Comment l’INCa prend les MG pour des cons

Je le sais, la question intéressante c’est : pourquoi l’institut national du cancer prend-il les médecins généralistes pour des cons ? Je ne sais pas y répondre mais si vous avez des idées les commentaires sont ouverts.

Je me contenterai donc de répondre à la première au travers d’un bref commentaire critique de l’opuscule dont l’INCa fait actuellement la promotion auprès des médecins généralistes ((bornés)) et que l’on peut retrouver ici et où on nous demande « Ce document doit être cité comme suit : © Cancers du sein /du diagnostic au suivi, INCa, novembre 2016. » C’est fait.

Il est également indiqué que cette plaquette est destinée à aider les ((cons de)) MG dans leur pratique en cancérologie. Et ce à partir de “bonnes” pratiques, etc. qu’il entre dans le cadre d’une collection “Outils pour la pratique” à destination des ((connards de)) médecins généralistes. Enfin on nous averti : Les informations figurant dans ce document peuvent être réutilisées dès lors que : (1) leur réutilisation entre dans le champ d’application de la loi N°78- 753 du 17 juillet 1978 ; (2) ces informations ne sont pas altérées et leur sens dénaturé ; (3) leur source et la date de leur dernière mise à jour sont mentionnées. (c’est moi qui souligne)

Je traduis : La parole sacrée de l’INCa ne peut être dénaturée sous peine de se faire déporter sur les rives du lac Titicaca. Ce qui figure dans ce minuscule opuscule est parole divine.

Dénaturons

Deux notions sont absentes de cet opuscule (si si cherchez bien vous verrez) : celles de surdiagnostic et de celle de surtraitement. Je ne ferai pas l’affront à mes lecteurs de penser qu’ils ignorent ces concepts qui sont au centre de la problématique du dépistage organisé du cancer du sein. De multiples articles, études, billets de blog etc. y ont été consacrés (plein de références ici). Mais en novembre 2016 l’Inca considère que les MG sont tellement cons, qu’ils ne sont tellement pas au courant de l’importance de ces questions qu’il suffit de ne pas en parler dans un fascicule de référence consacré au diagnostic et au suivi du cancer du sein pour que ces notions disparaissent. La politique de l’autruche comme principe de communication. Le droit divin.

Pourtant ils nous parlent bien de dépistage. Dès le début. Mais c’est uniquement pour indiquer qu’il s’agit d’un des deux facteurs ayant “permis une amélioration de la survie nette à 5 ans”. Et oui, l’INCa en est resté là ! C’est toujours la survie nette à 5 ans qui est LE critère pour évaluer le progrès. Et bien sûr elle s’est améliorée (ne demandez pas dans quelle proportion d’ailleurs ce n’est pas une donnée que l’on va donner aux ploucs). Grâce aux progrès thérapeutiques et au dépistage on est maintenant à 87% de survie nette à 5 ans. Avalez ça les idiots et digérez bien. Le Lead Time Bias ou biais d’avance au diagnostic ça n’existe pas. Alors même que l’étude (à laquelle participe l’INCa) citée dans l’opuscule en parle de manière précise : « par exemple, pour le cancer de la prostate, l’amélioration majeure de la survie nette standardisée, passée de 72 % à 5 ans pour les cas diagnostiqués en 1989-1993, à 94 % pour ceux diagnostiqués en 2005-2010, est principalement due à l’avance au diagnostic du fait du dépistage individuel par le dosage de l’antigène spécifique de la prostate (PSA) à partir des années 1990. Ce phénomène d’avance au diagnostic peut aussi expliquer en partie les améliorations de la survie pour toutes les autres localisations mentionnées précédemment (étude que l’on peut télécharger ici ).

Mais on ne va pas embêter ces zozos de MG avec des notions aussi complexes. Censurons, seul le progrès fait foi ! Pour rappel, le schéma qui explique ce biais et que je permet à l’INCa d’utiliser, mais sans le dénaturer SVP.

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Passons sur l’énumération des facteurs de risque (Âge, ATCD familiaux, ATCD de radiothérapie thoracique d’abord, surpoids et obésité, durée de l’exposition aux hormones – on ne nous précise pas lesquelles – tabagisme et consommation d’alcool ensuite). Elle me semble correcte. Notons l’incise sur la clope qui est mauvaise mauvaise pour le cancer du sein. Je n’ai pas les données pour vérifier les chiffres, je note juste que quand on me dit “un fumeur aura 80% plus de chances d’arrêter s’il reçoit l’aide d’un professionnel de santé” je préfèrerais des chiffres en valeur absolue, mais ne demandons pas la lune.

Enfin on nous explique sans sourciller que 90% des cancers du sein sont découverts grâce au dépistage (alors qu’ils sont asymptomatiques) et 10% parce qu’ils sont symptomatiques (en local ou en métastase). J’ai beau regarder l’ensemble des références bibliographiques fournies et faire des recherches : pas moyen de voir d’où sort ce chiffre.

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Ce dépistage dont on nous cause ne peut pas être le dépistage “organisé” (auquel seules 52% des femmes de 50 à 74 ans participent, voir ici). En effet le dépistage organisé ne permet de détecter “que” 15 000 cancers du sein par an (chiffres retrouvés dans une étude HAS page 72) sur un total de 54 000 nouveau cas par an, (chiffres du fascicule) soit 27%. Manque 63%.

img_2057L’Inca a beau nous préciser ici que 10% des femmes ciblées par le dépistage ont recours au dépistage individuel, on a encore du mal à comprendre ce que signifie ce chiffre de 90%. Ajoutons que si ce chiffre est vrai, alors il ne faut pas se faire dépister, puisque dans la population non dépistée (population plus grande que l’autre puisqu’aux 48% de femmes de 50 à 74 ans ne participant pas au dépistage s’ajoutent les femmes de moins 50 ans et de plus de 74 ans)  on ne trouve que 10% des cancers du sein.

Spéculation : je trouve dans ce document de l’Inca à destination des professionnels  la phrase suivante : Le dépistage par mammographie permet de détecter, avant tout symptôme, 90 % des cancers du sein”. Serait-ce que le stagiaire a mal compris et transformé la phrase en “90% des cancers du sein sont découverts grâce au dépistage ?”

Je dénature, je dénature…

Voilà, je rêve du jour où ce type d’instance diffusera des informations en place de la propagande. On est en début d’année. N’est-ce pas le moment d’exprimer des vœux ?
PS. J’ai déjà écrit sur le sujet, mais ils m’énervent..

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Pourquoi la Prise de Décision Partagée en médecine générale me passionne

Voici le préambule de mon mémoire « Comment pratiquer la prise de décision partagée en médecine générale ». Le site consacré à ce sujet et le mémoire soutenu le 18 novembre 2015 à l’Université de Rennes1 y sont disponibles

1 – Préambule

Il m’est difficile d’introduire ce mémoire sans évoquer mon parcours professionnel et mes premiers pas dans ma formation de réorientation étant donné l’influence que cela a eu sur le choix du sujet.

1.1 – L’adhésion

Après avoir passé ma thèse de médecine en 1985 et effectué 3 années de remplacements en médecine générale, j’ai rejoint l’entreprise créée par mes parents (d’un domaine sans aucun rapport avec la médecine) et finalement succédé à mon père à sa direction. J’y ai passé 26 ans qui ont été suivis d’une période de salariat de 18 mois après la cession de l’entreprise puis par un DIU de reconversion à la pratique de la médecine générale démarré à Rennes fin 2014. C’est dans le cadre de ce DIU que j’ai écrit ce mémoire consacré à la prise de décision partagée[1].

Lorsqu’après cette très longue interruption, l’idée de reprendre le chemin de la médecine générale a germé puis mûri – avant de se transformer en évidence – je me suis dit qu’avec l’arrivée d’Internet et l’incroyable partage des connaissances que cela permettait, le changement de mentalité que cela avait pu créer quand à l’accès à l’information pour tous – et que j’avais vécu dans mon entreprise, dans mon entourage, et observé d’une manière générale – la pratique de la médecine avait dû évoluer vers une approche beaucoup plus semblable à un partenariat entre médecins et patients que ce que j’avais vécu il y a près de 30 ans. J’ignorais à ce moment le concept de patient partenaire ou de “patient empowerement” comme on dit outre Manche et au-delà. J’avais vécu la médecine de l’extérieur, côté patients (pour mes proches et moi-même) sans m’interroger sur la pratique des médecins mais ayant bien compris au fil des expériences – et n’hésitant pas à le recommander – un aspect qui me semblait essentiel en tant que patient : toujours chercher à comprendre aussi bien que possible ce que l’on me proposait comme traitement, examen, etc. et ne m’exécuter que si j’y adhérais. Je le voyais non comme une question d’éthique ou de philosophie mais comme une simple règle de survie.

Dans mon expérience de chef d’entreprise, j’ai été amené à aborder ce que l’on appelle un peu abusivement l’art du management. Vaste sujet qui aborde les manières permettant de responsabiliser, orienter, motiver, aider à évoluer les salariés de l’entreprise (en plus prosaïque, leur permettre de générer une valeur ajoutée supérieure à leur coût). J’ai ainsi pu observer, à de très nombreuses reprises, à quel point l’adhésion à ce que l’on doit faire compte.

Pour que la mise en œuvre d’une décision se déroule bien et porte ses fruits, il faut que ce soit une bonne décision par rapport au problème qu’elle est sensé améliorer, certes. Mais il est crucial que les acteurs chargés de la mettre en œuvre y adhèrent. Une bonne décision à laquelle ces acteurs n’adhèrent pas a autant de chance d’améliorer les choses qu’une mauvaise décision à laquelle ils adhèrent. Autant dire aucune. J’ai constaté qu’en médecine on parle encore beaucoup d’observance. Mon expérience de management m’a montré que l’adhésion “marche” beaucoup mieux que l’exécution sans adhésion. Le phénomène est encore plus fort lorsque les décisions impliquent beaucoup de changements car s’y ajoute la résistance naturelle au changement, phénomène largement analysé par les sociétés et gourous de conseil en management. Le propos n’est pas d’approfondir cette question, simplement d’expliquer d’où vient ma conviction de l’importance de l’adhésion de quelqu’un lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre quelque chose, et notamment un changement.

Dans une vie antérieure donc, j’ai organisé des séminaires de direction ou des séminaires de management en vue d’imaginer ou d’enrichir des projets. Il s’agissait de mettre en jeu une somme d’intelligences pour définir des actions futures, en décider en commun les principaux paramètres. Bien sûr, le jeu en entreprise est faussé. On n’arrive pas à ce genre de réunion avec une feuille blanche. On a déjà préparé des éléments de sortie. Mais j’ai toujours tenu à le jouer de manière aussi ouverte que possible et des projets importants pour l’entreprise ont pris corps et réalité dans ce type de circonstance. Et ce qui s’est toujours vérifié, c’est que le fait d’avoir participé à la construction du projet, aux décisions le concernant (il y a toujours des dizaines de décisions à prendre pour un projet), constituait un facteur puissant d’adhésion de ceux et celles qui, de retour dans la vie quotidienne, allaient en être les acteurs.

C’est donc très naturellement qu’au fil des cours, des stages et des lectures menés pendant ce DIU j’en suis arrivé à m’intéresser, pour cette première raison, à la notion de prise de décision partagée.

Pour réussir la mise en œuvre de quelque chose (un projet, un traitement, un changement…) il est donc préférable, d’y adhérer. Avoir été partie prenante de la décision renforce cette adhésion. Si ces prémisses sont justes, la prise de décision partagée concernant un projet thérapeutique devrait favoriser l’observance du patient dans la mise en œuvre de ce projet. Très peu d’études ont abordé cette question qui me semble pourtant cruciale. Les résultats sont peu probants, indiquant que d’autres études doivent être menées pour cela. Wilson[2] retrouve un lien direct entre une prise de décision partagée qui entraîne meilleure adhésion et amélioration clinique concernant des patients asthmatiques chroniques. Il y a là un champ de recherche en médecine générale tout à fait intéressant et nécessaire.

1.2 – Prémisses

Avant le démarrage de mon DIU, au moment où je me replongeais dans la lecture médicale (livres, revues, blogs, twitter), j’ai découvert, à ma grande surprise, que le dépistage systématique du cancer du sein était un sujet d’interrogation, de discussion, voire de polémique. J’avais grand besoin de comprendre pourquoi afin de pouvoir en parler avec des proches et je décidai d’approfondir cette question. Comment diable était-il possible que dépister au plus tôt un cancer, au moment où on peut le guérir facilement, puisse être une mauvaise idée ? Le bon sens nous dit mieux vaut prévenir que guérir. Qui pouvait prétendre le contraire ?

Je me plongeais donc dans la recherche d’articles sur le sujet pour découvrir l’existence de Cochrane et notamment de sa branche danoise qui avait étudié le sujet de particulièrement près et même édité une brochure à destination du grand public[3] sur le sujet. Cette brochure me parut constituer une synthèse à la fois claire et juste par rapport à tout ce que j’avais pu lire. Mais elle n’était à mon goût pas suffisamment parlante. Pour expliquer la problématique à une femme je pouvais soit lui donner la brochure en lui commentant, soit lui résumer oralement. Dans les deux cas cela n’était pas simple d’autant que cette idée de surdiagnostic (mon vocabulaire s’enrichissait) est pour le moins contre intuitive. Mes années de dirigeant d’entreprise m’avaient amené à travailler la problématique de la communication. Il s’agit d’un sujet particulièrement épineux, surtout quand les messages sont complexes (quand ils sont simplistes c’est de la publicité et cela ne nous concerne pas ici). Quand en plus ils sont contraires au bon sens cela devient très ardu. Je m’attelai donc à la tâche de transposer sous forme visuelle ce que je comprenais de la brochure Cochrane et, ayant démarré depuis peu un compte Twitter, j’y passais les deux schémas quand je le trouvais au point.

Ils furent rapidement repris et diffusés par de nombreux médecins qui me demandaient la permission de les utiliser pour expliquer la problématique à leurs patientes. Pour ma part je poursuivais la réflexion en écrivant un billet de blog[4] sur le sujet, billet qui obtint un certain retentissement (près de 2300 lecteurs à ce jour) : je découvrais ainsi simultanément l’ampleur de la question du dépistage organisé du cancer du sein, l’impossibilité pour le médecin de prendre la décision tout seul dans cette situation et l’intérêt d’un schéma / outil pour soutenir une conversation sur ce sujet avec une femme concernée. L’écho de mon travail me montrait que je n’étais pas le seul à percevoir cela et la diffusion de l’infographie traduisait à mon sens le manque de support physique de discussion pour aider la patiente à prendre une décision. Je n’avais pas encore connaissance de la notion de prise de décision médicale partagée et je me figurais à ce moment là que l’important était que la patiente puisse prendre une décision elle-même en connaissance de cause, ce qui est une approche dont j’ai découvert plus tard qu’on l’appelle décision informée, Informed Decision en anglais.

Je découvrais aussi au fil de mes recherches et de certains échanges, notamment dans un cours sur la décision médicale, que pour bon nombre de médecins la participation au dépistage organisé du cancer du sein n’était pas une question mais une recommandation fournie par les autorités sanitaires qu’ils se contentaient d’appliquer auprès de leurs patientes. Sans parler des intenses et diverses campagnes de pression en faveur de ce dépistage, évacuant toute nuance et débat contradictoire, travestissant l’information et conduisant à la mutilation inutile d’un nombre considérable de femmes.

Cet épisode rassemble deux éléments clés de la problématique de la prise de décision partagée : une question médicale à laquelle des réponses très différentes peuvent être données (participer ou ne pas participer au dépistage organisé du cancer du sein) et le développement d’un outil de communication des informations / risques aux patientes pour soutenir la discussion entre le médecin et la patiente à propos des options possibles. Nous verrons dans la partie qui traite des outils d’aide à la décision que la difficulté de conception, de réalisation et de maintenance de ces outils est vaste et en très grande partie non résolue (complètement irrésolue en français). Il s’agit là d’un champ de recherche et de travail immense et nécessaire en médecine générale car sans outils d’aide à la décision solides il semble très difficile d’arriver à ce que le patient participe activement et efficacement à la prise des décisions le concernant.

1.3 – Du côté de la faculté de médecine

L’enseignement de la médecine générale de nos jours donne une grande place à l’idée de médecine centrée sur le patient. Pendant mon DIU j’ai assisté à la quasi totalité des cours destinés aux internes de médecine générale. Dans ces cours, la question de la prise de décision n’existait pas. Une parole officielle nous était délivrée, à charge pour nous de la délivrer plus tard à nos patients. Par exemple dans un cours sur l’allaitement je demandais si on avait des statistiques sur l’incidence des complications de l’allaitement de manière à pouvoir, le cas échéant, apporter des éléments concrets à une discussion sur le choix – allaiter ou pas – que j’imagine toute femme enceinte se pose à un moment donné. Cela n’existait paraît-il pas et de toutes manières c’était le choix de la femme et si jamais on était amené à participer à ce choix il fallait pousser l’allaitement qui est bien mieux. Le traitement hormonal de la ménopause nous était présenté comme ayant été bien décrié à tort, qu’à condition de prendre telle ou telle précaution le risque n’était pas si grand eu égard au bénéfice. Mais à aucun moment sur un sujet aussi ouvert à la prise de décision partagée (il s’agit d’un traitement optionnel, on peut le faire ou on peut ne pas le faire) l’idée même que la décision à son sujet puisse être prise d’un commun accord avec la patiente en lui expliquant les avantages et les inconvénients n’était évoquée. Alors de là à parler des éléments qui nous auraient permis de soutenir une discussion d’options…

Lorsque j’ai assisté au cours sur la décision médicale (cours d’ailleurs très bien fait et préparé, avec un grand engagement des internes participants), la théorie de la décision nous fut rapidement exposée, l’expression “décision médicale partagée” citée dans ce cadre, point. Lorsqu’à un moment donné, au cours d’une discussion à propos d’un RSCA[5] qui avait entre autre parlé du dépistage systématique du cancer du sein, je tentai d’intervenir sur l’idée que la prise de décision du dépistage pouvait être discutée et prise en commun avec les patientes concernées. J’eus l’impression d’être un martien. Aussi bien auprès du formateur qu’auprès des internes en médecine générale qui manifestement ne voyaient même pas de quoi je voulais parler. Il y avait une recommandation officielle sur ce dépistage, pourquoi se poser des questions ? Il y en a déjà assez comme cela des questions !

Nul doute, ce sujet potentiellement transformateur de la médecine générale a encore du chemin à faire.

1.4 – Ressources et publications

Un important mouvement s’est mis en route autour de cette notion avec ses sources principales au Canada, aux USA, en Grande-Bretagne et en Australie, en lien très étroit avec le mouvement de l’EBM (Evidence Based Medecine ou Médecine fondée sur les Preuves). Des institutions médicales prestigieuses comme la Mayo Clinic ou l’institut de recherche de l’hôpital d’Ottawa ont investi dans le concept et le développement d’outils. Il existe un congrès annuel sur la prise de décision partagée. Parmi les revues médicales sérieuses, le British Medical Journal (BMJ) s’est constitué comme le héraut des patients et devient une référence sur ce sujet. Sa nouvelle politique éditoriale[6] est époustouflante et l’on est en France, dans des revues comme Prescrire, Médecine ou Exercer encore bien loin d’un tel niveau d’engagement centré sur le patient (je ne parle évidemment pas de la presse sponsorisée) :

“Les changements internes que le BMJ a réalisés sont destinés à faire du partenariat avec les patients une partie intégrante de la manière dont le journal travaille et pense, ainsi qu’une cause que nous défendons dans le domaine du soin. Les actions mises en place comprennent :

  • Demander aux auteurs d’articles éducatifs de coproduire leur papiers avec des patients en précisant la nature de leur engagement.
  • Demander aux auteurs d’articles de recherche de spécifier si et comment ils ont impliqué des patients pour définir la question de recherche, les mesures de résultats, le design et la mise en œuvre de l’étude et la dissémination de leurs résultats.
  • Intégrer la relecture des articles par des patients dans notre processus standard de révision des articles. Les relecteurs sont invités à nous aider dans cette initiative en étendant cette invitation à des patients.
  • Recruter des patients et des représentants de patients dans notre comité éditorial et Rosamund Snow comme Éditeur Patient de manière à apporter la perspective des patients dans les discussions qui sont conduites par nos comités de décision interne.”

Bref, au moment de me m’informer sur le sujet, force est de constater que les sources en langue française sont quasi inexistantes, le mouvement n’étant semble-t-il que peu ou pas amorcé dans notre pays.

Au cours de cette année, je réalisai donc que le sujet de la prise de décision partagée constituait un élément essentiel de la pratique médicale centrée sur le patient, que je n’étais pas le seul à ressentir le besoin d’outils permettant un échange d’information efficace avec les patients, que je ne pouvais pas concevoir de ne pas orienter ma future pratique dans ce sens, que la faculté ne m’avait pas apporté beaucoup sur le sujet et qu’il n’existait pas de ressources en français pouvant m’aider – et notamment pas d’outils d’aide à la décision.

La question se mit à me tarauder : comment allais je m’y prendre pour pouvoir demain appliquer, dans ma pratique de la médecine générale, la prise de décision partagée ?

C’est à cette question que ce mémoire et le travail mené pour le réaliser tentent de répondre.

A suivre…


[1] L’expression anglo-saxonne Shared Decision Making (SDM) est aujourd’hui bien acceptée pour désigner ce sujet. Nous la traduirons par Prise de Décision Partagée (PDP) que nous préférons à l’expression Décision Médicale Partagée habituellement utilisée en français qui, passive, ne contient pas la notion que la prise de décision est une action, réalisée d’un commun accord. Par ailleurs, de même que l’expression anglaise ne contient pas de référence au domaine médical, nous pensons inutile dans la version française d’y faire référence sauf à alourdir les choses (cela donnerait : Prise de Décision Médicale Partagée) alors que le contexte d’utilisation de l’expression suffit.

[2] Wilson SR, Strub P, Buist AS, Knowles SB, Lavori PW, Lapidus J, et al. Shared Treatment Decision Making Improves Adherence and Outcomes in Poorly Controlled Asthma. Am J Respir Crit Care Med American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine. 2010;181(6):566–77.

[3] Mammography screening leaflet [Internet]. CochraneNordic; [cited 2Nov2015]. Retrieved: http://nordic.cochrane.org/mammography-screening-leaflet

[4] Chroniques d’un jeune médecin quinquagénaire [Internet]. Voilà ce que je peux te dire; 2014 [cited 2Nov2015]. Retrieved: https://30ansplustard.wordpress.com/2014/10/17/voila-ce-que-je-peux-te-dire/

[5] Récit de Situation Complexe Authentique

[6] bmjeditor [Internet]. Patient partnership; [cited 2Nov2015]. Retrieved: http://www.bmj.com/campaign/patient-partnership

 

Six propositions pour le futur de l’EBM (Paul Glasziou)

Paul Glasziou est professeur d’Evidence Based Medicine (EBM) (1) à l’université de Bond (Australie) et préside l’International Society for Evidence-Based Health Care. Ses recherches se concentrent sur l’amélioration de l’impact clinique de la recherche. En tant que médecin généraliste, son travail s’est concentré sur l’applicabilité et la facilité d’utilisation des essais publiés et des revues systématiques.

Son billet de blog du 27 mars 2015 proposant 6 pistes d’action pour le futur de l’EBM m’a d’autant plus marqué que les points 1 à 4 correspondent à des interrogations récurrentes pour moi tandis que je poursuis ma ré-immersion dans la médecine générale. J’ai alors eu envie de partager sa vision et, avec l’accord de Paul Glasziou que je remercie, j’ai traduit son billet. Le voici.

 

Gordon Guyatt a inventé l’expression “Evidence-based Medicine” il y a 20 ans et cela a eu une influence globale remarquable. Mais l’EBM n’est pas un ensemble figé de concepts inscrits dans le marbre des années 90, c’est une discipline jeune et vivante. Le concept fondamental de l’EBM – utiliser les meilleures preuves tirées de la recherche disponible pour aider le soin clinique – n’a peut-être pas beaucoup changé mais ce que sont « les meilleures » et comment appliquer les concepts dans la pratique sont des notions qui continuent d’évoluer.  La 3ème conférence de l’ISEHC à Taïwan en novembre 2014 a marqué une nouvelle étape dans l’évolution du soin de santé basé sur les preuves. Lors de l’ouverture de la séance plénière j’ai suggéré 6 domaines où l’attention future de l’EBM était nécessaire.

1. Ne pas sauter “l’étape 0” mais favoriser le doute, l’incertitude et l’honnêteté

Les étapes “traditionnelles” de l’EBM que nous enseignons aux étudiants sont : Demander, Acquérir, Evaluer et Appliquer. Pour autant, le Dr Ian Scott – médecin à Brisbane – a suggéré que l’étape la plus importante est celle les précède : reconnaître nos incertitudes. Sans cette “étape 0” nous ne pouvons pas démarrer les autres étapes. Les débutants posent souvent des questions détaillées et complexes. Mais avec l’expérience de l’incertitude nous posons des questions plus fondamentales à propos de nos tests et de nos traitements quotidiens et à propos des avis et des informations dont nous sommes submergés. Pourtant nous ne comprenons encore pas grand chose de cette étape : reconnaître nos incertitudes de base. A McMaster (2), Sackett manifestait fréquemment son désaccord avec des signes cliniques afin d’augmenter l’incertitude à propos de ce qui était “correct”. D’autres récompensent simplement les étudiants qui disent “je ne sais pas” au lieu de considérer l’ignorance comme la reconnaissance d’une erreur. Les deux approches sont excellentes mais, en comparaison avec les autres étapes de l’EBM, nous avons peu d’idées et pour ainsi dire aucune recherche sur comment mener au mieux “l’étape 0”. Nous devons faire beaucoup plus !

2. Se méfier du surdiagnotic : nos définitions sont aussi importantes que nos tests

Pendant l’essentiel du temps de la courte histoire de l’EBM nous avons tenu les définitions de diagnostic pour acquises, les utilisant comme point de départ pour étudier les pronostics et les traitements. Pourtant les définitions des maladies changent souvent au cours du temps : soit incidemment – au travers de progrès technologiques comme la tomodensitométrie spialée pour l’embolie pulmonaire – ou au travers de changements délibérés, comme l’abaissement des seuils diagnostics de maladies comme le diabète, l’hypertension ou l’ostéoporose.

Le « surdiagnostic » est resté au-dessous du radar de l’EBM mais s’est développé au point de devenir un des plus grand problèmes auxquels la médecine doive faire face. Par exemple, prenons le triplement de l’incidence du cancer de la thyroïde aux USA, en Australie et dans d’autres pays. Est-il du à des irradiations, à l’alimentation ? Probablement aucun des deux; il s’agit plus certainement d’une épidémie de diagnostic, pas d’une épidémie de cancer. La mortalité par cancer de la thyroïde n’a pas changé. Encore plus impressionnante est l’augmentation d’un facteur 15 du cancer de la thyroïde en Corée de Sud qui résulte de la facilité avec laquelle le programme de son dépistage s’est implanté. De manière moins dramatique, la plupart des cancers ont progressé substantiellement du fait d’un excès de détection plus que d’une véritable augmentation. De nombreuses autres maladies ont subit des changements de définition, la plupart avec des augmentations d’incidence. Une analyse récente des règles de bonne pratique a identifié 14 changements de définitions de maladies, parmi lesquelles 10 ont élargi le cadre et seulement une l’a réduit.

Le surdiagnostic crée des difficultés pour l’interprétation de nos preuves à propos du pronostic et du traitement des maladies car le spectre a changé, parfois radicalement. Quoi qu’il en soit, le surdiagnostic représente une telle menace pour la viabilité de la médecine qu’il constitue de plein droit un sujet digne de l’EBM.

3. C’est la décision du patient : pratiquer et enseigner la décision partagée avec l’EBM

L’EBM a toujours exprimé de la sympathie pour les idées de la prise de décision partagée (3). Par exemple, la définition du livre de Sackett est : “La médecine basée sur les preuves est l’intégration des meilleures preuves apportées par la recherche avec l’expertise clinique et les valeurs du patient”. Mais l’étape de la prise de décision partagée est l’objet de beaucoup moins d’attention dans nos livres d’EBM ou dans notre enseignement que les compétences de recherche ou l’évaluation critique. Nous devons être beaucoup plus explicites sur le “comment” et enseigner, comme partie intégrante des étapes de l’EBM, à la fois la prise de décision partagée générique (“discussion d’options” et “discussion de décision”) et l’utilisation des outils d’aide à la décision (4). Un petit pas est d’incorporer la décision partagée dans des tutoriaux sur l’évaluation critique. Par exemple, après avoir effectué une évaluation critique, je termine souvent en demandant aux étudiants de faire un jeu de rôle sur l’explication de sa signification : l’un joue le médecin, l’autre le patient; puis nous faisons un feed-back en utilisant les règles de Pendleton (5) – de la part du “médecin” puis du “patient” et ensuite de tous les autres; puis nous échangeons les rôles et recommençons. Un processus similaire pourrait être mis en œuvre pour la pratique de l’usage des outils d’aide à la décision. Prendre la décision partagée plus au sérieux n’est pas seulement une bonne chose en soi mais aiderait également à surmonter l’idée fausse mais courante que l’EBM est une discipline rigide qui n’est pas orientée patient.

4. Considérer les interventions non médicamenteuses aussi sérieusement que les médicaments

S’il y avait un médicament qui réduise les ré-hospitalisations des patients atteints de maladies respiratoires chroniques de 70%, ou qui abaisse le taux de mélanomes de 50%, ou qui permette d’éviter 50% des cas de malaria, ou encore qui prévienne 50% des accouchements par le siège, nous le réclamerions haut et fort. Mais, bien que souvent négligés, il existe des traitements non médicamenteux qui apportent ces bénéfices : l’exercice (“la rééducation pulmonaire”), l’écran solaire quotidien, des filets de lits imprégnés d’insecticide et la réversion céphalique par manœuvres externes (tourner le bébé au travers de la paroi abdominale de la mère). Nous les négligeons en partie parce qu’ils ne sont pas disponibles en un seul corpus équivalent à une pharmacopée. Pour éviter ce biais de disponibilité, ceux qui travaillent sur l’EBM doivent porter plus d’efforts vers les interventions non pharmaceutiques que vers les interventions pharmaceutiques afin de redresser le déséquilibre existant. Le Collège Royal Australien des Médecins Généralistes a bien piloté un Manuel des interventions non médicamenteuses mais un effort global est nécessaire afin d’étendre cela à d’autres disciplines et d’autres pays.

5. Créer des laboratoires de pratique clinique pour étudier la traduction et l’assimilation

Les cours d’EBM passent l’essentiel de leur temps sur la théorie et les compétences, mais très peu -voire pas du tout – sur la manière d’intégrer ces compétences au chevet du malade. Plus encore, la pratique clinique de l’EBM tend à ne pas être enregistrée, à rester au-delà de la vue publique et de la discussion, ce qui limite l’échange et l’évolution des méthodes. Nous devons mieux enregistrer, évaluer et enseigner les différentes manières de pratiquer l’EBM en pratique clinique. Dans une série d’interview au CBEM à Oxford (6), j’ai échangé avec une douzaine de praticiens leaders de l’EBM dans diverses disciplines cliniques. Ils avaient des manières très différentes  d’appliquer l’EBM à l’oncologie pédiatrique, la médecine périnatale, la chirurgie, la médecine d’urgence et la médecine générale. Bien sûr il y a des différences nécessaires, mais nous apprenons et nous nous adaptons aussi en découvrant les manières de faire des autres. Nous devons considérer les méthodes favorisant une pratique efficiente et effective au chevet du malade aussi sérieusement que nous considérons les méthodes pour faire une revue systématique. Pour ce faire nous aurons besoin de “laboratoires” d’EBM où nous pourrons facilement observer, enregistrer et analyser le processus d’utilisation des preuves en pratique.

6. Investir à long terme dans l’automatisation des synthèses de preuves.

Le coût du séquencement génétique a baissé radicalement pendant la dernière décennie : plus de 50% par an. Cette baisse considérable ne doit rien à la chance mais à de gros investissements pour rendre le séquencement plus rapide, plus fiable et moins cher. Par contraste, les coûts de synthèse de preuves ont augmenté en même temps que nous avons accru la rigueur de ce processus. Ce coût inhibe l’usage et l’assimilation des preuves en pratique, en envahissant notre paysage informationnel de revue systématiques périmées. Nous devons accélérer dramatiquement le processus au travers de la standardisation, de la rationalisation et – plus essentiel encore – de l’automatisation de la plupart de la douzaine et quelques étapes nécessaires à une revue systématique ou autre synthèse des preuves. Atteindre cela prendra du temps et des ressources – peut-être réduire le temps de 50% par an – mais nous devons ignorer certains alligators d’examens spécifiques et commencer à vidanger le marais du processus (7). Sans cette automatisation, nous serons très en retard sur les examens et les mises à jour. Et cela signifiera que ces révisions seront perçues comme de moins en moins pertinentes pour la pratique.

Si c’était à refaire, j’aurais commencé là-dessus plus tôt. Mais comme un écologiste sage l’a dit un jour : le meilleur moment pour planter un arbre c’était il y a 50 ans, le deuxième meilleur moment c’est maintenant.


Toutes les notes sont du traducteur

(1) Je garde dans cette traduction l’acronyme EBM pour Evidence Based Medicine, acronyme plus familier que MBP de Médecine Basée sur les Preuves, traduction française pas très heureuse du concept original.
(2) McMaster : Premier lieu d’exercice et d’enseignement de Sackett
(3) Je traduis Share Decision Making par Prise de Décision Partagée
(4) Pour faciliter la prise de décision partagée il est important d’utiliser des aides ou outils permettant l’échange avec le patient, sa compréhension des options, sa réflexion sur la décision. Je traduis ici par Outils d’Aide à la Décision ce que Glasziou appelle Decision Aids et qui est appelé dans la littérature en général Patients Decision Aids.
(5) Règles de Pendleton :

  1. L’apprenant explique ce qu’il a bien fait.
  2. L’évaluateur explique ensuite ce que l’apprenant a bien fait.
  3. L’apprenant explique ce qu’il n’a pas trop bien fait et comment il pourrait l’améliorer
  4. L’évaluateur explique ce qui n’était pas trop bien et propose des possibilités d’amélioration

(6) Centre for Evidence Based Medicine
(7) Il est clair que quelque chose m’échappe dans la phrase originale : « But we need to ignore some of the specific review alligators and start draining the process swamp »

C’est avec cela qu’il vous faut prendre une décision Madame, et ce n’est pas facile !

(Billet mis à jour en octobre 2016)

Tous les ans, au mois d’octobre, le dépistage organisé du cancer du sein par mammographie est promu de manière intensive, avec des arguments chocs ne laissant aucune place au doute, à la réflexion. La réalité est moins claire et complexe à comprendre. J’avais, il y a quelques mois, découvert la problématique du dépistage organisé et de ses risques et réalisé un schéma permettant de l’éclairer. Récemment, la revue Prescrire (février 2015) a publié un article sur l’effet indésirable insidieux du dépistage, apportant une synthèse des études et des chiffres disponibles à ce moment.

J’en ai profité pour réaliser une nouvelle infographie (avec l’aide des membres du Forum des lecteurs Prescrire) afin de disposer d’un support qui permette d’expliquer le sujet à quelqu’un qui n’est pas médecin. En effet, la seule personne qui puisse décider de participer ou non au dépistage organisé est la femme à laquelle ce dépistage est proposé. Et c’est le rôle du médecin de lui expliquer sereinement les tenants et les aboutissants lui permettant de comprendre les enjeux, de l’aider à clarifier ce qui est important pour elle.

Nos autorités sanitaires et universitaires, dans une ambivalence formidable vantent à la fois les vertus de la décision partagée et celles du dépistage organisé. Le médecin doit donner à sa patiente les meilleurs éléments d’évidence disponible afin de l’aider à prendre sa décision mais toutes les femmes de plus de 50 ans doivent passer au dépistage organisé sans discuter. C’est pour leur bien !

Au moment de présenter les éléments de décision à une femme invitée au dépistage organisé, le médecin ne devrait pas prendre parti mais s’assurer qu’elle en comprend les enjeux, la balance bénéfice – risques, avec le plus d’impartialité possible, ce qui est difficile. D’autant plus que les chiffres ne sont pas gravés dans le marbre. Afin d’aider cette compréhension, je vous livre ce schéma.

Infographie-Depistage-K-Sein-Fevrier-2015

Explications

Considérons 1000 femmes de 50 à 74 ans qui participent au programme de dépistage organisé du cancer du sein  en France. Elles vont passer une mammographie tous les deux ans. Chaque femme passera ainsi 11 mammographies ce qui donne au total, pour 1000 femmes, la réalisation de 11.000 mammographies.

Sur ces 11.000 mammographies, 10.000 seront normales. Mais on détectera une anomalie 1000 fois. Chez certaines femmes on ne détectera aucune anomalie tout au long de ce dépistage et chez d’autres on détectera une anomalie à deux ou plusieurs reprises.

800 anomalies dépistées (80%) ne nécessitent ni ponction ni biopsie. Une ponction ou une biopsie ne sera réalisée que pour 200 (20%) des cas d’anomalies dépistées, ce qui permettra de détecter 75 cancers.

Parmi ces 75 cancers, et sans que l’on sache aujourd’hui les distinguer des autres, 19 n’auraient jamais entraîné de maladie. Ils seraient restés stables, auraient disparu spontanément ou connu un développement très limité et non perceptible. C’est le sur-diagnostic. Comme ces cancers sont maintenant détectés ils vont être soignés (ce qui parfois entraînera une ablation du sein) pour rien. On parle alors de sur-traitement.

Malgré l’amélioration des traitements, sur ces 75 cancers détectés, 13 vont entraîner le décès de la patiente et ce malgré le dépistage.

La rémission (en cancérologie on ne parle pas de guérison mais de rémission) sera obtenue pour 37 de ces 75 cancers.

Imaginons maintenant 1000 femmes qui ne participent pas au dépistage organisé, ne subissent ni mammographie systématique, ni biopsie car elle vont bien et ne présentent aucun symptôme de cancer du sein, aucun risque génétique. Un certain nombre d’entre-elles auront un cancer du sein qui sera découvert alors qu’il fait déjà parler de lui.

Comme pour celles qui se font dépister, parmi ces 1000 femmes 13 mourront du cancer du sein. Certaines études trouvent qu’il en mourra 6 de plus que parmi les femmes dépistées, d’autres études qu’il n’en mourra aucune de plus.

Autrement dit, pour 1000 femmes qui participent au programme de dépistage organisé du cancer du sein de 50 à 74 ans en France, on estime que cela va en sauver entre 0 et 6.

Épilogue

C’est avec cela qu’il vous faudra prendre une décision Madame. Lisez d’autres articles, discutez avec votre entourage, votre médecin et réfléchissez à ce dans quoi vous vous engagez. Ne pas participer au dépistage est une option tout aussi pertinente que d’y participer. Cela dépend de vous, de ce que vous souhaitez, de ce que vous craignez. Encore faut-il que vous puissiez comprendre les enjeux. J’espère en cela vous avoir aidée un peu mais je sais que ce choix n’est pas facile.

 

NOTES

Cette infographie et ces chiffres ne s’appliquent pas aux femmes à facteurs de risque élevés (voir ici les recommandations de la HAS) ni aux femmes présentant cliniquement des modifications de leur seins.

Source : La Revue Prescrire, Dépistage des cancers du sein par mammographie, troisième partie. Diagnostics par excès : effet indésirable insidieux du dépistage. n°376, février 2015, p 111-118

Pour plus d’info et moins de propagande voir aussi
Site d’info créé par des médecins généralistes : Cancer Rose
Docdu16 : Désorganiser le dépistage organisé
Formindep : Un dépistage inadapté au génie évolutif de la maladie, condamné à l’inefficacité.

 

 

 

Comment j’ai gardé ma prostate

Quand j’ai décidé de me replonger dans les bras d’Asclépios, j’ai cherché un ouvrage de médecine générale qui me permette de faire un premier tour de la question et qui existe sur tablette (pour l’avoir toujours avec moi). J’ai jeté mon dévolu sur Schlienger, 100 situations clés en médecine générale que j’ai besogneusement travaillé, surligné, etc.

Ce faisant et l’ayant déjà vécu, je ne suis pas retombé dans le syndrome de tout étudiant en médecine qui croit reconnaître chez lui, chaque fois qu’il les découvre, les symptômes des maladies qu’il étudie. Jusqu’à ce que j’arrive au chapitre Cancer de la Prostate. Non pas que j’aie des symptômes – si je n’abuse pas de boissons le soir, je peux tenir toute la nuit sans me lever comme on dit – mais que tout à coup ça me disait : « Le dépistage précoce du cancer de la prostate peut être proposé à titre individuel après information du patient. Il consiste, chez les hommes âgés de 55 ans à 69 ans, en un examen clinique et dosage du PSA total annuel ». Mon toubib m’avait glissé à ma dernière visite « faudra qu’on fasse le PSA la prochaine fois », comme ça, comme si c’était évident qu’il fallait le faire. Je m’étais dit que je le ferai. Je pensais que tout le monde faisait ça. Du coup le chapitre m’intéressait bigrement.

Arrivé à la Prise en charge thérapeutique, variable selon « l’espérance de vie » je me suis classé d’entrée de jeu dans la catégorie Espérance de vie > 10 ans. Je suis un incorrigible optimiste (j’ai quand même mis un moment à comprendre que ça voulait dire : catégorie des patients dont vous estimez – hors leur problème du cancer de la prostate – que leur espérance de vie est supérieure à 10 ans). Et là, en dehors de l’option Surveillance active pour les cancers localisés de faible risque (avec 99% de survie spécifique à 8 ans), les effets secondaires des différentes approches thérapeutiques n’étaient pas joyeuses : prostatectomie avec incontinence urinaire qui récupère dans 70 à 95% des cas à un an (donc 30% de chances que ça récupère pas me disais-je), dysfonction érectile (voir schéma) dont la récupération peut mettre jusqu’à deux ans (deux ans tu te rends compte, sans être sûr que ça va remarcher) sans compter les risque que les tuyaux se bouchent, etc.

  Source

Le plus étonnant c’est que l’ouvrage proposait la prostatectomie ou la surveillance active pour exactement les mêmes cas. Je ne savais plus quoi retenir et sans penser seulement à moi (quand même) je me demandais ce que je pourrais bien conseiller demain à mes patients.

Pas la moindre référence bibliographique pour approfondir, pas la moindre allusion au débat sur le dépistage (en dehors du sybillin « peut être » du début). Heureusement il y a internet. Je n’avais pas encore connaissance des blogs et lieux de discussion de médecins, j’ignorais tout de la discussion sur le dépistage. Mais ces sujets je les ai assez vite trouvés. Par exemple le superbe texte du Dr Dupagne destiné aux hommes qui envisagent de se soumettre au dépistage, ou encore le point complet sur la question par le Dr Grange, etc. A vrai dire sans tout cela, j’aurais été just  incapable d’appréhender quoique ce soit du fond du problème. Alors merci Mesdames et Messieurs qui creusez les questions et forts de votre expérience et de capacité d’analyse commentez, diffusez et partagez les connaissances et les informations. Parce que dans les livres des professeurs ça reste très très limité.

Et perso, grâce à vous, je ne vais pas doser mon PSA. Ma prostate vous remercie aussi.

 

Voilà ce que je peux te dire

Tout a commencé le jour où, tout fiérot, j’ai commencé à raconter à ma compagne (dont l’âge est dans la cible d’octobre rose) que la mammographie tous les deux ans c’était pas si évident et que ça posait des problèmes, qu’il y avait de l’intox et que probablement c’était mieux de ne pas faire le dépistage. Quand elle m’a répondu « avant il fallait dépister, maintenant il ne faut plus dépister, c’est comme avec les bébés, avant il fallait les coucher sur le ventre, maintenant il faut les coucher sur le dos et demain ce sera quoi ? » ça m’a un peu coupé la chique. D’autant qu’elle n’avait pas lu le billet de Sylvain Fevre vu que les blogs médicaux c’est pas franchement son truc (lisez le, pas seulement pour comprendre pourquoi ça m’a coupé la chique). Puis elle a ajouté que c’était évident que si on prenait les cancers au stade précoce on allait forcément les soigner mieux que si on attendait plus tard. Re chique coupée… je… a… à court d’arguments. Elle a été assez gentille et elle a changé de sujet parce que comme je suis entrain d’apprendre tout ça je vois bien qu’elle ne veut pas non plus me décourager.

Du coup j’ai regardé les choses de plus près, cherché et lu des articles, des blogs, dévoré le livre de Rachel Campergue Octobre Rose Mots à maux (qu’il faut absolument lire pour sa déconstruction de la désinformation) pour enfin trouver une brochure très claire qui résume la problématique. J’ai voulu lui passer, mais c’est délicat en même temps, j’ai pas envie de la ramener tout le temps avec « ma médecine », comme un gamin avec son jouet tout neuf à lui faire lire des articles épatants qui tordent le coup aux idées reçues. Déjà que je lui ait déjà fait lire la bd sur le gluten du pharmachien.. Et puis au fond c’est pas à moi de décider pour elle. Alors pour simplifier je me suis dit que j’allais lui faire un dessin à partir de l’étude Cochrane DK – les gens qui ont fait cette brochure – et puis, quand il a été fini, que pourquoi pas en faire profiter tout le monde. Alors je l’ai mis sur twitter et on m’a RT et fait des commentaires.

Maintenant j’ai une v2 un peu mieux et je peux lui montrer.

Tiens regarde ça :

 

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Commentaires : les faux positifs ça veut dire que le résultat de la mammographie est douteux, qu’on programme d’autres examens (ponctions, biopsies) et que finalement on ne trouve pas de cancer.
Soins inutiles : cela peut aller de retirer une partie du sein à retirer tout le sein, en passant par de la chimiothérapie et/ou de la radiothérapie, pour rien. Le problème étant qu’on ne sait pas distinguer au départ les cancers qui « méritent » d’être soignés et les autres.
Lis quand même la brochure. On en parle quand tu veux.

Je t’embrasse

 

PS : voir également une infographie plus récente (avril 2015)