Docteur F, je ne veux pas être ton complice

Être stagiaire en médecine générale cela veut dire assister et participer à des consultations auprès de quelques médecins généralistes dits MSU ou Maîtres de Stage Universitaires. Ces médecins sont formés de manière à accueillir et former les stagiaires. Il s’agit pour ces derniers d’une expérience passionnante permettant des rencontres de Médecins Généralistes qui aiment leur métier, le font aimer, et la découverte de pratiques très différentes, tenant aux goûts, à l’expérience spécifique et à la personnalité des divers Maîtres de Stage.

Ça c’est quand ça se passe bien, quand il y a un minimum d’atomes crochus entre les deux acteurs. Je reviendrai dans un futur billet sur la richesse de ces rencontres à deux avec les patients, souvent ravis d’avoir deux docteurs « pour le prix d’un ». Mais je voudrais aujourd’hui vous raconter le cas opposé, quand d’atomes crochus il n’y en a pas un.

Je devais donc démarrer un stage avec le Docteur F. par un premier après-midi et nous étions convenus de déjeuner ensemble pour faire connaissance avant les consultations. A la fin de la matinée, je pris place à bord de sa luxueuse berline pour rejoindre un restaurant chinois de ses habitudes où me fut servi un plat chaud mais froid et pas bon, sans que j’ai eu l’occasion de commander quoique ce soit. Je ne suis pas difficile question table, mais rétrospectivement je ne peux voir dans cette minuscule anecdote que le signe du mépris avec lequel le Docteur F m’a immédiatement traité. L’addition fut bien sûr partagée.

Avant de rejoindre le cabinet nous avions deux patients à voir en EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes). Il avait été appelé pour le premier au motif qu’il était encombré. Après quelques couloirs et escaliers au pas de charge nous nous retrouvons dans la chambre d’un homme fort âgé, allongé sur son lit, râlant un peu et effectivement pas dans une forme olympique. A ce moment le Docteur F me tend le tensiomètre et un stéthoscope, s’assoit à la table et me dit : « tu l’auscultes et tu prends sa tension pendant que je fais l’ordonnance, comme ça on gagnera du temps ». Et de prescrire Oflocet, un antibiotique puissant. Pour ce qui concerne la patiente suivante, nettement plus fraîche, même scénario mais non explicité cette fois. Je l’examine pendant qu’il fait l’ordonnance et discute avec elle. Confidence en sortant de l’EPHAD : « tu sais moi les p’tits vieux c’est pas ma tasse de thé ». Le décor était posé.

L’après-midi de consultation au cabinet fut tout aussi surprenant. Les maîtres mots du Docteur F. sont efficacité, productivité, ne pas perdre de temps. Les modèles d’ordonnances pré-rédigées dans le système informatique sont d’une prodigieuse efficacité à cet effet. Le modèle Rhinite Virale avec son amoxycilline « évite de perdre du temps avec un patient qui revient au bout de trois jours pour avoir un antibiotique », le modèle Verrues renseigné lors de la dernière visite médicale avec le produit vanté par le laboratoire évite de rechercher le prospectus…

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« J’ai horreur de voir revenir les patients au bout de trois jours » affirme-t-il. D’où une prescription d’antibiotique – à démarrer sous 48H si pas d’amélioration (sic) – systématique devant toute toux, rhinopharyngite etc. Le plus souvent de l’Augmentin parce que « l’amoxycilline ça ne couvre pas l’haemophilus et que ce n’est pas la peine de faire revenir les gens ». A ma grande consternation, j’ai vu en un après-midi plus de prescriptions d’Augmentin que depuis le début de ma formation ! Quand on sait qu’il s’agit d’un antibiotique de seconde intention, c’est-à-dire qu’on ne le prescrit en général que quand un premier antibiotique n’a pas marché et ce afin de préserver son efficacité, que l’on connait le péril actuel de la résistance aux antibiotiques, ce comportement est juste effrayant.

Rapidement il me propose de voir seul des patients dans la salle attenante. A ma grande joie. En toute logique, il passe en fin de consultation me montrer les rudiments de l’utilisation du système informatique et valider mes prescriptions auxquelles il rajoute systématiquement antibiotiques ou corticoïdes.

91442115 « Non mais tu as vu la toux qu’elle a Madame KeufKeuf, ça va jamais s’arrêter comme ça ». Et hop Solupred. Par petites touches, en fin d’après midi, je sais gérer une consultation sans le système informatique, prendre la carte vitale et encaisser les paiements par carte bleue. Je suis opérationnel pour la prochaine fois. Il pourra sûrement prendre un peu plus de RV et m’en confier une partie. Ça c’est de la productivité.

Quand je suis en consultation avec lui, les rôles sont biens établis : il fait la conversation (n’employons pas de gros mots comme anamnèse) et les papiers, moi je fait la clinique : « le docteur Blanc va vous examiner »… Faut pas que je traîne, je le sens bien, parce que la prise en charge est déjà faite dans la tête du bon docteur F et la perte de temps liée à l’examen clinique ne doit pas être excessive. Il a mal le monsieur, il a une contracture douloureuse du trapèze. Donc anti-inflammatoires. A quoi bon perdre du temps pour découvrir qu’il passe son temps avec le téléphone coincé entre épaule et oreille pour prendre des notes et fabrique sa contracture comme cela ? Que la solution c’est sans doute de mettre une oreillette ?

Grâce à lui j’ai quand même découvert une méthode de contraception que je ne connaissais pas : l’anneau vaginal, proposé à une jeune file qui envisageait un implant. Elle n’était pas chaude chaude à la lecture du prospectus du laboratoire qu’il lui présentait, d’autant que la méthode n’est pas remboursée par la sécurité sociale, pas à l’aise à l’idée de se glisser cet anneau dans le vagin, de ne pas savoir comment le mettre, de risquer qu’il ne reste pas en place. Mais les arguments du docteur F. étaient solides : ça ne coûte pas plus cher que deux paquets de cigarettes, ton copain ne sentira rien, toutes les filles qui l’ont essayé m’en redemandent, tu vas voir c’est super. Elle a fini par se laisser convaincre. Un modèle de décision partagée !

Oui parce que le Docteur F tutoie tous ses patients. Rien à voir avec le Docteur B dont j’avais parlé ici. Là on est dans le paternalisme le plus parfait, Dieu le père parlant à ses enfant et leur dispensant la bonne parole.

J’ai aussi eu droit à une petite visite guidée du cabinet, spacieux, clean et un des mieux rangés que j’ai vus je dois dire. Tout doit être à sa place pour ne pas perdre de temps. On y revient ! « Là ce sont les boites pour ranger les médicaments que nous donnent les labos. Bon là il n’y en a presque plus car malheureusement on en reçoit beaucoup moins qu’avant ». « Alors là toute la paperasse c’est la secrétaire qui gère, qui commande quand il y en a besoin. Elle fait aussi la compta, prépare les papiers pour les ALD, etc. Il faut prendre une secrétaire au moins niveau secrétaire de direction et qu’elle fasse tout l’administratif. Ça ne coûte pas plus cher et ça t’évite de perdre du temps ». Productivité quand tu nous tiens !

Tout patient fumeur se voit sermonné sur son addiction. « A ben là comme tu fumes je suis obligé de te mettre des antibiotiques sinon tu ne vas pas guérir ». L’anti-thèse de l’approche motivationnelle. Comme bien souvent le moralisateur n’est pas net. Je m’en rend compte lorsqu’il s’absente pour passer un coup de fil en me laissant avec un patient, et revient 10 minutes plus tard… sentant le tabac !

ppdgnolCerise sur le gâteau, tout l’après-midi le Docteur F. m’a présenté comme « un copain qui est venu me donner un coup de main ». Je ne suis pas bégueule mais pourquoi ne pas me présenter comme ce que je suis, stagiaire en reconversion à la MG, ce que font les autres praticiens chez lesquels je vais et ce qui ne crée aucun problème avec les patients ? Pourquoi accueillir chacun de ses patients avec un mensonge inutile ? Pourquoi introduire une complicité que nous n’avons manifestement pas ? Complicité ! C’est bien cela. En me rendant complice de ses pratiques il écarte tout risque de discussion. Le copain ne va quand même pas discuter devant les patients ses choix thérapeutiques. Le copain partage forcément l’approche médicale du Docteur F. Les patients peuvent être rassurés et le Docteur F. tranquille : il ne perdra pas de temps en discussions et échanges inutiles. Et ses patients pourront continuer de l’admirer et lui de les séduire par tous les moyens.

Mais moi, Docteur F, je ne veux pas être ton complice, je ne veux pas me laisser polluer par tes pratiques douteuses, par ta formation thérapeutique réalisée exclusivement par la visite médicale, par ta relation patient – médecin exclusivement basée sur la séduction et le paternalisme. Non Docteur F. ce n’est pas cela que je suis venu chercher en reprenant la médecine. Merci de m’avoir aidé à en être maintenant parfaitement convaincu.

21 réflexions au sujet de « Docteur F, je ne veux pas être ton complice »

  1. Ce billet me ramène qqn années dans le passé quand j’étais interne en stage chez le prat ( comme on disait à l’époque!!) Quelle horreur,j’ai vécu la même chose chez un de mes 2 médecins généralistes..prescriptions à outrance et non justifiées, prescriptions dignes de la 4ème dimension, des patients non examinés, des ordos pré-faites….et je ne parle pas des consultations facturées en plus ( vive la carte vitale et la cmu) pour plusieurs membres de la famille alors qu’un seul consultait!! Bref, ces médecins sont tout de même payés par la faculté pour nous « former »!! Moi celui ci m’a appris ce que je ne voulais pas être et comment je n’envisageais pas de pratiquer la médecine…..

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  3. Bonsoir,
    Ce billet est gratiné.
    Cela dit, quand je décris parfois, trop souvent au gré de mes lecteurs (et futurs non lecteurs), des pratiques « curieuses » on me reproche de cracher dans la soupe, de ne pas être confraternel, de manquer de tact, mais quand je lis cela, je suis à cent lieues de ce que je rapporte…
    Parce que, des médecins comme cela, j’en ai connu, mais ils étaient aussi et malgré cela, chaleureux, fraternels, empathiques… Ils n’étaient pas aussi « noirs » que celui là.
    Enfin, qu’il soit MSU… me montre que les khons existent dans chaque spécialité, adoubés ou non par la Faculté…
    Merci donc. Mais il est bon de dénoncer et de ne pas rester « entre nous », dans notre entre soi, avec la peur d’être traîné devant le conseil de l’ordre et d’être condamné, faute de preuves.
    Merci encore.
    Et : courage.

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    • Il n’est pas exclu que des qualités m’aient échappées, il n’y a eu qu’un après midi. J’étais assez estomaqué et somme toute concentré sur les patients. Les retours ici et sur Twitter montrent que je ne suis pas le 1er à faire ce type d’expérience.

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      • A Pierre et Marie Curie aussi: évaluation par les étudiant à la fin du stage et on peut en prendre connaissance quelques semaines plus tard, histoire d’éviter les représailles ? ;-))))

        C’est tout à fait normal, il me semble que la faculté doive garantir un minimum de sérieux aux futurs MG

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  4. C’est une blague ? Il fout de l’Augmentin sur toutes les rhinos virales?!il est dingue ce type…Dire que j’hésite pendant 2h dès que je fais une prescription d’amox…

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  5. Waouh, bravo! j’adore vous lire! Un médecin dans ce genre (rentabilité, productivité, ordo préétablies… mais sans le tutoiement) sévit (je ne peux dire exerce) très près (trop) de la pharmacie dans laquelle j’officie et j’ai honte quand je dispense ses ordonnances.
    Nous avons les circuits « rhinite virale », « angine virale », « pharyngite avec toux »… tiroir n°2 en haut à gauche, réfrigérateur, option 1 oblique à droite vers l’étagère du fond, option 2 virage vers l’armoire d’homéopathie (le docteur Abc ne recule devant aucune thérapeutique inutile), retour par l’étagère conseil du milieu.
    Nous constatons souvent un lien approximatif avec les symptômes décrit par le patient : un décongestionnant nasal chez celui qui ne se plaint d’aucune gêne à ce niveau, un antitussif pour un autre qui ne tousse ni gras ni sec ni de jour ni de nuit. Sans doute le docteur Abc est un peu devin et anticipe-t’il les symptômes (futures graves complications) à venir. Pour honorer les prescriptions du docteur Abc, nous savons qu’il faut toujours 2 flacons du sirop bronch’pax, 1 spray de dolivox, 3 boites de cétamol… Parfois une « nouveauté » s’insinue dans le ronronnement habituel qu’il faut vite intégrer au stock et réassortir en conséquence car si le docteur Abc adopte une « nouveauté », il s’emballe et la « case » dès que possible!
    Je me sens complice, prise en otage. Plus ou moins réduite au silence. Parfois j’ose questionner le patient sur le diagnostic, émettre un doute sur l’utilité de telle ou telle ligne de la prescription, chassant l’éventuelle contre-indication, précaution d’emploi, effet indésirable qui pourra servir d’argument pour démotiver le patient d’avaler n’importe quoi. Je tente un « si le docteur vous a dit que c’était viral ne prenez pas l’antibiotique ». Mais décrier ces prescriptions ouvertement est impossible et le sous-entendu souvent sans effet; et quelle est ma compétence pour juger de leur pertinence? Certaines d’entre elles doivent être justifiées!
    Enfin aux yeux du titulaire de l’officine, c’est un peu grâce au Docteur Abc à que le commerce tourne…

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    • Je vous répondrai juste sur un point : je prescris toujours la même chose, non par routine, mais pour savoir exactement ce que je prescris, la forme et la couleur, le boîtage, le goût. C’est mon côté obsessionnel.

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    • Je me suis dit que ce ne devait pas étre facile â vivre pour les pharmaciens ou infirmières.ers honnêtes de devoir réaliser des prescriptions manifestement absurdes. D’autant que la fuite n’est pas une solution possible. A contrario j’ai été chez un médecin dont la plupart des ordonnances se résumaient à doliprane. Je me disais que le pharmacien ne devait pas l’adorer.

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  6. J’ai eu le droit au même modèle, étant sa première stagiaire j’espère que mes retours très négatifs au DUMG le feront vite sortir de la liste des MSU dommage un seul avis négatif n’était pas suffisant pour eux… Heureusement les 2 autres praticiens étaient vraiment top et ne m’ont pas dégouté d’un jour m’installer.

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  7. Oh Mon Dieu j’ai le même médecin ! augmentin, nexen (enfin nabucox maintenant), izilox & co.
    Et il accueille des internes chaque semestre…

    Ici, le pharmacien et le médecin se reçoivent à dîner ou à l’apéro, et comme nous sommes en campagne, nous avons moultement les mains liées.

    Ici je ne dis rien, sauf lorsque le patient émet des doutes, alors on discute. Mais je me suis déjà fait souffler dans les bronches… Pas simple le rôle du pharmacien, on se sent vite impuissant et obsolète.

    Reste à changer ce que l’on peut, et faire de bons conseils OTC EBM !

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  8. Il y en a au moins un ou 2 ds chaque fac. Je pense que la fac le sais mais quelle ne dit rien par manque de msu. Je me rappelle d’un prat qd jetais en stage, je l’appelais ouvertement antibioman a la fin. Il n’osait pas bosser a côté en parallèle mais me laissait regulierement pour aller faire le tour de ses apparts en location…..

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  9. Ping : Deux ans à toute vapeur ! | Chroniques d'un jeune médecin quinquagénaire

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