Etre médecin est-ce respectable ?

Ces derniers mois, m’étant trouvé annoncer à peut-être quelques centaines de personnes mon retour prochain à la pratique de la médecine générale j’ai été frappé par l’incroyable récurrence de quelques réactions qui je dois dire m’ont beaucoup surpris.

La principale est la considération dont jouit le médecin généraliste dans l’esprit des gens. Waoh ! Pas une personne qui ne m’ait signifié d’une manière ou d’une autre son admiration, son respect, son attachement à cette profession. Si je devais faire une statistique, je dirais que le médecin généraliste est le personnage le plus populaire que j’ai jamais rencontré – bon y doit bien y avoir les pompiers qui font mieux mais là j’ai passé l’âge.

Ce fut particulièrement frappant auprès de mes collègues de travail. Pour la plupart ils ignoraient que j’étais médecin. Je dirais que le statut de médecin leur parait si haut / si éloigné qu’ils en étaient parfois bouche bée, que toujours il témoignaient pour ce métier de l’estime, de la sympathie et une évidente admiration pour moi qui allait le pratiquer. Ne prenez pas cela pour de l’autosatisfaction. Ce que j’essaye de dire c’est que dans leur réaction je pouvais voir à quel point la considération pour ce métier était élevée. La manière dont ils me percevaient avaient radicalement changé avec cette annonce. Moi j’étais toujours pareil.

Je savais que ce métier était bien considéré en général, je n’aurais jamais imaginé que c’était à ce point. Je l’ai toujours regardé comme un autre. Je ne trouve pas plus glorieux ou estimable d’être médecin que n’importe quoi d’autre – bon peut-être pas politicien quand même. Je n’ai pas une once de considération de plus pour un médecin (c’est quoi le féminin de un médecin ?) que pour un.e infirmier.ère, un.e aide soignant.e ou un.e kinésithérapeute du fait de son métier. Je pense simplement que par un mix d’envie, d’opportunités, de circonstances, de parcours et de capacités, on est amené à exercer tel ou tel métier. Ou pas de métier du tout. Et que ce qui peut mériter de la considération, de l’estime, du respect, c’est la manière dont on se comporte dans son métier ou dans sa vie. Pas le statut social que l’on a obtenu.

Être architecte mérite-t-il respect et considération ? Oui quand l’architecte construit la pyramide du Louvre, non quand il construit l’Opéra de la Bastille. Être enseignant est-il respectable ? Oui quand on arrive à donner le goût de la matière enseignée à ses élèves, non quand on méprise ses élèves avec un cours radoté sans emphase.

Il me revient l’histoire de Babette. Gosses nous avions l’occasion de jouer ensemble lorsque j’accompagnais ma mère pour chercher le lait de la traite du soir. Elle habitait avec ses parents et ses frères et sœurs dans une maison au sol de terre battue, les poules entraient dans la cuisine, l’eau était au puits, les cabinets au fond du jardin à gauche merci. L’endroit était magique, avec les vaches, les canards, les cochons, les jeux dans la paille, la mobylette du grand frère…

Elle avait réussi à passer son certificat d’étude et été embauchée “aux images” comme les gens du coin appelaient Nouvelles Images, la boite que j’ai finalement dirigée pendant une bonne vingtaine d’années. Elle y faisait les paquets, le job le moins qualifié. Avec soin et efficacité. Elle avait été recrutée du temps de mon père. Quand je passais dire bonjour, je lui claquais la bise comme à sa sœur et à une ou deux autres que j’avais connues petits.es. Elle militait à la MRJC (Mouvement rural de jeunesse chrétienne, pour les ignorants), et je pense que ce cadre fut stimulant pour elle.

Elle est venu me voir un jour, elle voulait faire une formation longue pour tenter autre chose. Elle s’est accrochée, elle a pris des congés sans solde par moment pour aller jusqu’au bout, jonglant avec de maigres finances. Elle a finit par réussir et a quitté l’entreprise pour reprendre une maison de la presse avec son mari dans une ville de Touraine. Elle est devenue marchande de journaux. Une marchande de journaux pour laquelle j’éprouve une haute considération et un grand respect.

D’ici un an grosso modo je vais me retrouver médecin généraliste en exercice. Je n’en éprouve aucune fierté particulière, ce qui ne veux pas dire que je ne suis pas enchanté de le faire. J’espère que j’arriverai par mon exercice, par ma pratique, à susciter de la considération. Cela voudra dire que je ne m’y prend pas trop mal. Je me fiche du reste.

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