La prise de décision partagée en médecine générale

IMG_9997 (1)J’ai écrit mon mémoire de DIU sur la prise de décision partagée en médecine générale. On peut le trouver sur le site de ressources que j’ai développé sur ce sujet. Pour le lecteur pressé, voici en plus court de quoi il s’agit.

Résumé

Travaillée de longue date et faisant l‘objet d’une abondante littérature dans le monde anglo-saxon, la prise de décision partagée (PDP – voir en annexe la discussion de la traduction) en médecine souffre en France d’un manque d’enseignement par les départements de médecine générale d’une absence d’outils d’aide à la décision patient et d’une résistance culturelle. Pourtant les atouts de cette approche sont nombreux et justifieraient un investissement significatif en médecine générale universitaire.

Le concept de prise de décision partagée

Définition

Voici la définition fournie sur la page Philosophie du centre ressources de Shared Decision Making de la Mayo Clinic :

« Les patients et les médecins ont des expertises différentes quand il faut prendre des décisions médicales importantes. Alors que le médecin possède les informations concernant la maladie, les examens complémentaires et les traitements, le patient lui maîtrise les informations concernant son corps, ses conditions, ses buts pour sa vie et pour sa santé. C’est seulement en collaborant et en prenant les décisions ensemble que l’idéal de la médecine fondée sur les preuves peut être atteint. Ce processus de partage des actions de prise de décision implique de développer un partenariat fondé sur l’empathie, d’échanger les informations à propos des options possibles, d’en délibérer en considérant les conséquences potentielles de chacune d’entre elle et de prendre la décision de manière consensuelle. Ce processus (parfois appelé prise de décision centrée sur le patient, prise de décision empathique ou prise de décision partagée) demande le meilleur du système de soin, du médecin et du patient et, de ce fait, reste un idéal. »

Champs d’application

Dès qu’un problème, une situation présente deux options ou solutions au moins, pour lesquelles le rapport bénéfice risque peut sembler équivalent ou dépend fortement des valeurs du patient et de sa famille ou n’est pas bien mesurable, on se trouve en situation favorable à une prise de décision partagée. Classiquement les grands domaines de la prise de décision partagée sont :

  • les dépistages systématiques avec toute leur problématique de surdiagnostic et de surtraitement pour un bénéfice pas toujours clair,
  • les traitements de maladies chroniques ou de facteurs de risque (diabète, hypertension hyper cholestérolémie…) pour lesquels les choix thérapeutiques peuvent être variés,
  • les options thérapeutiques exclusives l’une de l’autre comme l’alternative entre  l’angioplastie et le traitement médical de l’angine de poitrine ou le choix entre la mammectomie et la tumorectomie avec radiothérapie dans le traitement du cancer du sein ou encore le choix entre infiltrations, chirurgie ou physiothérapie dans le syndrome du canal carpien par exemple.
  • Le choix d’une contraception, d’un traitement antidépresseur, etc.

De très nombreuses questions peuvent entrer dans ce cadre et nombre d’entre-elles se posent en médecine générale.

Ce qui n’y entre pas – mais n’empêche pas malgré tout de rechercher l’adhésion du patient en lui expliquant les choses – ce sont les situations où il n’y a pas vraiment d’options et dont les bénéfices sont importants par rapport aux risques. Une pyélonéphrite doit être traitée par antibiotiques, un patient faisant un infarctus doit être hospitalisé en urgence, une fracture doit être réduite, etc.

Un modèle pour la prise de décision partagée

On trouvera dans l’encadré en annexe le modèle académique de référence d’Elwyn. En pratique la séquence se résume en 3 étapes :

  1. informer le patient du fait qu’il y a des options et lui proposer de les discuter pour décider ensemble de celle qui sera meilleure pour lui
  2. présenter au patient les options possibles avec leurs bénéfices et leurs risques,
  3. prendre avec le patient une décision en accord avec les valeurs / attentes / possibilités du patient.

Pour le NHS ou National Health Institute anglais, le patient devrait être sollicité avant de voir son médecin et lui poser ces 3 questions en consultation :

  • Quelles sont mes options ?
  • Quels sont les bénéfices et les risques possibles ?
  • Comment pouvons-nous prendre ensemble une décision qui soit bonne pour moi ?

IMG_0004Une affiche a été éditée en ce but pour les salles d’attente. Cette idée simple est très intéressante en pratique car elle permet aux patients de se préparer à l’idée de participer à une décision et favorise la pratique de la PDP par le médecin.

Intérêt de la prise de décision partagée

Intérêt pour le patient

La PDP n’est pas une panacée mais ses intérêts sont multiples. Seuls les outils d’aide à la décision des patients ont été explorés sérieusement. L’étude de référence est une synthèse Cochrane, dont la dernière actualisation date de 2014 : Decision aids for people facing health treatment or screening decisions. Appuyée sur 115 études regroupant près de 35.000 participants, elle conclut :

  • Il existe des preuves de haute qualité que les aides à la décision comparées aux soins habituels (a) améliorent la connaissance des gens concernant les options, (b) réduit leurs conflits décisionnels liés au sentiment d’être mal informés et de ne pas clarifier leurs valeurs personnelles.
  • Il existe des preuves de qualité modérée (a) que les aides à la décision comparées aux soins habituels entraînent les gens à un rôle plus actif dans la prise de décision, (b) et qu’elles améliorent la perception de risques précis quand des probabilités sont comprises dans les aides à la décision par rapport à celles n’en contenant pas.
  • Il existe des preuves de moindre qualité (a) que les aides à la décision améliorent l’adéquation entre l’option choisie et les valeurs du patient. Il existe malgré tout plus de preuves dans les études récentes qui montrent une communication patient-praticien améliorée, avec des choix mieux informés et fondés sur les valeurs du patient.
  • Les outils d’aide à la décision réduisent le nombre de personnes qui choisissent les options chirurgicales à froid.
  • Toutefois les effets sur l’observance de l’option choisie, l’économie entraînée, l’utilisation avec les populations mal lettrées et le niveau de détail nécessaire dans les aides à la décision nécessitent plus d’évaluation.

Dans le même ordre d’idée, d’’autres avantages potentiels de cette pratique font l’objet de recherches, par exemple : abaisser le niveau d’angoisse ou de dépression chez les patients traités pour un cancer, améliorer l’observance des patients asthmatiques, diminuer le gaspillage médical, améliorer le suivi des patients diabétiques, etc. laissant présager des développement plus qu’intéressants.

Intérêt pour la discipline médecine générale

La pratique de la PDP présenterait un grand intérêt si elle était incluse dans la formation des médecins généralistes en apportant une méthode solide pour prendre en compte les valeurs du patient. La médecine fondée sur les preuves (ah quelle appellation réductrice !) semble souvent seulement perçue comme une approche scientifique de la médecine. On sait pourtant que cette partie du concept, hypertrophiée pendant le cursus universitaire, n’en constitue qu’un des 3 piliers. Cet enseignement permettrait d’apporter un réel support à l’approche centrée patients si chère à notre discipline. Cela constituerait sans aucun doute une pierre notable à son édification (on me glisse dans l’oreillette que certaines facultés de médecine, comme Paris Bobigny, ont créé un enseignement sur la prise de décision partagée. Super!).

Les valeurs du patient ou ce qui compte vraiment pour eux

Je vous livre un extrait de la préface qu’Elliott Fisher, le directeur de l’institut Darmouth, a écrit pour l’édition papier d’Option Grid.

“Un des plus grands défis pour améliorer la santé repose dans la difficulté bien documentée et très répandue qu’ont les médecins, quand ils prennent des décisions, à prêter attention à ce qui compte vraiment pour les patients, alors que les différences dans les buts, les préférences, les valeurs et les ressources des patients sont importantes. Entraînés à se concentrer sur la biologie humaine, il est beaucoup plus facile pour eux de se concentrer sur les issues cliniques.”

Sur le même sujet, le plus bel exemple que je connaisse est un billet de Richard Lehmann dont la lecture est subordonnée à la connaissance de l’anglais !

On est ici au cœur de la question : prendre une décision partagée c’est se donner les moyens de prendre en compte les valeurs du patient dans la décision. C’est une question centrale en médecine générale. Elle devrait y être facilitée par la connaissance intime que le médecin développe des ses patients au fil d’une relation inscrite dans la durée.

Les outils d’aide à la décision pour les patients

Définition et rôle

Les outils d’aide à la décision pour les patients (OADP et en anglais Patients Decision Aids ou PDA) occupent une place centrale dans la pratique de la PDP. Ils ont pour rôle d’aider le patient à comprendre les bénéfices et les risques de chaque option. Que ce soit sous forme de tableau d’options, de vidéo, de podcast, de brochure, de site web interactif, etc. ces outils sont conçus soit pour servir de support à la discussion entre le médecin et le patient et/ou sa famille, soit pour être utilisés par le patient seul (après éventuelle présentation par le médecin). Les plus élaborés d’entre-eux intègrent une gestion du conflit décisionnel.

IMG_9995Vous trouverez une liste des outils développés à travers le monde sur le site de l’institut de recherche de l’hôpital d’Ottawa. Chaque outil y est évalué selon les critères de L’IPADS qui est une collaboration ayant établi les standards en la matière. En France ce type d’outil n’existe pas et est d’ailleurs décrié par les instances scientifiques de généralistes enseignants, ce qui est à déplorer alors qu’il s’agit du chaînon manquant dans la transmission des preuves scientifiques aux patients.

Évaluation des outils

A l’international on s’en occupe au point d’établir un standard d’évaluation des outils d’aide à la décision. Selon l’IPADS elle concerne 3 catégories de critères notés oui ou non :

  • le contenu de l’outil : il est évalué au travers d’une vingtaine de critères comme par exemple “l’information à propos des conséquences des options (positives et négatives) comprend les probabilités qu’elles se produisent”,
  • le processus de développement de l’outil, évalué par une dizaine de questions comme “l’aide à la décision fourni les références des preuves scientifiques utilisées”,
  • l’efficacité de l’outil enfin avec deux questions :
    • Il y a la preuve que l’outil d’aide à la décision (ou un autre basé sur le même modèle) aide les gens à comprendre les options proposées et leurs caractéristiques.
    • Il y a la preuve que l’outil d’aide à la décision (ou un autre basé sur le même modèle) améliore l’adéquation entre les caractéristiques qui comptent le plus pour la personne informée et l’option qui est choisie.

Exemple d’outils d’aide à la décision patients

je ne peux que renvoyer le lecteur vers les sites cités pour découvrir l’immensité du travail existant, mieux comprendre la notion d’OADP et apprécier le retard inexcusable pris par la France. On trouvera en encadré un exemple tiré du site Option Grid et ici une base de ressources sur le sujet établie par votre serviteur. Sans outil d’aide à la décision des patients point de salut pour la PDP : l’enjeu est majeur et il devient urgent que la médecine générale dans sa filière universitaire s’empare de ce sujet, lance des projets de recherche et de collaboration avec les producteurs d’outil existants, crée, publie et maintienne un corpus au moins sur les principaux thèmes de la médecine générale. Cela sera indispensable pour que la formation à la PDP aux Internes en médecine générale devienne une réalité – si tant est qu’un jour on décide de le faire !

La présentation du risque

La présentation des options devrait idéalement comporter des probabilités d’occurrence de leurs bénéfices et risques. Bien communiquer les risques est un élément central de la prise de décision partagée, élément soufrant en moyenne de l’absence ou la rareté des données et, quand on en a, de l’ambiguïté de leur expression. J’ai déjà écrit quelques billets (Ici, ici et ) à ce sujet et je ne m’y étendrai donc pas ici sauf à rappeler 4 points essentiels :

  • Tout bénéfice ou risque exprimé en valeur relative (“on observe une baisse de 30 % de la morbi-mortalité grâce à tel traitement”) est suspect et doit être écarté. S’en tenir au risque ou bénéfices absolus ou fréquences naturelles : 4 personnes sur  100 (4%) qui prennent ce traitement éviteront un accident cardio-vasculaire…
  • Attention à la classe de référence : si on parle de 1000 personnes qui pratiquent le dépistage, tous les chiffres doivent être donnés par rapport à ces 1000 personnes.
  • Attention au cadre : 90 personnes sur 100 survivent à ce traitent n’a pas le même impact que 10 personnes sur 100 meurent avec ce traitement. Idéalement utiliser les deux versions.
  • Utiliser des tables d’icônes pour montrer visuellement les choses. Un petit site ici vous aide à ça mais il faut bien dire que si c’était tout prêt mâché ce serait mieux.

Quelques mythes de la PDP

Légaré et Thomson-Leduc ont relevé 12 mythes à propos de la perception de la  prise de décision partagée par les médecins et effectué une revue de la littérature. Je reprend ici ceux qui représentent d’évidents facteurs de blocage.

“La PDP n’est pas possible parce que les patients me demandent toujours ce que je ferais”

Légaré & al ont pu montrer dans le cas du dépistage de la trisomie 21, que la variable la plus significativement associée avec l’intention des patients de s’engager dans la prise de décision partagée était l’attitude du médecin à ce sujet. Leurs observations suggèrent que les patients répondent à l’enthousiasme ou à l’absence d’enthousiasme du médecin pour partager les décisions.

“Je pratique déjà la PDP”

Après avoir étudié 33 articles sur le sujet, Nicolas Couët & al concluent que, quel que soit le contexte clinique, peu de soignants tentent régulièrement de faciliter l’implication des patients et encore moins ajustent leurs soins aux préférences des patients.

“La prise de décision partagée cela prend trop de temps”

Une synthèse Cochrane précise : “L’effet des aides à la décision sur la durée des consultations varie de 8 mn en moins à 23 mn en plus (médiane : 2,55 mn de plus) avec 2 études montrant une augmentation de durée statistiquement significative, une étude montrant un raccourcissement et six études indiquant une absence de différence de la durée de la consultation.

“Tous les patients ne veulent pas être impliqués”

Kiesler & al ont effectué une revue de la littérature et constatent : les préférences pour la participation dans les décisions thérapeutiques se situent dans un continuum allant de “passif” (on laisse les décisions au médecin) à “très actif” (le patient décide seul) en passant par “collaboratif (la décision est partagée avec le médecin). Une majorité de patients souhaite ou collaborer ou être très active et une minorité préfère un rôle passif.

En France, Moreau et Carol concluent à partir d’une étude qualitative en focus group qu’il  “est ressorti une nette préférence pour le modèle « délibératif », avec une compétence du médecin dans l’établissement du diagnostic et une implication plus importante du patient dans les décisions de soins et de prévention”, et ce d’autant plus que des générations plus jeunes étaient concernées.

J’aurais pu intituler ce paragraphe “Quelques obstacles culturels”. On le sait, ce sont les plus difficiles à franchir !

Conclusion

Aucun outil d’aide à la décision en français, de rares formations universitaires, une forte résistance culturelle, une pression constante de l’industrie pour fausser la perception des bénéfices et des risques, la prise de décision partagée en médecine en France n’est pas prêt de se développer. Il faudra un temps et une énergie considérable pour qu’elle prenne sa place dans notre pays. C’est un défi immense. Mais c’est aussi une opportunité formidable pour la médecine générale. Il serait bien dommage qu’elle ne s’en saisisse pas.

Annexes

Comment traduire Share Decison Making

L’expression anglo-saxonne Shared Decision Making (SDM) est aujourd’hui bien acceptée. Nous la traduisons par Prise de Décision Partagée (PDP) que nous préférons à l’expression Décision Médicale Partagée habituellement utilisée dans les rares publications en français. Cette dernière peut en effet sous-entendre que le patient partage la décision prise par le médecin. Or ce concept est dynamique, participatif : le patient et le médecin partagent la prise de décision, la prennent ensemble, d’un commun accord. Par ailleurs, de même que l’expression anglaise ne contient pas de référence au domaine médical, nous pensons inutile dans la version française d’y faire référence sauf à alourdir les choses (cela donnerait : Prise de Décision Médicale Partagée) alors que le contexte d’utilisation de l’expression suffit.

Le modèle Délibération de Glyn Elwyn

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Ce schéma est une version actualisée de celui publié dans l’article princeps d’Elwyn “Share decision making, a model for clinical practice”.

Un exemple de Tableau d’option “Option Grid

Épilepsie : Les options médicamenteuse en cas de projet de grossesse

Utilisez cette grille pour vous aider à discuter avec votre médecin du fait de continuer à prendre du valproate de sodium contre l’épilepsie (génétique ou généralisée idiopathique) si vous pensez que vous pourriez débuter une grossesse.

Pour accéder à ce tableau cliquez ici

 

6 réflexions au sujet de « La prise de décision partagée en médecine générale »

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