Cher Prescrire,
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ton papier “Cancer colorectal : test immunologique disponible en France” dans le numéro de septembre 2015. J’ai bien apprécié ton dernier paragraphe avec lequel je suis tout à fait d’accord : “Les informations sur les bénéfices du dépistage et sur les risques des coloscopies sont à transmettre aux personnes susceptibles de participer à ce dépistage, pour un choix éclairé.”
Du coup j’ai relu l’article en me disant que j’avais du rater quelque chose car ce dernier paragraphe semblait sous-entendre que l’information nécessaire avait été fournie plus haut.
Pour informer les patients, j’aurais besoin en effet de savoir quel risque ils ont d’avoir un cancer colorectal (on appelle cela la prévalence) et ce en fonction au moins de leur sexe et de leur âge car ce n’est pas pareil pour tout le monde. J’aurais aussi besoin de savoir quel est le taux de mortalité chez les gens qui suivent le dépistage et chez ceux qui ne le suivent pas pour leur montrer la différence. Il ne serait pas inutile que je connaisse la sensibilité du test et sa spécificité. Avec la prévalence correspondant au sexe et à l’âge je pourrais alors calculer le risque qu’ils aient une coloscopie pour rien par exemple. Mais j’ai eu beau lire, je ne retrouve aucune de ces informations dans ton article. J’apprends simplement qu’avec l’ancien test l’impact du dépistage du cancer colorectal en terme de mortalité par ces cancers était modeste.
Comme tu signales que tu as obtenu pas mal d’informations sur le site e-cancer, Je me suis permis d’aller les consulter et j’ai trouvé sur leur joli diaporama à destination des professionnels de santé, les chiffres suivants concernant le test immunologique OC Sensor (celui qui est dans les belles enveloppes bleues) : sensibilité 65 à 75%, spécificité 96 à 98%. C’est déjà pas mal.
Pour ce qui concerne les prévalences, le site de l’Inca est très pauvre et j’ai donc du me tourner vers le National Cancer Institute (USA) qui propose un outil de mise à disposition de statistiques remarquable dont on aimerait qu’il inspire l’Inca. Là j’ai trouvé ma réponse. Elle concerne les habitants des Etats-Unis d’Amérique comme tu dis et pas les français. Mais bon comme l’Inca dans son diaporama cite des sources identiques pour certains de ses chiffres, je m’en contenterai aussi. Donc chers lecteurs, en exclusivité française, voici la prévalence du cancer colorectal aux USA (chiffres 2012) selon l’âge et le sexe – et dont on se dit qu’elle doit probablement ressembler à celle de par chez nous sans rien en savoir d’ailleurs).
Comme on peut l’observer il y a quelques différences !
A partir de là j’ai pu calculer (en retenant les valeurs de sensibilité et de spécificité hautes) que :
pour 1000 femmes de 50 à 59 ans participant au dépistage
- 2 ou 3 (0,2 à 0,3%) auront du sang dans les selles, subiront une coloscopie et auront un cancer dépisté,
- Une (0,1%) n’aura pas de sang dans les selles alors qu’elle a un cancer et sera faussement rassurée,
- 20 (2%) auront du sang dans les selles et subiront une coloscopie mais n’auront pas de cancer,
- 977 (98%) n’auront pas de sang dans les selles ce qui traduira bien l’absence de cancer.
A l’autre bout du spectre, pour 1000 hommes de 70 à 79 ans participant au dépistage (je sais que le programme de dépistage s’arrête à 75 ans mais je n’ai les chiffres que pour cette tranche) :
- 13 à 14 (1,3 à 1,4%) auront du sang dans les selles, subiront une coloscopie et auront un cancer dépisté
- 4 à 5 (0,4 à 0,5%) n’auront pas de sang dans les selles alors qu’’ils ont un cancer et seront faussement rassurés
- 20 (2%) auront du sang dans les selles et subiront une coloscopie mais n’auront pas de cancer
- 962 (96%) n’auront pas de sang dans les selles ce qui traduira bien l’absence de cancer.
Pour nous éclairer un peu plus tu nous donnes les risques de la coloscopie (que tu estimes quasi doublés par rapport à ceux cités par l’INCA). Je retiens donc ton chiffre de 7 à 9 effets indésirables graves pour 1000 coloscopies.
De là je peux calculer le risque d’avoir un accident grave lors de la coloscopie pour un patient qui s’engagerait dans le dépistage :
- pour les femmes de 50 à 59 ans il est de 0,02%
- pour les hommes de 70 à 79 ans il est de 0,03%
Ce chiffre est faible et difficile à appréhender. Il signifie que 2 à 3 personnes pour 10.000 s’engageant dans le dépistage auront un accident grave de coloscopie. Les décès par coloscopie étant quantifiés à 3 pour 10.000 coloscopies, le risque de décès du fait de l’engagement dans le dépistage est de 0,0008% soit 8 pour 1 million de personnes s’engageant dans le dépistage.
Toi je ne sais pas mais moi j’ai tendance à penser que selon que l’on est une femme de 55 ans ou un homme de 72 ans, on ne va pas voir les choses de la même manière car les chiffres pour éclairer notre décision ne sont pas les mêmes. Entre autres.
Enfin pour pouvoir aller au bout de la question, il serait indispensable de connaître les taux de mortalité par cancer colorectal et toutes causes des personnes s’engageant dans le dépistage et de celles ne s’y engageant pas. Mais ça, comme tu le précises on ne le saura que dans le futur. On sait que jusque là les études sur les anciens tests ne sont pas ultra convaincantes (quelques décès par cancer colorectal en moins pour 1000 personnes suivant le programme de dépistage, mortalité toutes causes inchangée, NEJM 2013).
En attendant les autorités nous engagent à convaincre le maximum de personnes à entrer dans ce programme de dépistage. J’apporterai pour ma part une information un chouillat plus “éclairée” avant de remettre l’enveloppe, si telle est la décision que nous prenons alors avec le patient.
ANNEXE :
Courbes de probabilités à l’issue du dépistage par tranche d’âge
Et une vision du même résultat sous une forme peut-être plus parlante, en fréquence naturelle :
Tableaux de contingence pour les différentes tranches d’âge et par sexe