les muscles lors de cette première consultation. La diurèse est normale et il n’y a pas de dysurie (elle évoquera au RV suivant une légère polyurie).

Je la rassure, elle n’a manifestement pas de cancer généralisé et, alors que je me lance sans orientation précise dans la prescription d’un bilan biologique de débrouilage, le Dr H nous rejoint.

Je lui résume la situation et il recommence, ce qui m’agace un peu, à lui poser les mêmes questions que moi. Enfin presque. Il la pousse a décrire de manière beaucoup plus précise ses malaises post-prandiaux. En moi-même je me dis quel con (moi, pas lui) je n’ai même pas creusé cela alors que le cadencement de ses malaises et de son asthénie semble de toute évidence une clé du diagnostic. Ils démarrent en moyenne une heure après les repas et la fatigue persiste tout l’après-midi. A midi elle mange (bien) à la cantine puis elle prend un peu de KitKat et un café avec 3 sucres. Et le matin? Là aussi café avec 3 sucres et du kitKat qu’elle affectionne particulièrement. L’hypothèse d’une hypoglycémie après les repas se fait jour et on ajoute une glycémie post-prandiale au bilan déjà imprimé.

Mais le Dr H continue de l’interroger.

  • Qu’est ce qui s’est passé avec votre frère il y a un mois ? Il a fugué en laissant une lettre d’adieu. On l’a cherché dans toutes les forêts du département pendant plusieurs jours, on a fait plus de 200 km. En fait il était parti faire la bringue à Paris. Une vraie crise de post ado. Quel idiot, il a fait mal à ma mère en plus je lui en veux.
  • Et comment est-ce que ça se passe le matin pour le petit déjeuner ? Malina se lève à 5h et prépare le repas pour son mari et son fils. Elle range, fait un peu de ménage, réveille l’enfant et le prépare.
  • Mais le ménage vous en faîtes beaucoup lui demande le Dr H ? Ah oui, j’aime que ce soit propre alors quand je suis d’après midi, le matin je fais mes carreaux, je passe l’aspirateur. Je voulais même acheter l’aspirateur qui passe la nuit tout seul sans faire de bruit mais ça ne semble pas très fiable.
  • Et votre mari il en pense quoi de ce ménage très soigneux ? Il trouve que j’en fait trop. Faut dire que je suis tout le contraire de ma mère. Elle c’est la bohème. Mais chez moi il faut que ce soit propre.
  • Et qu’est ce que vous en pensez de tout ça ? Ben c’est un peu trop c’est sûr, mais dès que je vois une poussière par terre il faut que je la ramasse. Je ne supporte pas que tout ne soit pas nickel.
  • Et vous ne pensez pas que tout cela puisse être lié à un genre d’angoisse de quelque chose ? Et vous Docteur ?
  • Moi oui, j’ai l’impression que vous êtes angoissée par quelque chose que vous n’arrivez pas à exprimer. Ça vous dirait d’en parler à un psychiatre ou à un psychologue ? Pourquoi pas, c’est vrai que je suis tendue en ce moment. Oui c’est une bonne idée.

Dans la discussion nous apprenons également qu’elle a fait un déni de grossesse. Elle ne prend pas de contraception (uniquement des préservatifs avec son ami).

A la fin de cette longue consultation, Malina nous quitte avec une ordonnance pour son bilan de débrouillage et une lettre pour un RV avec le psychologue pratiquant la psychothérapie cognitivo comportementale qu’il lui sied de rencontrer et d’essayer et un arrêt de travail de quelques jours. L’orientation organique de ses épisodes récents de malaises et d’asthénie de l’après-midi le dispute à l’orientation psychologique. Et moi je suis un peu penaud de ne pas avoir su creuser aussi loin par moi-même, de n’avoir su ni approfondir la séquence des malaises et leur allure hypoglycémique ni ouvrir la porte de sa vie intérieure, alerté que j’aurais du être par l’épisode de la fugue du frère (pourquoi a-t-elle finalement consulté pour cela le mois dernier ?), la notion de déni de grossesse, les remarques hypochondriaques et l’insaisissable malaise qui régnait dans cet échange, une sensation d’être trimballé, que je ressentais mais ne savais pas utiliser pour rebondir.

En débriefe je comprend, qu’en partie, les alertes que j’ai ressenties sont celles qui ont fait avancer le Dr H. Parce qu’il n’était pas satisfait de l’avancée en aveugle, parce que la seule hypothèse d’hypoglycémie post-prandiale ne suffisait pas à lui donner satisfaction, parce que quelque chose continuait à clocher, sans forcer, pour l’essentiel en écoutant, relançant, stimulant, le Dr H avait fait avancer d’un grand pas la compréhension de la situation.

A suivre :
Second lundi avec Malina

Le Dr Bienveillant existe, je l’ai rencontré

Entre la fin de mon emploi salarié et le début du DIU, je disposais de quelques semaines de libres. Cela faisait des mois que j’avais démarré les lectures de remise à niveau mais la solitude et la virtualité de ce travail purement abstrait commençaient à me peser.

Un besoin irrésistible de me frotter au concret eu raison de ma timidité et, quelques coups de fil plus tard, je me retrouvai propulsé stagiaire du Dr Bienveillant : une affiche en salle d’attente, une blouse blanche pour me donner un statut (même si je ne suis pas trop déglingué, un médecin stagiaire de 56 ans ça peut surprendre), un siège élimé calé entre l’armoire et la porte d’entrée, un iPad sur les genoux, c’était parti. Au programme de ce stage sauvage : observation et discussions hors CS.

Lui 30 ans qu’il exerce, moi 30 ans que j’ai fait autre chose, lui accueillant un stagiaire pour la première fois, moi n’ayant jamais aimé les professeurs, lui ayant fait le tour de la médecine mais pas des gens, moi ayant fait le tour ni de l’un ni de l’autre, cela risquait d’être intéressant.

Et je dois dire que je n’ai pas été déçu. Je n’imaginais pas que le Dr B. puisse être un mauvais médecin, je ne savais pas que j’allais trouver un praticien aussi accompli, encore moins que j’allais en comprendre autant sur la relation médecin patient et sur son rôle central dans la pratique de la médecine générale.

L’inscription dans le temps

Avec un patient déjà connu, chacune de ses consultations commence de la même manière : par un rappel de la précédente, de ce qui s’y est décidé, pourquoi, un point sur comment les choses ont évolué, ce qui devait être fait, sur le suivi du traitement et souvent par un bref échange à propos de la femme, du père ou la fille qu’on a vu récemment. Ce n’est qu’à partir de là qu’on entre dans le motif de consultation du jour. La fin de consultation fixant les prochains jalons – examen complémentaire ou consultation spécialisée, prochain RV fixe ou conditionnel.

J’ai cru au début que le point chronologique à haute voie m’était destiné, mais non. C’est une pratique systématique du Dr B. Clairement elle le met en phase avec son patient – on a quasi l’impression de les voir entrain de se synchroniser – et lui montre (au patient) que l’intérêt se porte au-delà de la consultation du jour. Elle manifeste une attention patente pour la personne et son contexte, son histoire et pas seulement pour le motif du jour ou la pathologie. Elle inscrit la relation avec ses patients dans le temps et la consultation du jour comme un épisode d’une histoire. Et ce n’est que dans le cadre de cette histoire que l’épisode trouve son sens.

Nous avons beaucoup échangé sur cette notion de l’inscription de son travail dans la durée, essentielle dans la pratique du Dr B. Je l’ai comparée à la sensation que j’ai souvent eue en voyage, quand la vision d’une ville, d’un pays, d’une culture se construit par touches successives qui s’additionnent, jour après jour, sans qu’aucune de ces touches ne se suffise, sans que la somme en fasse un tableau achevé.

J’ai eu l’impression, en découvrant la bienveillance avec laquelle le Dr B. accueillait chacun.e de ses patients.es que c’est cela qui le motivait encore, au-delà des actes médicaux proprement dits : ajouter une touche, une page à leur histoire et avec beaucoup de pudeur, y participer un peu, les aider à la poursuivre. J’ai pu observer, comprendre, ressentir que sans cet intérêt bienveillant pour ses visiteurs il y a bien longtemps que son intérêt pour la pratique se serait émoussé. J’ai pu percevoir et comprendre que c’est bien là que se situe l’essence du métier de médecin généraliste.

Jamais la routine ne l’emporte sur la vigilance

On pourrait imaginer, à la visite mensuelle, bimestrielle ou trimestrielle pour des renouvellements de traitement de patients suivis depuis très longtemps qu’une routine s’installe et fasse le job. Il y en a bien un peu de la routine, mais de manière assez impressionnante, la vigilance est là, à chaque fois éveillée avec une obsession : ne pas rater un signe nouveau ou significatif au milieu de consultations qui parfois peuvent paraître monotones. Tiens Monsieur Hypertendu que j’ausculte aujourd’hui a un souffle carotidien qu’il n’avait pas la dernière fois, tiens Monsieur Diabétype2 a un petit trouble de repolarisation sur son ECG, on va faire une scintigraphie (et découvrir une ischémie silencieuse), tiens Jeune tousseur fiévreux siffle un peu, on va programmer à froid un bilan asthmatique. Rien d’extraordinaire mais juste une vigilance qui non seulement ne s’émousse pas mais qui, consciemment entretenue, participe à la confiance accordée par les patients, finit par détecter un certain nombre de problèmes et manifeste une attention sincère envers ses visiteurs.

Une attention bienveillante

A aucun moment je n’ai entendu le Dr B. dire du mal ou se plaindre de ses patients. Au moment ou je finis d’écrire ce billet, un médecin bien connu des réseaux sociaux tente de lancer le hashtag #PayeTonCabinet, version symétrique du fameux récent #PayeTonUterus. C’est amusant parce que je suis justement choqué par nombre de tweets de médecins qui se plaignent de leurs patients et que le lancement de ce hashtag en est une véritable caricature. Je peux bien comprendre que les gens soient pénibles parfois. Être ferme et ne pas accéder à certaines de leurs demandes n’empêche pas de les considérer avec bienveillance. Je me trompe peut-être mais je serais très surpris de voir le Dr B. participer à cette mauvaise plaisanterie.

Cette attention aux patients, à la relation qui se développe avec eux et de l’importance de la qualité de cette relation n’est pas le fruit du hasard. Elle est consciente, construite. J’ai été frappé par la jeune Carla, 20 ans, présentant un syndrome post traumatique non résolu et dont le besoin de pouvoir faire confiance à son médecin semble aussi important que sa vigilance vis à vis de celui qui ne l’écoute pas. Avant le RV, le Dr B. me raconte son histoire et me dit que ce dont elle a besoin avant tout c’est qu’on la prenne au sérieux. Elle a un “colon fonctionnel”, des crises de panique (notamment au moment des examens à la fac), ce genre de choses. Pendant tout l’entretien l’écoute (des deux côtés) est intense, les échanges denses. On sent effectivement quelqu’un de fragile, un peu électrique. Quand vient le moment de faire le point sur son RV chez le psy conseillé, réponse : “il a rigolé quand je lui ai dit ce que j’avais, je suis pas prête d’y retourner”. Bingo. Le respect bienveillant est manifestement plus efficace et il a fallu toute l’expérience du docteur B pour la convaincre d’y retourner à nouveau avec une lettre reprécisant le contexte.

Le tutoiement pour la confiance

Le Dr B. tutoie presque tous ses patients et les appelle par leur prénom (il ne tutoie pas les nouveaux la première fois. Je ne sais pas à quel moment cela bascule..). Sont-ce ses origines anglo-saxonnes qui rendent le tutoiement peu distinct du vouvoiement ? C’est ce qu’il prétexte. Je n’en suis pas si sûr. Passée ma première surprise de voir Marcel et Nina, 88 et 91 ans, tutoyés aussi naturellement que les jeunes mamans qu’il a connues petites, il m’est devenu évident que cette manière de s’adresser aux gens jouait un rôle important dans la relation qui se développait.

Au-delà de la qualité des décisions médicales – et nous avons affaire à un expert – ce tutoiement participe je trouve à la construction de la relation de confiance. Je perçois le message transmis comme ceci :  “en te tutoyant je me rapproche de toi et je te propose qu’on se rapproche. J’entre un peu dans ton histoire et elle devient un peu la mienne. Je ne serai pas invasif mais si tu m’en donnes la permission, je serai là et je pourrai mieux t’aider. Je ne pourrai pas me défausser si je te tutoie car même si je ne deviens pas ton ami, par cette proximité avec toi, je me mouillerai.”

J’ai tendance à penser que ce tutoiement de rigueur outre la confiance renforce l’autorité : “attention, il faut que tu m’écoutes. Si je te dis qu’il faut faire ce doppler carotidien ce n’est pas pour faire quelque chose ou pour meubler la conversation, c’est parce que je pense qu’il le faut, pour te protéger. Je ne te parle pas du haut de mon savoir mais de la proximité de l’intérêt que je te porte à toi en tant que personne.“

Rien de paternaliste là-dedans, bien au contraire. D’ailleurs un certain nombre de patients le tutoient également et l’appellent par son prénom.

Protéger.

Un mot revenu souvent dans les consultations : “je dois te protéger, il faut qu’on protège ton coeur, tes artères”… Ne signifie t-il pas tout simplement, comme le tutoiement : “je tiens à toi”.

Je n’ai bien entendu pas appris que cela dans ces quelques journées où j’ai eu le privilège de partager la vie en consultation du Dr B. Beaucoup de “vraie” médecine aussi mais ça n’est pas le sujet. J’ai beaucoup apprécié de voir défiler tous ces gens qui venaient partager un moment de leur vie, en confiance, sachant être écouté, sachant se livrer avec leurs mots, leur gestes, leurs attentes, leurs histoires toutes différentes. J’ai compris que j’allais bientôt exercer un métier humainement passionnant. J’ai eu confirmation que l’attitude bienveillante qui me semblait une nécessité de ce métier était la bonne, la seule possible. J’en ai rencontré un modèle.

Merci Dr B.

Comment j’ai découvert l’empathie

Le #mededfr de jeudi dernier avait un thème intéressant : peut-on enseigner l’empathie ? Un thème qui m’a remémoré un épisode pas très brillant que je n’avais jamais raconté.

Lors de mes études de médecine je n’ai pas entendu parler de l’empathie. A vrai dire je n’ai pas entendu parler de grand chose puisque j’ai cessé d’aller en cours à partir de la 4ème année, préférant apprendre la théorie dans de bons ouvrages, spécialité par spécialité comme ça se faisait et la pratique sur le terrain – entendez à l’hopital. L’enseignement de médecine générale n’existait pas. L’empathie des médecins hospitaliers non plus, pour l’essentiel.

Après avoir rejoint la société familiale, j’ai eu le privilège de suivre un cursus à l’IAE ou Institut d’Administration des Entreprises à la Sorbonne. Les matières médicales allaient m’être de peu d’usage en entreprise et il fallait me familiariser avec la comptabilité, le marketing, la finance et autres matières délicates. C’est là, de manière inattendue, que j’appris un beau jour l’existence de l’empathie ou de l’attitude empathique. 

C’était au cours d’une séance de travaux pratiques dans le cadre d’un cursus optionnel sur la négociation. L’exercice était le suivant. 

Un ami vous annonce qu’on vient de lui diagnostiquer un cancer incurable. Vous voulez l’aider, lui remonter le moral. Parmi les 3 attitudes ci-après, laquelle adoptez-vous :

– 1/ « Écoute c’est pas forcément grave. Ils ont pu se tromper. Tu devrais aller voir un autre médecin. Moi je connais quelqu’un qui a eu la même chose et qui s’en est tiré. Tu sais y’a beaucoup d’erreurs de diagnostic… »

– 2/ « Alors là faut pas te laisser aller mon vieux, faut se battre. Faut lutter. C’est pas le moment de lacher le morceau si tu veux t’en sortir. Sois brave, affronte… »

– 3/ « Ah la vache c’est dur, tu dois en baver, viens on va boire un café ensemble, tu vas me raconter ça…. »

Et moi, jeune médecin (défroqué certes mais de frais) tu parles si j’allais pas te la donner la bonne rėponse. Manquerait plus que ça ! Y allaient voir que je n’étais pas comme les autres mecs, j’avais fait médecine moi. J’étais pas un pauvre ingénieur en mal de promotion vers un rôle de management moi. Pfff !

Ah vrai dire je les trouvais toutes idiotes les réponses – bon là d’accord je les réinvente mais c’était l’idée – et je n’avais pas la première idée de laquelle était la bonne. Ça m’énervait. Mais c’est surtout la dernière qui n’avait aucun sens. Comment on allait pouvoir remonter le moral de ce pauvre gars en ne lui disant rien ?

Je ne me rappelle plus quelle réponse, j’ai donnée, la 1 ou la 2. Pas la 3 ça c’est certain. Et d’ailleurs personne dans le groupe n’avait choisi cette réponse. De la part des ingénieurs, bon je comprend, c’est un peu comme des chirurgiens orthopédistes. Mais de la part d’un médecin, quelle honte !

Quand l’animateur a ensuite développé la réponse, les explications, l’importance de la simple attitude d’écoute sincère, attentive, sans jugement, sans moralisation, sans dénégation, sans volontarisme, je ne savais juste plus où me cacher. 

Ce jour là j’ai découvert l’empathie (une première vision tout au moins) et je remercie cet enseignant qu’il m’a fait découvrir d’une manière qui fut pour moi inoubliable. Avec le temps j’ai appris qu’elle se travaillait l’empathie. On ne nait pas tous égaux en empathie. Mais on a tous la possibilité de la développer. On peut arriver à ressentir plus ou moins fortement les sensations de l’autre, question de nature. Mais ça commence toujours par une attitude que l’on peut décider d’adopter ou pas, qui ne dépend pas d’un don que l’on a ou que l’on n’a pas, celle de l’écoute attentive et sincère. Et ça, je l’ai appris.