Je poursuis ici ma traduction de bonnes feuilles de l’ouvrage de Peter C Gøzsche, Deadly Medicines and organised crime: How Big Pharma has corrupted Healthcare (Médicaments mortels et crime organisé : comment Big Pharma a corrompu les services médicaux). La première partie se trouve ici.
Les essais cliniques : de purs stratagèmes marketings
A priori on aurait tendance à penser qu’un « essai clinique thérapeutique » est un travail de recherche scientifique visant à étudier l’intérêt d’un nouveau médicament et ses risques potentiels. En fait …et bien non !
A l’évidence il est nécessaire de manipuler les études
« Il y a un grand nombre de moyens par lesquels une société pharmaceutique peut manipuler les résultats de ses essais cliniques et s’assurer qu’ils deviendront utiles pour ses vendeurs, et ce au mépris de ce qu’une approche scientifique honnête aurait pu montrer. Les manipulations sont si courantes et importantes que l’un des mes collègues disait qu’on ne devrait regarder les publications des essais cliniques d’industriels comme rien d’autre que de la publicité pour leurs médicaments. A quoi je fais remarquer que les essais des industriels ne remplissent même pas les exigences demandées à la publicité en UE: « personne ne publiera une publicité pour un produit médicinal à moins que cette publicité n’encourage l’usage rationnel du produit en le présentant objectivement et sans exagérer ses propriétés ».
Il n’est pas étonnant que l’industrie du médicament manipule ses résultats. La différence entre des données honnêtes et des données pas tout à fait honnêtes peut se chiffrer en milliards de dollars sur le marché mondial. Il est donc naïf de penser que l’industrie va réaliser des études désintéressées sur ses propres produits avec l’objectif de trouver si son nouveau médicament n’est pas vraiment meilleur qu’un placebo ou qu’une alternative bien moins chère. Si l’industrie poursuivait réellement ce but, elle mettrait ses médicaments à risque en les comparant avec des placebos actifs et laisserait des chercheurs indépendants réaliser ses études.»
Pour manipuler les études rien de mieux que de les contrôler
Pour garder la main sur les résultats, les groupes pharmaceutiques font signer des contrats spécifiant qu’il sont seuls propriétaires des données, qu’ils auront un droit de relecture avant publication. Cochrane a étudié ainsi 44 protocoles d’études cliniques
« Nous avons analysé un échantillon de protocoles d’études cliniques qui se déroulaient en 2004. Sur 44 protocoles, 27 mentionnaient que les données acquises étaient propriété du laboratoire ou que ce dernier gardait le contrôle de la publication. Treize des protocoles mentionnaient des contrats de publication séparés et aucun de ces contrats secrets n’étaient disponibles dans les documents classés dans les comités d’éthique de recherche…/… Il était indiqué dans seize protocoles que l’industriel avait accès aux données en cours d’étude, par exemple à travers des analyses intermédiaires ou la participation à des réunions de suivi de sécurité et de données. Ceci n’était indiqué que dans une seule des publication subséquentes. Seize protocoles indiquaient que l’industriel avait le droit de stopper l’essai à tout moment pour quelque raison que ce soit. Ceci n’était noté dans aucune des publications finales. L’industriel avait donc un contrôle sur le cours de l’étude dans 32 / 44 = 73% des cas. Quand l’industriel peut régulièrement regarder l’avancement d’une étude, il y a un risque qu’elle soit arrêtée au moment où elle lui est favorable. Les études signalées comme ayant été stoppées prématurément pour résultat positif exagéraient les effets favorables de 39% par rapport aux études similaires qui n’avaient pas été interrompues.
Aucun des protocoles ou publication d’essais cliniques n’indiquaient que les chercheurs avaient accès à l’ensemble des données ou avaient la responsabilité finale pour la décision de soumettre à la publication sans obtenir l’autorisation de l’industriel.
Ces découvertes sont affligeantes. Parmi les protocoles examinés, un industriel avait le potentiel d’empêcher la publication dans la moitié des essais et avait recours à des obstacles pratiques ou légaux dans la plupart des autres.
Voici un exemple des conséquences de cette corruption. En 2003, la FDA révisait des données non publiées d’études en sa possession sur l’utilisation des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (une classe d’anti -dépresseurs) chez les enfants et les adolescents afin de voir si ces médicaments accroissaient le risque de suicide. Les universités et écoles de médecine qui avaient publié des résultats positifs sur ces médicaments furent inquiétées et publièrent un rapport en janvier 2004 pour défendre l’efficacité des ces drogues et contester les éléments de preuve que leur utilisation pourraient augmenter les comportements suicidaires. Par la suite quoi la FDA détermina que ce risque existait bien. Les chercheurs universitaires recontactèrent les industriels pour accéder aux données qu’ils avaient eux même générées mais un certain nombre de ces sociétés refusèrent de leur transmettre les informations. Cette décision ne put être discutée car les écoles de médecine, en acceptant de réaliser les études, avaient signé des contrats avec les fabricants qui gardaient les données confidentielles.»
Étendre le contrôle par le financement
« La situation s’est sensiblement détériorée. En 1980, 32% de la recherche biomédicale aux USA était financée par l’industrie et en 2000 c’était 62%. Aujourd’hui la plupart des essais sont sponsorisés par l’industrie, que ce soit aux USA ou dans l’UE. De plus, la proportion de projets financés par l’industrie et menés par les centres universitaires médicaux a baissé considérablement de 63% en 1994 à 26% en 2004. Ce sont maintenant des sociétés privées, les Contract Research Organisations (CROs) qui réalisent les études, certaines d’entre-elles travaillant également pour le marketing et la publicité. Encore un signe que les essais pharmaceutiques sont des stratagèmes marketing.
Pour lutter contre les CROs, les universités ont monté des bureaux d’essais cliniques et courtisent ouvertement l’industrie en offrant les services de leur facultés de médecine et un accès facile aux patients. Ainsi, au lieu de combattre la corruption de l’université, les médecins de la faculté participent à une course vers le plus bas niveau de l’éthique, rendant de plus en plus improbable qu’un outsider puisse un jour obtenir les données.
Les médecins ont accepté de ne plus être partenaires dans l’activité de recherche clinique mais de se contenter simplement de fournir des patients pour les études, ce en échange de publications et divers bénéfices, au sommet desquels le support financier qui peut être utilisé pour d’autres recherches cliniques ou comme complément de l’économie privée du médecin.
Et pour conclure ce triste chapitre
Le contrat social avec les patients volontaires pour les essais cliniques a été brisé. C’est un fait que les compagnies de publicité et de relations publiques conduisent désormais des essais cliniques aux USA et en UE et c’est probablement le signe le plus clair que les groupes pharmaceutiques ne séparent plus le marketing de la recherche. Les formulaires de consentement des patients pour les essais devraient donc maintenant être rédigés comme ceci :
J’accepte de participer à cette étude dont je comprend qu’elle n’a aucune valeur scientifique mais qu’elle sera utile pour la Société afin de mettre son médicament sur le marché. Je comprends également que si les résultats ne plaisent pas à la Société, cette dernière peut les manipuler et les déformer jusqu’à ce qu’ils lui plaisent et que, si cela aussi ne marche pas, les résultats pourront être enterrés de manière à ce que personne ne puisse les consulter en dehors de la Société. Finalement, je comprend et j’accepte que s’il y avait trop d’effets secondaires sérieux dus au médicament, il seront soit non publiés soit nommés autrement afin de ne pas générer d’inquiétude chez les patients ou faire baisser les ventes du médicament.»
A suivre …