Recherche systématique des causes de l’asthénie de Malina (3/4)

Ce billet fait suite à
Premier lundi avec Malina
et à Second lundi avec Malina.
Il est suivi de Troisième lundi avec Malina.

ATTENTION  : cette section est longue et un peu fastidieuse. Elle explore toutes les causes possibles d’asthénie et argumente le pour et le contre de chacune. Le lecteur pressė peut se rendre directement à la section Troisième lundi

Deux questions se posent :

1/ Qu’est-ce qui lui arrive à Malina. Qu’est-ce qu’il faut explorer pour le comprendre ?
2/ Quelle prise en charge réaliser ?

Commençons par répondre à la seconde. Malina est arrêtée et doit avoir ses examens biologiques. Je n’ai pas observé un état général dégradé et elle est, comme le dit le Dr H, en bonne santé apparente. Si la biologie d’une insuffisance surrénale se confirmait il faudrait bien entendu l’hospitaliser pour traitement et exploration. En dehors de ce cas extrême (et oui la prévalence de l’insuffisance surrénale est quand même très faible il faut bien le dire) il n’y a pas d’urgence imposant une telle mesure. L’exploration doit pouvoir se faire en ambulatoire.

Pour la suite la prise en charge dépendra bien sûr du diagnostic auquel nous arriverons.

Pour la question n°1 repartons des principaux symptômes pour les explorer en tant que tels.

A/ HYPOGLYCEMIE

Bien que non mesurée biologiquement, la description des symptômes peut-être en rapport avec une hypoglycémie. Les circonstances de survenues ne sont pas en faveur d’une origine organique de cette hypoglycémie : les manifestations cliniques d’hypoglycémies survenant à jeun le matin ou à distance d’un repas (plus de 5 heures après) et/ou lors d’un effort physique, sont en faveur du caractère organique de l’hypoglycémie” (cours de diabétologie, Jussieu) mais orientent vers une hypoglycémie réactionnelle : Les circonstances de survenue des symptômes de l’hypoglycémie réactionnelle sont différentes de celles de l’hypoglycémie organique : ils surviennent deux à trois heures après un repas, très rarement à jeun” (cours de diabétologie de Jussieu) et amènent à évoquer un tableau de syndrome idiopathique post prandial.

“Pour affirmer un tel tableau, dans lequel l’hypoglycémie n’est en général pas mesurable, il faut éliminer des causes organiques : insuffisance surrénale, insuffisance antéhypophysaire, hypothyroïdie, médicaments hypoglycémiants, alcool, maladie chronique grave ainsi que les diagnostics différentiels suivants : un malaise vagal, une crise d’angoisse voire une attaque de panique…”

  • Insuffisance surrénale : à ce stade des examens sont prescrits et permettront de se faire une opinion.

Signes en faveur :

  1. asthénie physique et psychique augmentée au cours de la journée
  2. hypotension artérielle (peu marquée) se manifestant au début par hypotension orthostatique
  3. malaises post-prandiaux évocateurs d’hypoglycémie ?
  4. description au cours de la seconde consultation d’une légère polyurie

Signes en défaveur ou absences de signes

  1. pas d’amaigrissement ni d’anorexie (présente normalement dans 100% des cas)
  2. pas de signes digestifs pourtant très fréquents dans l’IS
  3. la mélanodermie chez cette jeune femme africaine n’est pas observable et les éventuelles tâches ardoisées sur la muqueuse buccale n’ont pas été recherchées.
  • Insuffisance antéhypophysaire

Il manque les signes essentiels pour l’évoquer.

  1. L’hypotension artérielle (systolique entre 10 et 11) avec baisse d’un point au passage à la position debout ne signe pas une hypotension orthostatique marquée
  2. Pas signes d’hypothyroidie, TSH normale
  3. Pas d’asthénie dès le réveil s’accentuant au cours de la journée, pas d’amaigrissement
  4. Pas de dépigmentation des zones normalement pigmentées (aréoles mammaires, organes génitaux, cicatrices)
  5. Les signes d’hypoglycémie ne surviennent pas lors d’épisodes de jeûne.
  6. Malina n’évoque pas de dépilation axillo-pubienne et elle vient d’avoir ses règles
  • La normalité de la TSH écarte l’hypothyroidie
  • Malina ne prend pas de médicaments et donc pas de médicaments hypoglycémiants et il n’y a pas de notion de consommation alcoolique pathologique.
  • Une maladie chronique grave doit pouvoir être écartée du fait de l’absence d’anomalie de la NFS et de la CRP, d’un état général conservé et du caractère aigu de la plainte.
  • Malaise vagal. La description des symptômes, leur histoire sont peu évocateurs
  1. pas de voile gris ou voile noir décrit au moment du malaise
  2. pas de sueurs, nausées, pas de vomissements
  3. pas de perte de connaissance
  4. pas de maux de ventre
  5. pas de bouffées de chaleur
  • L’hypothèse d’une crise d’angoisse ou d’une attaque de panique reste plausible bien que, ces difficultés survenant dans le cadre d’un travail qu’elle pratique depuis longtemps et avec professionnalisme on n’imagine pas de facteur déclenchant.

Sous l’angle de l’hypoglycémie, la recherche diagnostique oriente donc plutôt vers la notion de syndrôme post prandial idiopathique, sous réserve que l’éventuelle insuffisance surrénale soit bien écartée et avec la notion curieuse du caractère aigu du trouble qui n’existait pas il y a deux semaines.

B/ ASTHENIE ORGANIQUE

Il convient malgré tout, devant ce tableau peu typique, d’explorer les causes d’asthénie chronique de manière systématique.

Prévalence

“Morrisson dans une série de 176 patients présentant une fatigue dont l’étiologie n’apparaît pas évidente au terme d’une première consultation, trouve au terme de la démarche diagnostique 39 % de causes organiques, 41 % de causes psychiques, 12 % de causes mixtes, 8 % de causes indéterminées. Kahendall retrouve 36 % de causes organiques, 37 % de causes psychiques, 12 % de causes physiologiques et 16 % de causes indéterminées. Si l’asthénie psychogène représente le pourcentage le plus élevé de diagnostics, les étiologies organiques sont souvent les seules envisagées par le malade et doivent rester au premier plan des préoccupations du médecin en raison des conséquences graves des erreurs diagnostiques.” (extrait d’un cours de la faculté de médecine de Grenoble)

Caractérisons l’asthénie en utilisant l’arbre diagnostic fourni par Pierre Kaminski du service de médecine interne du CHU de Nancy

La non réversibilté au repos (aggravation de l’asthénie après un arrêt de travail) oriente vers une asthénie vraie.

L’horaire de l’asthénie :

  • matinale ⇒ Asthénie fonctionnelle (avec difficulté d’endormissement) : ne ressemble pas à notre cas
  • vespérale ⇒ Asthénie somatique : cela ressemble plus à notre cas
  • permanente, dès le réveil ⇒ Asthénie psychique : ne ressemble pas à notre cas.

Explorons donc pour commencer les causes des fatigues somatiques à partir d’une liste de causes “classiques” des asthénies somatiques en argumentant en faveur ou en défaveur

  • Toxiques et iatrogènes :
    • Pour : accès probable aux médicaments dans son service hospitalier ?
    • Contre : pas de prises médicamenteuses connues chez Malina
  • Infections
    • Pour : aspect aigu,
    • Contre : bilan inflammatoire négatif, pas de points d’appel, pas de fièvre
  • Endocrinopathies et troubles métaboliques
    • Pour : importance des symptômes rapportés, négativité du premier bilan orienté sur causes moins rares
    • Contre : faible prévalence,
  • Maladies cardiaques, pulmonaires (dyspnée)
    • Pour : toux persistante chez cette fumeuse
    • Contre : aucun signe clinique en faveur d’une cause cardiaque
    • A faire : Rx Pulmonaire
  • Troubles du sommeil
    • Pour : il est possible que le temps de sommeil ait diminué récemment suite à l’événement de la fugue de son frère et à une augmentation subséquente du trouble anxieux
    • Contre : dit dormir très bien
    • A faire : éventuellement agenda du sommeil pour évaluer le temps réel de sommeil.
  • Cancers
    • Pour : pas grand chose
    • Contre : aucun signe clinique ni biologique en faveur, pas de syndrome inflammatoire
  • Hémopathies (anémies, lymphomes, Waldenström)
    • Pour : ???
    • Contre : NFS normale, pas de ganglions, pas de rate ni de foie palpés
  • Hépatites, cirrhoses
    • Pour : ??
    • Contre : Transaminases normales, pas d’ATCD connus d’hépatite, jeune pour une cirrhose
    • A faire : sérologies hépatiques pour être sûr d’éliminer une hépatite notamment B chez cette professionnelle de la santé. Vérifier vaccination
  • Entéropathies
    • Pour : ??
    • Contre : aucun signe d’appel digestif
  • Maladies systémiques inflammatoires..
    • Pour : ??
    • Contre : aucun signe clinique ni biologique en faveur, pas de syndrome inflammatoire
  • Insuffisance antéhypophysaire
    • Discuté dans l’exploration de l’hypoglycémie
  • Hypothyroïdie débutante
    • Pour : le caractère récent des troubles, l’absence d’amaigrissement (voir même prise de poids)
    • Contre : TSH normale sur le premier bilan
    • A faire : doser à nouveau la TSH dans une ou deux semaines pour regarder éventuelle évolution.
  • Hyperparathyroïdie
    • Pour : Une asthénie peut ne constituer que la seule manifestation clinique d’une hyperparathyroïdie.
    • Contre : le démarrage brutal des troubles, leur horaire.
    • A faire : bilan phospho-calcique, dosage de la PTH
  • Insuffisance rénale
    • Pour : une asthénie peut ne constituer que la seule manifestation clinique d’une insuffisance rénale.
    • Contre : créatinémie normale
    • A faire : calcul de la clearance de la créatinine
  • Hémochromatose
    • Pour ??
    • Contre : origine géographique de la patiente (l’hémochromatose HFE n’existe pas chez les populations noires), jeune âge (pas de signes cliniques à cet âge), NFS normale
  • Diabète
    • Pour : brutalité de l’apparition des symptômes
    • Contre : glycémie à jeun à la limite inférieure de la normale, pas d’amaigrissement, polyurie dont la qualification reste douteuse
  • Myasthénie
    • Pour : âge et sexe de la patiente, horaire des troubles, apparition récente
    • Contre : ??
    • A faire : refaire examen neuro musculaire complet et, si doute, ENMG avant scanner thoracique

C/ ASTHÉNIE FONCTIONNELLE

Discutons la possibilité d’une asthénie fonctionnelle chez cette jeune femme possiblement surmenée.

  • classiquement la Fatigue est d ’abord vespérale, avec anxiété, et l’on retrouve ici cette notion de fatigue de l’après-midi
  • Hypersomnie non reposante (+++) : Malina dit bien dormir et se réveille en forme
  • Plaintes somatiques variées (+++) : ce n’est pas le cas de Malina
  • État de tension musculaire inconscient ??
  • Irritabilité, tension, épuisement : l’épuisement est là mais je ne note pas d’irritabilité
  • Conflits professionnels ou familiaux : on note l’histoire de fugue de son frère qui semble lui peser
  • Syndrome de répétition (rêves) ??

D/ ASTHENIE PSYCHIQUE

Discutons enfin une possible Fatigue psychique qui pourrait entrer dans un des cadres suivants :

  • Troubles de l ’humeur :
    • dépression caractérisée ou « masquée »
      • Pour : Malina ne sourit pas, quand on la voit elle donne l’impression de porter un poids considérable.
      • Contre : pas de troubles du sommeil ni de l’appétit, pleine forme le matin
  • Troubles anxieux :
    • trouble panique
      • Elle ne me semble pas en panique
    • trouble anxieux généralisé
      • Pour : facteur déclenchant ou décompensant avec l’histoire de la fugue de son frère.
    • TOC
      • Pour : la présence de TOC est patente (ménage)
      • Contre : cela n’est pas récent
    • phobies
      • Contre : elle ne décrit pas de phobies à l’interrogatoire
  • Troubles somatoformes :
    • hypochondrie
      • Contre : Malina manifeste quelques tendances hypochondriaques lors de l’examen clinique (“ce n’est pas un cancer généralisé”) mais n’est pas connue pour consulter fréquemment avec de nombreuses allégations de troubles
    • hystérie, trouble de conversion
      • cela dépasse mes compétences
  • Troubles de la personnalité :
    • asthénie névrotique
      • Peut-être ?

En guise de conclusion temporaire et en attendant le troisième lundi, ce cas clinique a le mérite d’ouvrir un très grand nombre de pistes. Au point que si je devais décider des prochaines étapes je serais bien ennuyé.

  • Il y a l’analyse des résultats du bilan biologique de second niveau demandé la semaine passée.
  • il y a à recommencer un examen clinique notamment neuro musculaire
  • certaines explorations complémentaires paraissent indispensables : bilan phospho calcique, Rx Thoracique, sérologies hépatique B et C, la clearance de la créatinine, et, selon examen clinique, un ENMG.
  • Je serais également tenté de demander une consultation psychiatrique.

Cette discussion faite, je la fais alors parvenir à mon MSU. Je voulais lui montrer que j’étais aussi capable de travailler comme il faut, en étudiant toutes les pistes. A vrai dire j’avais même trouvé cela très intéressant.

Voici sa réponse

Au total on s’avance vers 2 hypothèses : l’hypothèse organique qui va être orientée par les examens para cliniques et cliniques en cours ou à venir ; pour l’instant on n’a rien d’objectif.

L’hypothèse fonctionnelle  où on va s’orienter vers un diagnostic plutôt psychiatrique ; on a un trouble anxieux, le TOC qui s’est aggravé récemment, une personnalité particulière (déni de grossesse, l’existence d’une anxiété certaine), des évènements de vie (fugue du frère, demande de somnifère alors qu’elle est anti-médicament).

Certains détails doivent nous interpeller : c’est elle qui évoque d’elle-même la possibilité d’une origine psychique, elle ne proteste pas quand on lui propose une psychologue dès la 1ère consultation. Certes un avis psychiatrique serait souhaitable à ce stade, mais pourquoi ne pas continuer ce que l’on a commencé : on a établi un contact on a encore des examens en cours, il n’y a pas urgence a transférer la PEC.

J’ai envie de lui demander ce qu’elle pense de tout ça au vu des résultats des examens.

A suivre :
Troisième lundi avec Malina

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3 réflexions au sujet de « Recherche systématique des causes de l’asthénie de Malina (3/4) »

  1. Ping : Second lundi avec Malina (2/4) | Chroniques d'un jeune médecin quinquagénaire

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  3. Bonjour, je suis tombée par hasard sur votre blog. Même si ce cas date de 3ans j’aimerais apporter mon temoignage. Pendant des annees asthenie et hypersomnie des le reveil avec malaise post prandial, toux chronique. Tout semble correspondre avec votre patiente. Je passe les détails mais apres de multiples examens médicaux infructueux ( pulmonaires, neurologue specialiste du sommeil prise de sang endocrino…) on me met sous prozac 3 par jour… Aucun effet. Je precise que je n’ai jamais eu de tableau clinique depressif hormi cette hypersomnie et asthenie. D’autres symptomes s accumulent : perte de pilosite, amenohree, migraines ophtalmiques, essouflement, vertiges etc etc…. Seule réponse médicale : c’est psychologique. Impossibilité de travailler et grande précarité financière. Après moultes démarches et explorations scientifiques de ma part je décide d’arrêter le gluten. Et là amélioration miraculeuse… plus de malaise post prandial plus d hypersomnie (jusqu’à 20h sur 24 de sommeil auparavant sur plusieurs jours d affilee) ma tension qui ne depassait jamais 10 remonte à 12.8 environ. Une asthenie perdure par moment mais discrete. Suite à de franches crises de rhinite apres des repas avec fromages. Je supprime tous les produits laitiers. Depuis plus aucune asthenie je fais des nuits de 8h me reveille en forme facilement. Tension excellente. Règles et pilosité revenue plus de migraines vertiges paresthesies nocturnes…. j’ai pu avoir une vie de couple et des enfants. J’ai repris des etudes et je travaille. Je suis très active.

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