Une magnifique leçon de médecine générale

En stage chez la Dre D. j’ai reçu fin décembre la meilleure leçon de médecine générale de mon premier module du DIU de reconversion à la MG. J’en ai encore des frissons rien que d’y penser.

Nicole, la cinquantaine avait pris deux rendez-vous. Un pour elle – la Dre D. est son médecin traitant – et un pour sa mère de 82 ans que la Dre D. ne connait pas. Une patiente de cet âge habitant le coin et qui vient en première consultation ça sentait le truc indémerdable.

Nous sommes en Bretagne, Madame Nouenpatic qui ne se déplace qu’avec difficultés garde le sourire, est bien coiffée, bien habillée et fort courtoise. Mais elle a mal. Cela fait des années qu’elle a mal et que les médecins ne trouvent pas ce qu’elle a, n’arrivent pas à la soulager de ses douleurs. Elle a déjà eu tellement d’examens complémentaires (qui n’ont « rien trouvé ») que ça doit représenter au moins la moitié du déficit de la sécu. Elle a pris du Lyrica pendant deux ans et ça ne va pas mieux.

En tant qu’observateur, je suis intrigué. Je n’ai aucune idée de comment je pourrais aborder cette situation dont j’ai appris qu’elle est si difficile à résoudre, si résistante aux traitements. En mon for intérieur je suis bien content de ne pas devoir l’affronter moi-même et je me demande comment la Dre D. va se sortir de cette consultation. Par quel bout va-t-elle prendre le sujet ?

Et bien par le bon bout tout simplement, celui de la médecine de la personne, telle fut la démonstration à laquelle j’assistai ce jour-là.

La mémoire de la douleur

D’abord un interrogatoire précis sur l’historique et la description de la douleur suivi d’un examen clinique rapide confirment sans ambiguïté le caractère neuropathique de la souffrance. On est rassuré sur l’organique : Mme Nouenpatic n’a effectivement « rien ».

Ensuite une chose simple et essentielle : lui expliquer ce qu’elle a, ce que l’on va faire et pourquoi :

« Vos douleurs ne correspondent à aucun problème organique. Votre hanche est bien réparée (prothèse), votre bassin aussi tout comme le reste. Il n’y a aucun besoin de faire d’autres examens. Ce qui se passe c’est que lors de votre intervention on a coupé certains nerfs. Vous avez sûrement entendu parlé des douleurs des amputés qui ont encore mal alors qu’ils n’ont plus de membres. Ce qui vous arrive est la même chose. On ne peut pas soigner cela avec des médicaments contre la douleur mais il y a des médicaments qui peuvent vous aider. Je vais vous prescrire 10 gouttes de Laroxyl à prendre le soir. C’est une petite dose. Il faut qu’on y aille progressivement. Ça va être long, ça ne va pas marcher tout de suite, il faut du temps pour que la mémoire de la douleur disparaisse. En cas de besoin on augmentera doucement la dose. Et on arrivera à diminuer et peut-être à faire disparaître cette douleur, on verra, il faudra de la patience…. »

C’est tout.

« Alors c’est pour ça que j’ai mal ! On ne me l’avait jamais expliqué. Je vous remercie. C’est très clair maintenant. Mais pourquoi on ne me l’a jamais dit… »

L’expression de satisfaction, de soulagement, d’illumination devrais-je dire que j’ai alors lue, aussi bien sur le visage de la mère que de la fille, je ne suis pas près de l’oublier. Les mots avaient été compréhensibles, entendus, reçus, bienfaisants. Bien plus déterminants à ce stade que la prescription d’amitriptyline. Elles n’étaient pas seulement soulagées de savoir qu’il n’y avait « rien », mais aussi soulagées de comprendre. Je mets au féminin pluriel car c’était impressionnant de voir à quel point les sentiments semblaient partagés entre mère et fille. La douleur avait changé de statut. Une étape clé venait d’être franchie : on saurait mieux demain sans doute comment lutter contre ce mal

Cela faisait longtemps qu’elle cherchait à y voir clair et qu’on n’avait pas réussi à l’aider Madame Nouenpatic. On avait refusé d’aborder avec elle le problème de front (une douleur causée par environ rien, qui va durer et pour laquelle on ne peut environ pas grand chose) en poursuivant les examens et les faux espoirs de trouver quelque chose. On n’était arrivé à rien. Et pour cause : c’est d’elle qu’il fallait s’occuper, pas de sa hanche.

Merci Dre D. de m’avoir permis de si bien comprendre cela.

PS 1- par la suite ces douleurs se sont bien améliorées même si pas disparues complètement.
PS 2 – un article sur les douleurs neuropathiques a été publié par Qffwffq sur son blog. Sa lecture est indispensable pour qui veut comprendre de quoi il s’agit.

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