Deux ans à toute vapeur !

IMG_0466 Cette histoire commence un matin d’avril 2014. J’exerce alors la noble profession de Directeur de l’innovation produits au sein d’une société dont l’activité ne présente aucun rapport ni de près ni de loin avec la médecine. J’y suis arrivé après une longue aventure comme dirigeant d’entreprise, aventure qui s’est mal terminée, parlons d’autre chose. Ce jour là une goutte d’eau fait déborder un vase qui s’était insidieusement rempli depuis plusieurs mois et, en une heure de temps, continuer à travailler là devient impossible. La difficulté de changer et de trouver un nouveau job, à 56 ans, me semble tout à coupe bien moins grande que celle de rester, de poursuivre. Ce n’est pas réfléchi, c’est un constat.

Toute personne même assez qualifiée ayant cherché un emploi sur le tard en conviendra : il est indispensable de le trouver avant de quitter le précédent, dans la mesure où on a le choix bien sûr. C’est vrai plus jeune aussi. Débute alors l’exploration de ce que je pourrais faire. La revue des offres d’emploi est déprimante. Rien qui me fasse envie, sans même penser à l’intérêt que je pourrais moi-même susciter. Je me sens en dehors de ces histoires. Comme beaucoup d’autres à cet âge je pense à exercer comme consultant. J’ai sans aucun doute une expérience à apporter à des entreprises et je commence, tout en continuant à travailler, à élaborer des scénarios. Ma compagne me dit que je devrais reprendre la médecine – que j’ai abandonnée en 1986 pour travailler dans l’entreprise familiale. Cette idée saugrenue me glisse dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard. Je poursuis mes réflexions et commence à se faire jour un positionnement qui me semble assez séduisant : aider les PME à mettre en place un processus d’innovation. Je pense alors avoir suffisamment de connaissances en organisation, en management et en innovation pour devenir un interlocuteur intéressant. Ma compagne, imperturbable, me dit que je devrais reprendre la médecine et bien que saugrenue, je fini par accepter l’idée d’explorer aussi cette piste. Pour me remettre dans le bain je relis Patients si vous saviez qui me procure le même frisson de nostalgie que lors de ma première lecture à sa sortie, d’une traite, dans un train qui m’emmenait vers une nième réunion. Je m’achète également un ou deux bouquins de médecine pour mesurer l’écart qui existe entre mes souvenirs et la réalité, écart qui s’avère vertigineux.

IMG_0468

Je prends RV au conseil départemental de l’ordre des médecins pour connaître leur position par rapport à cette éventualité et l’on m’indique qu’il existerait un cycle destiné à remettre à jour les médecins ayant arrêté d’exercer mais sans me confirmer bien sûr que si jamais je réalisais ce cycle je pourrais alors m’inscrire au conseil de l’ordre, condition indispensable pour exercer la médecine dans ce pays. Ils ne manquent pas de me ressortir au passage qu’en 1986 Je n’avais pas payé ma cotisation. Faites-gaffe ils ont de la mémoire

Ces démarches et réflexions nous amènent courant mai 2014. J’entame alors un parcours un peu chaotique en vue de dégotter ce cycle de requalification – dont mon interlocuteur à l’ordre n’avait qu’une très vague connaissance – et le cas échéant de m’y inscrire. Sans trop y croire mais en me donnant du mal, je fini par déposer un dossier à l’Université de Paris 5 qui est la seule à proposer ce DIU de reconversion à la pratique de la médecine générale en région parisienne (c’est là que j’habite). Je mesurerai l’importance de mon désir de retourner dans cette voie sans m’en être aperçu plus tôt, le jour où, sans commentaire ni autre forme de procès, je recevrai une réponse négative à ma demande d’inscription. Malgré mon insistance je n’arriverai jamais à parler au responsable de ce DIU qui me fera dire par mail et par sa secrétaire de le recontacter dans un an car il compte peut-être mettre en place un cycle de 3 ans qui serait plus adapté à mon cas. Ce qui repousserait vers les 61 ans le début de ma carrière médicale et, bien que plutôt en forme, je trouve cela un peu tardif. Je ne citerai pas de noms.

Je me lance alors dans la recherche d’autres universités dispensant ce DIU et, aussi bien à Nantes qu’à Lyon, à Tours qu’à Rennes je découvre des gens charmants et bien intentionnés qui sont prêts à étudier mon dossier, acceptent de me parler au téléphone. Je revois Christian Lehmann, ancien camarade d’internat, dans son cabinet à Poissy pour qu’il me dise un peu comment ça marche, je commence à potasser.

IMG_0467Mi-juillet, alors que je mange un sandwich à midi au soleil au bord de la Saône – je travaille alors régulièrement dans une imprimerie du groupe qui m’emploie dans le coin et où j’ai installé mon unité de recherche de nouveaux produits – je reçois un mail du Département de Médecine Générale de Rennes : ils acceptent de me prendre dans leur DIU. Instant magique. Coup de fil à ma compagne. Alors c’est bien vrai, c’est possible. Nous n’y croyons pas encore. Mais quand même.

Les vacances d’été en Birmanie seront studieuses et à la rentrée, une fois en main l’autorisation officielle d’inscription au DIU, je négocie mon départ de l’entreprise. Fin octobre 2014 je la quitte pour me plonger entièrement dans la construction de cette nouvelle vie.

Le conseiller de Pôle Emploi trouve mon histoire intéressante et se démène pour que mon dossier avance bien. Courant novembre le principe du financement de ma formation est accepté et je peux m’inscrire officiellement à l’Université. Je commencerai le DIU le 1er décembre, soit 5 semaines après le départ de l’entreprise. Je serai rémunéré par Pôle Emploi pendant toute sa durée. Je ne pouvais pas imaginer mieux.

Le cerf

Je commence alors à m’attaquer à ce qui allait être le problème le plus complexe à résoudre : l’inscription au Conseil de l’Ordre. Le DIU comprend une première partie de stages chez le praticien (équivalents à des stages de niveau 1) puis une seconde partie de stages équivalents à des SASPAS (stage en autonomie avec supervision différée). Pour cette deuxième partie il est nécessaire d’être inscrit à l’Ordre des médecins. Mais pour l’Ordre, il n’est pas question de m’inscrire tant que je n’ai pas validé le diplôme. Les anglais appellent cela un catch 22, moi un merdier.

Je lance sur Twitter – que je commence à fréquenter – et par relations, divers appels qui aboutissent fin décembre 2014 à une lettre recommandée comminatoire du Conseil de l’Ordre de Paris refusant de m’inscrire ainsi que toute discussion supplémentaire.

Pendant ce temps là, j’ai passé quelques journées avec le Dr Bienveillant alias @LehmannDrC – mes premières journées en cabinet médical depuis 1986 – et j’ai démarré mon DIU à Rennes, ville que je découvre, accueillante, vivante, chaleureuse.

J’ai aussi poursuivi ma découverte de Twitter, monté un site personnel sur le modèle fourni par @L_Arnal, découvert le blog de Jean-Claude Grange (@docdu16), dont je ne saluerai jamais assez à quel point il m’a éclairé, celui de @Jaddo où j’ai pris des leçons de médecine générale que je n’aurai pas à la fac et aussi ceux de Sylvain Fèvre (@sylvainASK), @docteurmilie, @farfadoc, @Babeth_AS, ou @qffwffq pour n’en citer que quelques uns. Je me mets à écrire ces Chroniques, un moyen de creuser des sujets qui me tiennent à cœur ou que j’ai du mal à comprendre. Et de rendre la pareille : je suis tellement ébloui par l’apport de ces acteurs des réseaux sociaux que j’en deviens le promoteur, ce qui me conduira, sur la fin de mon cursus, à créer et donner un cours aux IMG de Rennes sur ce sujet avec deux médecins bretons qui ont depuis repris le flambeau.

Outre les stages qui composent la principale partie du DIU, je dois assister à un certain nombre d’heures de cours destinés aux Internes en Médecine Générale (IMG). Étant donné l’immensité de mes lacunes, je m’inscris à la quasi totalité d’entre-eux et me retrouverai ainsi, très régulièrement, au milieu d’une bandes de jeunes qui me regarderont de bout en bout comme un drôle d’oiseau. Et vice-versa. Je profiterai aussi des journées vides entre les cours et les stages pour glander découvrir les alentours de mon futur métier en passant une journée avec une infirmière, dans une pharmacie, chez une orthoptiste, chez un kinésithérapeute, chez une orthophoniste, chez une podologue. Ils sont tellement sympas à Rennes que personne ne refuse de m’accueillir.

klee24La principale difficulté est de trouver des maîtres de stage. A Rennes comme ailleurs, la pénurie de Maîtres de Stages Universitaires (MSU) est grande, la demande plus forte que l’offre. Mes dates se planifient quasi au jour le jour. Pendant les congés de Noël 2014, pour la première fois depuis des temps immémoriaux, mon agenda de l’année suivante est vierge. Tout est à construire. Didier Myhié, Christelle Certain, Alain Couatermanac’h et Bernard Brau me dégageront des jours et des demi-jours en faisant des efforts et m’offrant une formation que je ne suis pas près d’oublier. J’aurai quelques jours moins heureux chez le Dr F de sinistre mémoire.

Début 2015, un ex Président Départemental de l’Ordre des Médecins que j’avais sollicité par relations me donne la clé : si Paris ne veut pas m’inscrire je devrais essayer en province où les règles seront les mêmes mais la discussion plus facile. J’approche du moment où cette inscription va être indispensable pour le bon déroulé du cursus et je contacte l’Ordre des Médecins d’Ille-et-Vilaine. Comme j’ai une adresse en ville pour cette année, ça peut le faire. Là je suis reçu par des gens ouverts, souhaitant que j’y arrive, cherchant la bonne méthode, me posant mille questions. Je passe en commission. L’un des médecins chez qui je suis en stage en fait partie. Je ne suis plus un numéro mais quelqu’un que l’on connaît. Fin avril 2015, un mois avant de commencer mon stage type SASPAS, je reçois la confirmation de mon inscription à l’Ordre comme médecin n’exerçant pas. Une grosse étape est franchie. Reste à trouver des terrains de stage.

Parce qu’à Rennes ça coince. Pas le moindre MSU pour confier sa patientèle, même sous supervision différée, à un débutant de 57 ans. Enfin c’est ce que je me dis, la réalité étant sans doute qu’il n’y a pas de place disponible. Le responsable de la coordination du DMG me propose 18 jours en été chez lui. Cette année il ne peut pas quitter Rennes et il va pouvoir me suivre. Il reconnaît qu’il ne trouve pas d’autre terrain et me dit que je devrais chercher sur Paris parce que si je dois m’y installer autant que je commence à y travailler. Pas con mais je n’ai aucune relation médicale à Paris et 42 jours de stage à dégotter avant la fin de l’année !

Mais j’ai Twitter. Je contacte en direct les twittos avec lesquels je suis en relation et qui me semblent être à Paris ou proche banlieue. Je manque à un cheveu de faire affaire avec @docteurmillie qui me propose des samedi matin. Mais c’est Philippe Grunberg (@PhilippeGrunber) qui m’ouvre la première vraie voie : il me propose les lundi après-midi. Banco je prends. Ça se transformera en lundi entiers avec le matin en observation aux consultations du CSAPA puis à l’automne en plusieurs demi-journées par semaine, un de ses remplaçants habituel étant tombé malade.  S’y ajoutera la découverte d’un type adorable qui aura été mon meilleur maître de stage.

Entre-temps, à la suite d’une simple lettre de ma part produisant la validation de la première partie de mon DIU, L’Ordre des Médecins du 35 fait évoluer mon statut de médecin n’exerçant vers celui de médecin remplaçant ce qui me permet d’enchaîner sans soucis. Je les aime.

Dès le printemps 2015, j’ai commencé à tâter le terrain pour mon installation que je comptais bien réaliser le plus tôt possible en 2016. Ainsi la FEMASIF relaie-t-elle un courrier de ma part auprès des MSP en projet en IDF. J’aurai un seul retour, celui d’Alain Mercier qui ne débouchera pas sur une participation à sa MSP mais me permettra de trouver le nombre de jours de stage qui me manquaient.

En même temps je vois passer un tweet de @docteurgece racontant qu’elle va s’installer en MSP à Paris. Je la contacte et trois mois plus tard en septembre nous arrivons à trouver une date pour boire un café. Son projet est au complet mais elle me recommande de contacter Hector Falcoff, personnage incontournable du paysage médical du 13ème qui travaille à un autre projet. Sa MSP doit ouvrir en avril-mai 2016. Le timing est parfait. Le projet intéressant. Je commence à le regarder. Nous sommes en septembre, je vais finir mon DIU et arriver en fin de droits Pôle emploi fin octobre, j’ai besoin de travailler. Hector m’indique qu’une consœur cherche un remplaçant rue Clisson. Elle travaille désormais à temps partiel et se fait remplacer plusieurs demi-journées par semaine de manière très régulière. Sa remplaçante actuelle doit accoucher et ne souhaite pas revenir ensuite, celle qui doit lui succéder n’est pas disponible avant mi-janvier. Je signe pour deux mois avec démarrage prévu le 16 novembre, le lendemain de ma soutenance de mémoire (ça parle de la prise de décision partagée et je l’ai résumé ici alors je ne vais pas m’étendre) qui clôt le DIU.

Ma vie d’étudiant se termine. Ce fut une bien belle année. Je souhaite à tout le monde d’avoir de si belles occasions.

Peu avant Noël Marion Marçais, ma remplacée, m’apprend que la remplaçante prévue mi-janvier ne va pas venir. Elle s’installe quelque part. Comme entre temps je n’ai pas trouvé ce qui s’appelle la queue d’un remplacement pour la suite (1 jour ici ou là disons) et que je commence à penser que m’installer dans ce cabinet (où il y a une salle de consultation vide) serait une option intéressante, je prends sans hésiter. Nous signons pour 3 mois de plus, jusqu’à mi-avril 2016. Début janvier 2016 nous concluons les termes d’une future collaboration et je renonce au projet de MSP sans aucun regret. J’y avais cru un moment mais la somme de contraintes et les délai du projet s’avéraient bien moins attractifs (sans compter les coûts fixe plus élevés, ne perdons pas le nord). La suite est assez simple : démarches administratives, plans sur la comète, travaux de rafraîchissement, mise en réseau de l’informatique, commande de matériel. Et enfin, cette semaine, deux ans pile après avoir décidé de changer de vie sans savoir encore laquelle j’allais mener, je pose ma plaque. Ravi.

Illustrations : Paul Klee

Docteur F, je ne veux pas être ton complice

Être stagiaire en médecine générale cela veut dire assister et participer à des consultations auprès de quelques médecins généralistes dits MSU ou Maîtres de Stage Universitaires. Ces médecins sont formés de manière à accueillir et former les stagiaires. Il s’agit pour ces derniers d’une expérience passionnante permettant des rencontres de Médecins Généralistes qui aiment leur métier, le font aimer, et la découverte de pratiques très différentes, tenant aux goûts, à l’expérience spécifique et à la personnalité des divers Maîtres de Stage.

Ça c’est quand ça se passe bien, quand il y a un minimum d’atomes crochus entre les deux acteurs. Je reviendrai dans un futur billet sur la richesse de ces rencontres à deux avec les patients, souvent ravis d’avoir deux docteurs « pour le prix d’un ». Mais je voudrais aujourd’hui vous raconter le cas opposé, quand d’atomes crochus il n’y en a pas un.

Je devais donc démarrer un stage avec le Docteur F. par un premier après-midi et nous étions convenus de déjeuner ensemble pour faire connaissance avant les consultations. A la fin de la matinée, je pris place à bord de sa luxueuse berline pour rejoindre un restaurant chinois de ses habitudes où me fut servi un plat chaud mais froid et pas bon, sans que j’ai eu l’occasion de commander quoique ce soit. Je ne suis pas difficile question table, mais rétrospectivement je ne peux voir dans cette minuscule anecdote que le signe du mépris avec lequel le Docteur F m’a immédiatement traité. L’addition fut bien sûr partagée.

Avant de rejoindre le cabinet nous avions deux patients à voir en EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes). Il avait été appelé pour le premier au motif qu’il était encombré. Après quelques couloirs et escaliers au pas de charge nous nous retrouvons dans la chambre d’un homme fort âgé, allongé sur son lit, râlant un peu et effectivement pas dans une forme olympique. A ce moment le Docteur F me tend le tensiomètre et un stéthoscope, s’assoit à la table et me dit : « tu l’auscultes et tu prends sa tension pendant que je fais l’ordonnance, comme ça on gagnera du temps ». Et de prescrire Oflocet, un antibiotique puissant. Pour ce qui concerne la patiente suivante, nettement plus fraîche, même scénario mais non explicité cette fois. Je l’examine pendant qu’il fait l’ordonnance et discute avec elle. Confidence en sortant de l’EPHAD : « tu sais moi les p’tits vieux c’est pas ma tasse de thé ». Le décor était posé.

L’après-midi de consultation au cabinet fut tout aussi surprenant. Les maîtres mots du Docteur F. sont efficacité, productivité, ne pas perdre de temps. Les modèles d’ordonnances pré-rédigées dans le système informatique sont d’une prodigieuse efficacité à cet effet. Le modèle Rhinite Virale avec son amoxycilline « évite de perdre du temps avec un patient qui revient au bout de trois jours pour avoir un antibiotique », le modèle Verrues renseigné lors de la dernière visite médicale avec le produit vanté par le laboratoire évite de rechercher le prospectus…

big_pharma

« J’ai horreur de voir revenir les patients au bout de trois jours » affirme-t-il. D’où une prescription d’antibiotique – à démarrer sous 48H si pas d’amélioration (sic) – systématique devant toute toux, rhinopharyngite etc. Le plus souvent de l’Augmentin parce que « l’amoxycilline ça ne couvre pas l’haemophilus et que ce n’est pas la peine de faire revenir les gens ». A ma grande consternation, j’ai vu en un après-midi plus de prescriptions d’Augmentin que depuis le début de ma formation ! Quand on sait qu’il s’agit d’un antibiotique de seconde intention, c’est-à-dire qu’on ne le prescrit en général que quand un premier antibiotique n’a pas marché et ce afin de préserver son efficacité, que l’on connait le péril actuel de la résistance aux antibiotiques, ce comportement est juste effrayant.

Rapidement il me propose de voir seul des patients dans la salle attenante. A ma grande joie. En toute logique, il passe en fin de consultation me montrer les rudiments de l’utilisation du système informatique et valider mes prescriptions auxquelles il rajoute systématiquement antibiotiques ou corticoïdes.

91442115 « Non mais tu as vu la toux qu’elle a Madame KeufKeuf, ça va jamais s’arrêter comme ça ». Et hop Solupred. Par petites touches, en fin d’après midi, je sais gérer une consultation sans le système informatique, prendre la carte vitale et encaisser les paiements par carte bleue. Je suis opérationnel pour la prochaine fois. Il pourra sûrement prendre un peu plus de RV et m’en confier une partie. Ça c’est de la productivité.

Quand je suis en consultation avec lui, les rôles sont biens établis : il fait la conversation (n’employons pas de gros mots comme anamnèse) et les papiers, moi je fait la clinique : « le docteur Blanc va vous examiner »… Faut pas que je traîne, je le sens bien, parce que la prise en charge est déjà faite dans la tête du bon docteur F et la perte de temps liée à l’examen clinique ne doit pas être excessive. Il a mal le monsieur, il a une contracture douloureuse du trapèze. Donc anti-inflammatoires. A quoi bon perdre du temps pour découvrir qu’il passe son temps avec le téléphone coincé entre épaule et oreille pour prendre des notes et fabrique sa contracture comme cela ? Que la solution c’est sans doute de mettre une oreillette ?

Grâce à lui j’ai quand même découvert une méthode de contraception que je ne connaissais pas : l’anneau vaginal, proposé à une jeune file qui envisageait un implant. Elle n’était pas chaude chaude à la lecture du prospectus du laboratoire qu’il lui présentait, d’autant que la méthode n’est pas remboursée par la sécurité sociale, pas à l’aise à l’idée de se glisser cet anneau dans le vagin, de ne pas savoir comment le mettre, de risquer qu’il ne reste pas en place. Mais les arguments du docteur F. étaient solides : ça ne coûte pas plus cher que deux paquets de cigarettes, ton copain ne sentira rien, toutes les filles qui l’ont essayé m’en redemandent, tu vas voir c’est super. Elle a fini par se laisser convaincre. Un modèle de décision partagée !

Oui parce que le Docteur F tutoie tous ses patients. Rien à voir avec le Docteur B dont j’avais parlé ici. Là on est dans le paternalisme le plus parfait, Dieu le père parlant à ses enfant et leur dispensant la bonne parole.

J’ai aussi eu droit à une petite visite guidée du cabinet, spacieux, clean et un des mieux rangés que j’ai vus je dois dire. Tout doit être à sa place pour ne pas perdre de temps. On y revient ! « Là ce sont les boites pour ranger les médicaments que nous donnent les labos. Bon là il n’y en a presque plus car malheureusement on en reçoit beaucoup moins qu’avant ». « Alors là toute la paperasse c’est la secrétaire qui gère, qui commande quand il y en a besoin. Elle fait aussi la compta, prépare les papiers pour les ALD, etc. Il faut prendre une secrétaire au moins niveau secrétaire de direction et qu’elle fasse tout l’administratif. Ça ne coûte pas plus cher et ça t’évite de perdre du temps ». Productivité quand tu nous tiens !

Tout patient fumeur se voit sermonné sur son addiction. « A ben là comme tu fumes je suis obligé de te mettre des antibiotiques sinon tu ne vas pas guérir ». L’anti-thèse de l’approche motivationnelle. Comme bien souvent le moralisateur n’est pas net. Je m’en rend compte lorsqu’il s’absente pour passer un coup de fil en me laissant avec un patient, et revient 10 minutes plus tard… sentant le tabac !

ppdgnolCerise sur le gâteau, tout l’après-midi le Docteur F. m’a présenté comme « un copain qui est venu me donner un coup de main ». Je ne suis pas bégueule mais pourquoi ne pas me présenter comme ce que je suis, stagiaire en reconversion à la MG, ce que font les autres praticiens chez lesquels je vais et ce qui ne crée aucun problème avec les patients ? Pourquoi accueillir chacun de ses patients avec un mensonge inutile ? Pourquoi introduire une complicité que nous n’avons manifestement pas ? Complicité ! C’est bien cela. En me rendant complice de ses pratiques il écarte tout risque de discussion. Le copain ne va quand même pas discuter devant les patients ses choix thérapeutiques. Le copain partage forcément l’approche médicale du Docteur F. Les patients peuvent être rassurés et le Docteur F. tranquille : il ne perdra pas de temps en discussions et échanges inutiles. Et ses patients pourront continuer de l’admirer et lui de les séduire par tous les moyens.

Mais moi, Docteur F, je ne veux pas être ton complice, je ne veux pas me laisser polluer par tes pratiques douteuses, par ta formation thérapeutique réalisée exclusivement par la visite médicale, par ta relation patient – médecin exclusivement basée sur la séduction et le paternalisme. Non Docteur F. ce n’est pas cela que je suis venu chercher en reprenant la médecine. Merci de m’avoir aidé à en être maintenant parfaitement convaincu.