Pourquoi je rêve de rejoindre un projet de Maison de Santé Pluri Professionnelle

Je garde de ma première vie de médecin (1983-1986), deux souvenirs très intenses au plan émotionnel; mais diamétralement opposés au plan de leur ressenti.

Ma dernière année “d’études” a consisté en un stage de ce que l’on appelait à l’époque Faisant Fonction d’interne, FFI en abrégé, en réanimation chirurgicale et au SMUR de l’hôpital de Poissy. Nous étions 4 FFI, assurant la permanence des gardes et passant donc un temps assez considérable à l’hôpital. J‘avais proposé à mes collègues de prendre l’économat de l’internat et nous avions été élus, eux en tant que sous-économes, moi-même en tant qu’économe. Ce qui signifiait qu’il y avait toujours quelqu’un avec la clé de la réserve de pinard sur place. Pratique. J’ai organisé divers tonus, une collecte auprès des chefs de services et autres hauts gradés pour acheter une piscine – ils ont payé -, un feu d’artifice plutôt haut en couleurs, décoré l’internat avec des affiches de Magritte, Folon et Schlosser (succès mitigé), rencontré les différentes instances de l’hôpital pour résoudre les problèmes de l’internat – essentiellement améliorer l’ordinaire. Dans le même temps il y avait les sorties SMUR, transferts, accidents sur l’A13, Tentatives de suicide, situations psychiatriques aiguës, les arrivées un peu chaotiques aux urgences, les nuits agités sur la route, etc. 

L’intensité de cette vie, l’incroyable ambiance collective de travail et de détente ont fait de cette année un moment inoubliable pour moi.

Puis je me suis retrouvé  pendant près de 3 ans remplaçant en médecine générale, sans avoir jamais vu un enfant, un tympan, une angine, etc. Je me suis retrouvé dans des maisons glauques au fin fond du Morvan, de la Vendée ou de la Charente (1)  pour des remplacements où il fallait venir “accompagné” – car c’est l’épouse du Docteur qui faisait le standard, la lessive, le ménage et la cuisine – seul (hormis les accompagnatrices, en général des copines fauchées que je rémunérais), avec comme seuls interlocuteurs les visiteurs médicaux qui me rendaient de fieffés services en me conseillant des pommades miracles dont je n’avais jamais entendu parler, des antis rhume d’une efficacité sans pareille (“L’actifed, le seul décongestionnant nasal agréé à bord de la navette spatiale” – depuis interdit dans sa formulation d’époque), etc. Seul, ignorant tout de la médecine générale, dans ces maisons pour la plupart sans un livre sur les étagères – ah si une fois il y avait des livres factices. Je n’ai pas aimé du tout cette période, au cas où vous ne l’auriez pas deviné.

Par la suite l’essentiel de mon existence professionnelle s’est déroulée en entreprise dans un domaine sans rapport avec la médecine. J’y ai aimé et détesté un grand nombre de choses et entrer dans leur détail n’est pas l’objet de ce billet. Mais je sais maintenant qu’il y a une chose que j’ai appréciée et dont j’ai compris qu’elle m’était vitale : celle de travailler à un projet commun à plusieurs.

Récemment j’ai eu la chance de rencontrer François Myara (grâce à mon ancien chef de service de Poissy d’ailleurs), médecin généraliste à la maison de santé Pyrénées Belleville à Paris. Il a eu la gentillesse de me parler de son projet.

Une association loi 1901 est au centre du dispositif, le Pôle de santé des Envierges, dont la mission est “d’améliorer l’accès à des soins de qualité pour tous les habitants du quartier et de travailler sur la réduction des inégalités sociales de santé en développant les soins de santé primaires.” Archipelia : un centre socio-culturel à forte visée d »intégration dans ce quartier accueillant une large population immigrée en constitue un des membres.

La maison de santé – qui ne constitue qu’un des élément du pôle – est une SCM de 4 médecins généralistes et 2 infirmiers.ères auxquels s’ajoutent des collaborateurs, des étudiants en médecine et infirmiers, des internes, des SASPAS, des remplaçants, etc. Chaque médecin assure une journée de consultation libre pour les urgences, ½ journée de visites à domicile. Aucun visiteur médical n’est admis, aucune formation professionnelle dépendant de laboratoire n’est effectuée. Une salle de travail commune permet aux médecins et infirmiers.ères de se retrouver et échanger. Il n’existe pas de relation hiérarchique entre eux. Ils pratiquent le tiers payant sur la part Sécurité Sociale et les médecins sont lecteurs émérite Prescrire.

Les autres éléments du pôle de santé comprennent notamment :

– Partenariats : il s’agit d’accords passés avec quelques services hospitaliers proches dans lesquels le lien avec les médecins est direct, l’accès rapide. Les médecins de la maison de santé s’engagent en contre-partie à visiter à domicile des patients à la demande des services. Des formations régulières et réciproques sont organisées.

– Études et pédagogie : ils participent à des études en médecine générale en lien avec la faculté de médecine. Par ailleurs plusieurs d’entre-eux sont MSU.

– Éducation thérapeutique : collaboration avec les infirmiers.ères du réseau Asalée, Actions de Santé Libérale en Équipe, structure encore expérimentale visant à déléguer des tâches d’éducation thérapeutique pour des patients ayant un diabète non insulino-dépendant, un fort risque cardiovasculaire, une broncho-pneumopathie chronique obstructive ou des troubles cognitifs.

– Informatique : ils participent activement à l’amélioration du logiciel fourni par un prestataire et ont notamment développé une version pour les soins infirmiers.

– Auxiliaires de santé : un certain nombre de professionnels – orthophonistes, orthoptistes, médecins extérieurs sont rattachés au pôle.

Des réunions régulières sont organisées, au sein de la maison de santé une fois par mois pour présenter et discuter collectivement des cas complexes, une fois par trimestre sur des sujets plus bibliographique : l’un des membres de l’équipe présente aux autres un point sur un sujet donné, trimestriellement également avec les partenaires, dans un cadre de formation continue réciproque. Et informellement, les uns et les autres se retrouvent et échangent de manière très régulière et dense dans la salle de travail de la maison de santé.

Chacun et chacune assure une responsabilité plus spécifique dans l’organisation (Informatique, éducation thérapeutique, formation, etc.).

J’ai vu des gens enthousiastes, ravi de travailler ensemble, partageant un certain nombre de valeur, participant à un projet commun. J’y ai perçu les aspects positifs de ce que j’ai pu vivre en entreprise, sans la lie de la hiérarchie, de la subordination et du contrôle, avec uniquement des rameurs faisant avancer le bateau à grande vitesse. J’y ai vu une ambiance de travail au sein d’un réseau vivant et évolutif dans lequel le plaisir d’échanger et de partager jouait un rôle central. Quelque chose d’aussi éloigné d’un simple cabinet de groupe partageant des moyens qu’une startup peut l’être d’une administration comme la CPAM par exemple. J’y ai vu exactement le genre d’expérience que je souhaite vivre dans le futur. 

Alors bien sûr il y a des engagement à prendre auprès de l’ARS pour obtenir les financements (protocoles), des complexités administratives inhérentes au caractère encore très nouveau de ce type d’approche. Il doit bien y avoir aussi des prises de bec et des conflits d’intérêt. Rien n’est rose. J’ai au moins appris une chose dans ma vie de chef d’entreprise qui me sera alors utile : c’est que quoi que l’on fasse on est environné de contraintes et qu’un nombre considérable de gens passe son temps à en ajouter et en créer de nouvelles. Rien de neuf de ce côté là. Mais entre participer à un projet de ce type et m’installer seul mon choix est fait.

Au terme de cette description emphatique le lecteur non rebuté aura sans doute compris ce qui me motive dans l’installation en MSP. Mais s’il est attentif il se demandera pourquoi j’ai titré « rejoindre » un projet de MSP et non pas « créer » un projet. Et bien parce que cela prend énormément de temps, au minimum 3 à 4 ans si l’on part de zéro. Plus en général. Et là j’avoue, à 57 ans, je n’ai pas vraiment le temps de partir de zéro.

(1) Qu’on ne lise pas d’ostracisme anti provincial dans ces lignes. J’ai aussi remplacé à Paris ou à Suresnes et là il n’était pas question de loger chez le médecin – j’habite Paris. C’était tout aussi chiant, voire plus.

Liens vers les fédérations de maisons de santé

Fédération maisons et pôles de santé  
Fédération IDF

Liens vers études très complètes de l’IRDES

Toutes les illustrations sont de Gérard Schlosser, peintre français hyper réaliste

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Un moteur nommé désir

Jamais je n’aurais imaginé, en janvier 2014, que je démarrerai 2015 en temps que stagiaire en cours de reconversion à la pratique de la médecine générale. Jamais.

Pour moi c’était de l’histoire ancienne : depuis 1986 je travaillais en entreprise dans des domaines sans aucun rapport avec la médecine. A 56 ans, me replonger dans des études aussi intenses pour rafraîchir les souvenirs, retrouver les réflexes et apprendre ce qui avait évolué m’aurait parut si énorme que je ne pouvais même pas l’imaginer.

Et pourtant, en cette fin d’année, je suis inscrit depuis un peu plus d’un mois à la faculté de médecine de Rennes, j’ai assisté pendant 16 jours à environ 350 consultations en médecine générale (dont 6 chez le Dr Bienveillant), passé deux jours en cours avec des internes en médecine générale au milieu desquels je me suis senti, il faut bien le dire un peu OVNI, lancé ce blog pour relater mes pérégrinations et réflexions diverses sur la médecine, pris un abonnement à la revue Prescrire, au British Medical Journal (BMJ pour les intimes) et même à Exercer (dont je n’ai pas reçu le moindre numéro d’ailleurs), suivi avec attention les discussions entre médecins grévistes et non grévistes sur Twitter, créé grâce à @L_Arnal mon site web personnel me permettant d’organiser ma documentation médicale, lu et travaillé un grand nombre d’articles médicaux, des livres, etc.

Comment je suis passé d’une vie à l’autre a été l’objet de mon premier billet. Je ne vais pas radoter ici. Nombreux sont celles et ceux qui m’ont fait part de leur admiration pour le « courage » dont j’avais alors fait la preuve. Je me connais suffisamment bien et depuis suffisamment longtemps pour savoir que le courage ou la volonté sont les deux moteurs les plus inefficaces pour me faire avancer. Mon moteur le plus puissant est le désir. Il est si puissant qu’il m’aveugle facilement et m’embarque dans une randonnée périlleuse avec autant de légèreté que pour une petite ballade dominicale post prandiale.

En tous cas c’est parti et ce qui est sûr c’est qu’il y a du boulot pour obtenir diplôme et inscription à l’ordre des médecins d’ici fin 2015. C’est bien maintenant qu’il faudrait avoir un grand courage et une volonté d’acier. Quand le désir vacille devant la charge de travail en perspective. C’est le moment de s’accrocher !

accrochons nous

Avec mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année

La contrainte ça ne marche pas

J’ai découvert il y a bien longtemps, au détour d’une formation qualité, cette idée simple que si l’on doit mener à bien une action, il faut pouvoir la faire, vouloir la faire et savoir la faire.

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Dès que l’on commence à méditer sur ce schéma, en pensant à des exemples de sa propre expérience, c’est souvent assez lumineux. Bien sûr dans la vie réelle les situations ne sont jamais limpides. Je sais assez bien faire ce que j’ai à faire, les moyens que j’ai pour le faire sont pas tout à fait suffisants et je n’ai pas trop envie. Mais il faut le faire. Alors j’y arrive mais probablement pas avec la qualité de résultat souhaité.

Ce petit système d’analyse me revient à la mémoire et son application à l’exercice de la médecine m’interpelle.

Prenons l’observance :
– Le patient sait-il combien, comment, pourquoi il doit prendre son traitement, a t-il connaissance des effets secondaires possibles, de ceux qui doivent entraîner l’arrêt ou de de ceux qui doivent être supportés car on ne peut pas faire sans, sait-il les effets à attendre, quand ils doivent se produire ?
– a-t-il les moyens de suivre son traitement, d’avancer le tiers payant, la possibilité de suivre les recommandations diététiques dans son environnement culturel, la capacité de se prendre en charge ?
– a-t-il envie de le prendre, d’appliquer les mesures préventives, de suivre un traitement douloureux, de respecter les contraintes d’horaire, de régime, de suivi biologique…

Et nous, médecins – enfin vous parce que moi c’est encore en gestation – si nous nous regardons le nombril, ne retrouvons-nous pas nombre d’exemples dans lesquels notre envie, notre savoir-faire ou nos moyens pour faire notre travail ont été mis en défaut, débouchant sur des résultat thérapeutiques insatisfaisants ?

Enfin quid du duo médecin-patient ? En gardant ce schéma d’analyse, il est clair qu’un traitement sera d’autant plus efficace que l’envie du médecin de soigner et celle du patient de se soigner seront fortes (merci placebo), que le savoir-faire du médecin et la compréhension du patient seront grands, que les moyens thérapeutiques et la capacité du patient à les mettre en œuvre seront présents. La contrainte ou l’autoritarisme n’ont pas plus de place ici qu’ailleurs parce qu’elles ne marchent pas.

La médecine générale, une idylle ?

Prenons date. Voici in extenso ma lettre de motivation pour l’inscription au DIU de requalification à la MG. Elle ne s’encombre pas de nuances mais n’est-ce pas le propre de ce genre d’exercice. Je l’ai écrite avec sincérité et un brin de naïveté. Elle a du toucher quelque fibre puisque j’ai été admis à l’inscription. Rendez-vous dans 3-4 ans pour voir comment cette vision idyllique aura évolué 😉

Pouf Pouf Pouf

Bon je sais ce train ça n’a rien à voir avec le sujet mais il est si mignon…

Objet : Lettre de motivation à l’inscription dans votre DIU de réorientation vers la pratique de la médecine générale

Le 15 juillet 2014

Cher Confrère,

Fin 86, alors que j’exerçais en tant que remplaçant en médecine de ville et travaillais en parallèle à des projets personnels, je fus placé devant un choix radical : m’installer en médecine générale ambulatoire ou rejoindre l’entreprise familiale en vue de succéder à mon père. Je fis alors le choix de l’entreprise, n’imaginant pas alors que j’allais y consacrer 26 années de mon existence.

Après la cession de l’entreprise fin 2012, l’idée de reprendre la médecine commença à prendre sérieusement forme. Elle se renforça progressivement et fit son chemin jusqu’à se transformer en profond désir.

Même si j’avais continué de m’intéresser à la médecine, c’était plus en termes d’intérêt pour l’actualité. Aussi, l’énormité de la durée d’interruption de la pratique n’était pas sans m’effrayer : serais-je capable de réapprendre ce que j’avais oublié, d’assimiler ce qui avait évolué ?

Sur le plan à mon sens primordial de la relation médecin malade, du rôle d’accompagnateur du patient en vue de l’aider à prendre en charge sa guérison ou son évolution de comportement, je n’étais pas inquiet. Le rôle managérial de chef d’entreprise n’en était pas si éloigné. Les années avaient renforcé ma capacité à être en empathie, à savoir aider les gens à prendre de la distance par rapport à une situation, à m’adapter à diverses capacités de compréhension. Il y aurait un travail de transposition mais il ne devrait pas être considérable.

Sur le plan des savoirs et de la technique, je devais vérifier, avant de décider de cette nouvelle orientation, si j’étais capable de les mettre à jour. Pour le faire, je me plongeai dans la lecture d’un ouvrage de médecine générale « d’aujourd’hui » et à la découverte des sources d’information médicale sur Internet. Je dois avouer que c’est un travail – toujours en cours – que je me surpris à mener avec beaucoup de plaisir. Non seulement la redécouverte de ces savoirs enfouis constituait pour moi une expérience intellectuelle surprenante, mais surtout la pédagogie de la médecine générale était devenue une réalité concrète, cohérente, bien plus adaptée à ce métier que celle de mes années de formation.

Ce faisant j’acquis une double conviction : je me sentais capable de m’y remettre et cela allait être captivant.

Sur le plan de la pratique enfin, il était clair que seule une formation ad hoc pourrait me permettre d’avancer.

Actuellement en charge d’imaginer de nouveaux produits de consommation au sein d’une PME, je trouve de moins en moins de sens à mon travail. La pratique de la médecine générale m’apparaît comme le moyen de mettre en phase mes aspirations personnelles et une pratique professionnelle. Je me projette avec enthousiasme dans le développement de relations authentiques avec les patients. Je me réjouis par avance de continuer à apprendre, à développer mes compétences, de découvrir la médecine telle qu’elle se pratique aujourd’hui. Je suis impatient de commencer.

Mon projet professionnel est simple : pratiquer la médecine générale ambulatoire en ville pendant une dizaine d’années.

Je me suis toujours consacré entièrement et avec énergie à ce que j’ai entrepris. C’est dans cet état d’esprit que j’aborde ma reconversion.

Je vous prie d’agréer, cher Confrère, l’expression de mes très sincères sentiments.