Médicaments mortels et crime organisé (2)

Je poursuis ici ma traduction de bonnes feuilles de l’ouvrage de Peter C Gøzsche, Deadly Medicines and organised crime: How Big Pharma has corrupted Healthcare (Médicaments mortels et crime organisé : comment Big Pharma a corrompu les services médicaux). La première partie se trouve ici.

Les essais cliniques : de purs stratagèmes marketings

A priori on aurait tendance à penser qu’un « essai clinique thérapeutique » est un travail de recherche scientifique visant à étudier l’intérêt d’un nouveau médicament et ses risques potentiels. En fait …et bien non !

A l’évidence il est nécessaire de manipuler les études

« Il y a un grand nombre de moyens par lesquels une société pharmaceutique  peut manipuler les résultats de ses essais cliniques et s’assurer qu’ils deviendront utiles pour ses vendeurs, et ce au mépris de ce qu’une approche scientifique honnête aurait pu montrer. Les manipulations sont si courantes et importantes que l’un des mes collègues disait qu’on ne devrait regarder les publications des essais cliniques d’industriels comme rien d’autre que de la publicité pour leurs médicaments. A quoi je fais remarquer que les essais des industriels ne remplissent même pas les exigences demandées à la publicité en UE: « personne ne publiera une publicité pour un produit médicinal à moins que cette publicité n’encourage l’usage rationnel du produit en le présentant objectivement et sans exagérer ses propriétés ».

Il n’est pas étonnant que l’industrie du médicament manipule ses résultats. La différence entre des données honnêtes et des données pas tout à fait honnêtes peut se chiffrer en milliards de dollars sur le marché mondial. Il est donc naïf de penser que l’industrie va réaliser des études désintéressées sur ses propres produits avec l’objectif de trouver si son nouveau médicament n’est pas vraiment meilleur qu’un placebo ou qu’une alternative bien moins chère. Si l’industrie poursuivait réellement ce but, elle mettrait ses médicaments à risque en les comparant avec des placebos actifs et laisserait des chercheurs indépendants réaliser ses études.»

Pour manipuler les études rien de mieux que de les contrôler

Pour garder la main sur les résultats, les groupes pharmaceutiques font signer des contrats spécifiant qu’il sont seuls propriétaires des données, qu’ils auront un droit de relecture avant publication. Cochrane a étudié ainsi 44 protocoles d’études cliniques

« Nous avons analysé un échantillon de protocoles d’études cliniques qui se déroulaient en 2004. Sur 44 protocoles, 27 mentionnaient que les données acquises étaient propriété du laboratoire ou que ce dernier gardait le contrôle de la publication. Treize des protocoles mentionnaient des contrats de publication séparés et aucun de ces contrats secrets n’étaient disponibles dans les documents classés dans les comités d’éthique de recherche…/… Il était indiqué dans seize protocoles que l’industriel avait accès aux données en cours d’étude, par exemple à travers des analyses intermédiaires ou la participation à des réunions de suivi de sécurité et de données. Ceci n’était indiqué que dans une seule des publication subséquentes. Seize protocoles indiquaient que l’industriel avait le droit de stopper l’essai à tout moment pour quelque raison que ce soit. Ceci n’était noté dans aucune des publications finales. L’industriel avait donc un contrôle sur le cours de l’étude dans  32 / 44 = 73% des cas. Quand l’industriel peut régulièrement regarder l’avancement d’une étude, il y a un risque qu’elle soit arrêtée au moment où elle lui est favorable. Les études signalées comme ayant été stoppées prématurément pour résultat positif exagéraient les effets favorables de 39% par rapport aux études similaires qui n’avaient pas été interrompues.

Uncle+Sam+Big+Pharma

Aucun des protocoles ou publication d’essais cliniques n’indiquaient que les chercheurs avaient accès à l’ensemble des données ou avaient la responsabilité finale pour la décision de soumettre à la publication sans obtenir l’autorisation de l’industriel.

Ces découvertes sont affligeantes. Parmi les protocoles examinés, un industriel avait le potentiel d’empêcher la publication dans la moitié des essais et avait recours à des obstacles pratiques ou légaux dans la plupart des autres.

Voici un exemple des conséquences de cette corruption. En 2003, la FDA révisait des données non publiées d’études en sa possession sur l’utilisation des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (une classe d’anti -dépresseurs) chez les enfants et les adolescents afin de voir si ces médicaments accroissaient le risque de suicide. Les universités et écoles de médecine qui avaient publié des résultats positifs sur ces médicaments furent inquiétées et publièrent un rapport en janvier 2004 pour défendre l’efficacité des ces drogues et contester les éléments de preuve que leur utilisation pourraient augmenter les comportements suicidaires. Par la suite quoi la FDA détermina que ce risque existait bien. Les chercheurs universitaires recontactèrent les industriels pour accéder aux données qu’ils avaient eux même générées mais un certain nombre de ces sociétés refusèrent de leur transmettre les informations. Cette décision ne put être discutée car les écoles de médecine, en acceptant de réaliser les études, avaient signé des contrats avec les fabricants qui gardaient les données confidentielles.»

Étendre le contrôle par le financement

« La situation s’est sensiblement détériorée. En 1980, 32% de la recherche biomédicale aux USA était financée par l’industrie et en 2000 c’était 62%. Aujourd’hui la plupart des essais sont sponsorisés par l’industrie, que ce soit aux USA ou dans l’UE. De plus, la proportion de projets financés par l’industrie et menés par les centres universitaires médicaux a baissé considérablement de 63% en 1994 à 26% en 2004. Ce sont maintenant des sociétés privées, les Contract Research Organisations (CROs) qui réalisent les études, certaines d’entre-elles travaillant également pour le marketing et la publicité. Encore un signe que les essais pharmaceutiques sont des stratagèmes marketing.

Pour lutter contre les CROs, les universités ont monté des bureaux d’essais cliniques et courtisent ouvertement l’industrie en offrant les services de leur facultés de médecine et un accès facile aux patients. Ainsi, au lieu de combattre la corruption de l’université, les médecins de la faculté participent à une course vers le plus bas niveau de l’éthique, rendant de plus en plus improbable qu’un outsider puisse un jour obtenir les données.

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Les médecins ont accepté de ne plus être partenaires dans l’activité de recherche clinique mais de se contenter simplement de fournir des patients pour les études, ce en échange de publications et divers bénéfices, au sommet desquels le support financier qui peut être utilisé pour d’autres recherches cliniques ou comme complément de l’économie privée du médecin.

 Et pour conclure ce triste chapitre

Le contrat social avec les patients volontaires pour les essais cliniques a été brisé. C’est un fait que les compagnies de publicité et de relations publiques conduisent désormais des essais cliniques aux USA et en UE et c’est probablement le signe le plus clair que les groupes pharmaceutiques ne séparent plus le marketing de la recherche. Les formulaires de consentement des patients pour les essais devraient donc maintenant être rédigés comme ceci :

J’accepte de participer à cette étude dont je comprend qu’elle n’a aucune valeur scientifique mais qu’elle sera utile pour la Société afin de mettre son médicament sur le marché. Je comprends également que si les résultats ne plaisent pas à la Société, cette dernière peut les manipuler et les déformer jusqu’à ce qu’ils lui plaisent et que, si cela aussi ne marche pas, les résultats pourront être enterrés de manière à ce que personne ne puisse les consulter en dehors de la Société. Finalement, je comprend et j’accepte que s’il y avait trop d’effets secondaires sérieux dus au médicament, il seront soit non publiés soit nommés autrement afin de ne pas générer d’inquiétude chez les patients ou faire baisser les ventes du médicament.»

A suivre …

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Médicaments mortels et crime organisé (1)

Préambule

Peter C Gøtzsche est un membre éminent de la Collaboration Cochrane, organisation à but non lucratif créée à Oxford en 1993 par Iain Chamlers, née de la frustration, courante chez de nombreux chercheurs, de voir que la plupart des recherches médicales sont biaisées et de piètre qualité. Il est le fondateur du bureau danois de cette organisation et a publié de nombreux articles et plusieurs livres parmi lesquels :

LivrePCGDeadly Medicines and organised crime: How Big Pharma has corrupted Healthcare (Médicaments mortels et crime organisé : comment Big Pharma a corrompu les services médicaux)

Ce livre plein d’humanité et d’intelligence décrit par le menu l’immense système de corruption mis en place par les laboratoires pharmaceutiques pour vendre des médicaments inutiles, dangereux et chers. Outre de nombreux exemples documentés, il s’attache à décrire les mécanismes de tricherie et de corruption largement employés. Je ne peux que recommander sa lecture mais, sachant que le temps disponible et la lecture en anglais ne sont pas nécessairement l’apanage de tous, je me propose, au fil de l’eau, d’en traduire quelques bonnes pages, me concentrant sur les mécanismes plus que sur les histoires.

Note d’avril 2015 : le livre est maintenant paru en français sous le titre « Remèdes mortels et crime organisé, comment l’industrie pharmaceutique a corrompu les services de santé »

Pour vendre un médicament, pas besoin de prouver qu’il est meilleur

A la fin des années 70, en parallèle de ses études de médecine, Gøtzsche travaille pour le laboratoire Astra-Syntex comme responsable des essais cliniques et des demandes d’enregistrement pour les nouveaux médicaments.

« La survie d’Astra-Syntex dépendait d’un seul médicament, le naproxène (Naprosyn), un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) utilisé dans l’arthrite. Je réalisai plusieurs essais avec ce médicament et, chemin faisant, me rendit compte que je ne restais pas immunisé contre l’influence de la société. Il y avait beaucoup d’AINS sur le marché, mais d’une certaine manière vous devenez tellement habitué à l’idée que votre médicament pourrait être meilleur que les autres que vous finissez par penser qu’il est meilleur, juste comme si c’était votre enfant. Une des raisons qui fait que le marketing des médicaments est si efficace tient à ce que les vendeurs sont convaincus qu’ils proposent un très bon médicament.

Une indication très claire de ma naïveté apparut lorsque je demandais au siège européen à Londres pourquoi on ne conduisait pas un essai comparant le naproxène avec un simple analgésique comme le paracétamol, par exemple dans les blessures sportives. Le directeur médical m’expliqua alors gentiment qu’ils n’étaient pas intéressés par un tel essai mais sans jamais me dire pourquoi, alors même que je réitérais ma question à plus d’une occasion. La raison était bien sur qu’un tel essai aurait pu montrer qu’un analgésique beaucoup moins cher était tout aussi efficace alors que par-dessus le marché on savait déjà que le paracétamol était bien moins dangereux que le naproxène.

Pour leurrer les gens et leur faire préférer le naproxène au paracétamol il était donc nécessaire de donner aux médecins l’impression que le naproxène était bien plus efficace et ce sans avoir aucune donnée pour le montrer.

L’astuce était simple : donner des arguments théoriques. C’est un puissant outil marketing – bien que les arguments tiennent rarement la route. Dans les manuels de pharmacologie, le naproxène est décrit comme ayant des propriété anti-inflammatoires avec l’argument clé qui donne à peu près ceci : quand vous avez une blessure sportive, il y a une blessure tissulaire et une inflammation avec de l’œdème et il est important de diminuer l’inflammation pour accélérer la guérison…

Il y a deux ans la télévision danoise a fait un point sur l’usage très répandu des AINS dans les clubs de football professionnels pour toutes sortes de douleurs. Le statut de médicament sous prescription n’était pas une gêne car les médecins du sport les fournissaient en abondance, laissant les footballers en prendre autant qu’ils en voulaient même sans demander.

Dans les années 80, je fus approché par un rhumatologue qui s’occupait de l’équipe national de football du Danemark. Il voulait savoir si le naproxène était meilleur que l’aspirine pour les blessures sportives. L’aspirine est aussi un AINS – le plus ancien et le moins cher – mais il est souvent utilisé à des doses faibles pour lesquelles il est assumé ne pas avoir d’effet anti-inflammatoire mais simplement un effet antalgique. Nous réalisâmes l’essai en utilisant de faibles doses d’aspirine et, malgré les préoccupations de mes supérieurs londoniens, mais juste comme ils l’avaient prédit, il n’y eut pas de différence significative entre les deux drogues.

IMG_8193Je me suis toujours demandé comment il était possible de dire que les AINS avaient des effets anti inflammatoires ou si c’était seulement un stratagème marketing. Si une drogue possède un effet analgésique, cela entraînera une mobilisation plus rapide ce qui devrait conduire à une baisse de l’œdème. J’ai souvent discuté cette question avec des rhumatologues mis je n’ai jamais eu de réponse satisfaisante.»

 

Entre un effet non significatif et un effet significatif il n’y a qu’un pas assez facile à franchir

Je ne sais pas pour vous mais moi je n’ai jamais rien compris à ces histoires de P dans les statistiques médicales. Jusqu’à ce que je lise ces quelques lignes pleines d’enseignement.

« Si l’on traite des patients en soins primaires avec un antidépresseur pendant 6 semaines, environ 60% vont s’améliorer. Si l’on traite les patients avec un placebo identique à la pilule active, 50% vont s’améliorer. Et si on ne traite pas les patients et qu’on les revoit 6 semaines plus tard, nombre d’entre-eux se seront également améliorés. Nous appelons cela la rémission spontanée de la maladie ou son cours naturel. Ainsi il y a 3 raisons principale pour lesquelles un patient peut se sentir mieux après avoir été traité avec un médicament : l’effet du médicament, l’effet placebo et le cours naturel de la maladie.

Nous avons randomisé 400 patients en deux groupes de 200 (pour l’évaluation d’un traitement anti-dépresseur). 121 patients sur 200 (60,5%) se sont améliorés avec le médicament actif et 100 patients sur 200 avec le placebo. Devrions-nous alors croire que le médicament est meilleur que le placebo ou est-ce que la différence observée aurait pu se produire par chance ? On peut répondre à cette question en se demandant avec quelle fréquence on observerait une différence de 21 ou plus patients améliorés, en répétant l’étude plusieurs fois, si la vérité était que la drogue n’a pas d’effet.

C’est là que les statistiques sont si utiles. Un test statistique calcule une valeur P qui mesure la probabilité d’observer une différence de 21 patients ou plus si le médicament ne marche pas. Dans notre cas P = 0,04 ou 4%. La littérature médicale est pleine de valeurs de P et la tradition est que si P est inférieur ou égal à 0,05 ou 5% on considère que la différence est significative et on choisit de croire que la différence que l’on trouve est réelle. P = 0,04 signifie que si l’on répétait les études cliniques de nombreuses fois et que le médicament ne marchait pas, on observerait une différence de 21 patients ou plus dans seulement 4% des cas.

Si deux patients de moins s’étaient améliorés avec le médicament actif, donc 119 au lieu de 121, la différence aurait été à peu près la même, de 19 patients au lieu de 21, mais la différence n’aurait alors pas été statistiquement significative (P = 0,07).

Ce qui est illustré ici c’est que bien souvent la preuve qu’un traitement fonctionne ne repose que sur quelques patients même si, comme dans cet exemple, il y avait 400 patients, ce qui est un essai raisonnablement large pour une étude sur la dépression. Il n’y a donc pas besoin d’un biais très fort pour convertir un résultat non significatif en résultat significatif. Parfois les chercheurs ou les sociétés réinterprètent ou réanalysent les données après avoir trouvé une valeur de P > 0,05 jusqu’à ce qu’ils arrivent à une valeur inférieure ou égale à 0,05, par exemple en décidant que quelques patients de plus se sont améliorés sous traitement, ou quelques patients de moins sous placebo, ou en excluant quelques patients de l’étude. Ce n’est pas une approche scientifiquement honnête, mais les violations des bonnes pratiques scientifiques sont très courantes.»

Mais même sans manipulation, l’écart entre résultat significatif et résultat non significatif se décide sur des nombres de patients tellement petits que le moindre grain de sable vient fausser les choses. Par exemple si l’étude n’est pas complètement en double aveugle.

« Si la mise en place du double aveugle n’est pas impeccable, on peut s’attendre à ce que l’effet rapporté d’une drogue soit exagéré quand le résultat est subjectif comme par exemple pour l’humeur générale ou la douleur. Est-ce que le double aveugle est souvent faussé ? Assez souvent en réalité, et cela pour deux raisons :

Premièrement, des essais qualifiés de double aveugle peuvent ne pas avoir été « aveuglés » dès la mise en place. Par exemple des chercheurs qui ont réalisé 6 études en double aveugle pour des antidépresseurs ou des tranquillisants ont noté que dans tous les cas les placebo étaient différents du médicament actif en termes de propriétés physique, c’est-à-dire la texture, la couleur et l’épaisseur. Deuxièmement, même si le médicament et le placebo sont indistinguables physiquement, il est souvent difficile de maintenir le secret pendant l’essai parce que les médicaments ont des effets secondaires, par exemple les antidépresseurs entrainent des sécheresses de la bouche.»

Très peu de patients bénéficient du traitement qu’ils prennent

Pour finir ce premier billet, sortons de la statistique abstraite pour revenir dans la réalité des patients que l’on traite – ou que l’on pense traiter – avec toujours ce même exemple.

« Une manière commode de se rendre compte que peu de patients vont bénéficier des traitements qu’on leur donne – même si vous décidez de croire à la valeur faciale des résultats des études – est de convertir le taux d’amélioration en Number Needed to Treat (nombre de patients à traiter). C’est l’inverse de la différence du risque. Ainsi, si nous croyons que 60% des patients qui reçoivent un traitement antidépresseur s’améliorent et qu’ils sont 50% à le faire sous placebo, le NNT est de 1/(60%-50%) =10.

Cela signifie que pour chaque 10 patients que l’on traite avec un antidépresseur, un seul va en tirer bénéfice …/… Mais c’est en fait bien pire, pas seulement à cause du manque effectif de fonctionnement en double aveugle mais aussi parce que le 10% de différence provient d’études réalisées par des industriels qui ont été soigneusement mise au point pour recruter des patients susceptibles de répondre favorablement (ce sera l’objet d’un autre chapitre). En pratique réelle, le NNT est bien plus grand que 10.»

Même si on conserve « la valeur faciale » de 10, cela signifie qu’ en fait 9 patients sur 10 vont guérir soit du fait du cours naturel de la maladie, soit de l’effet placebo, par contre ils auront tous la possibilité de profiter, le cas échéant, des effets secondaires.

Bon, c’est l’heure de mon Seroplex.

… A suivre

Gérer l’erreur en médecine : une approche moyenâgeuse

Le Mededfr de jeudi dernier avait pour thème l’erreur en médecine. Force fut de constater au travers des contributions des participants qu’il n’existe ni culture ni travail de fond sur l’erreur en médecine (pas 100% vrai mais disons 98%), de plus de multiples obstacles empêchent de progresser :

  • le sujet est de l’ordre du tabou : @NoSuperDoc “l’erreur, c’est un peu le tabou en médecine. Alors forcément on apprend pas à la gérer”. ‏@Littherapeute “admettre avoir fait une erreur dans un contexte où l’erreur est taboue, c’est pas évident.”
  • On ne se trompe pas et si c’est le cas on est un paria : @Kheenoa “on peut apprendre des erreurs des autres si c’est pas organisé sous forme de lynchage collectif…”
  • la notion d’erreur médicale renvoie à ses propres expériences d’erreurs sur un registre de culpabilisation : @farfadoc “C’est sympa de discuter de l’erreur en médecine, mais du coup je me souviens de plein des miennes, ça colle le bourdon, un peu.” ‏@DocAdrenaline “phase retour de boomerang : au hasard d’un crash moral (comme ce soir) se remémorer tout plein d’erreurs et se haïr x 10e12.”
  • La médecine n’est pas une science exacte, qui plus est souvent pratiquée seul. Et seul on reste face à ses doutes : ‏@malicette84 “Le pire c’est les erreurs que tu as l’impression d’avoir fait sans en être sûre et sans pouvoir vérifier.” @DocShadok “si on est seul dans son cabinet, on reste seul face à sa conscience »
  • L’arrogance ou la suffisance de certains médecins est évoquée : @Mawebassistante “c’est trop con de pas s’en servir ((étude des erreurs passées)) mais pas étonnée… (grand professeur, super labo, grand hôpital.)”

Mais si la culture, l’enseignement et les bases théoriques sont absents, un certain nombre de remarques démontrent une approche plus libérée : @Littherapeute “Mais ne pas d’emblée poser un jugement moral sur celui qui serait amené à la faire ((l’erreur)).” ‏@Babeth_AS “il nous manque des réunions d’analyse de pratique professionnelle. Un espace où on pourrait échanger sans juger.” @malicette84 : “on ne peut apprendre de l’erreur que si on comprend d’où elle vient. Que ce soit la sienne ou celle d’un autre.” ‏@dupuis_sandra : “faire preuve d’humilité savoir dire je ne sais pas avant de commettre une erreur et surtout apprendre à reconnaître ses erreurs.”

L’absence de systématique et de culture de gestion de l’erreur en médecine offre un contraste qui étonne face à l’immensité du problème. Pour l’illustrer, j’ai indiqué sur ce graphique les 5 principales causes de décès aux USA. Les erreurs médicales se glisseraient en 3ème position si elles étaient distinguées comme cause de décès. Une paille !

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Les organisations à haut risque (aviation civile, centrales nucléaires, porte-avions…) ont compris l’importance qu’il y avait à s’occuper sérieusement des erreurs pour sécuriser leur activité. La médecine ne s’y est que peu mise – hors chirurgie où la HAS a adopté le principe de la check-list obligatoire en chirurgie  pour la certification en 2010 et des expériences en réanimation. J’y reviendrai dans un prochain billet. La médecine ne serait-elle pas un domaine à haut risque ? Amusons-nous à diviser les 400.000 morts annuels du graphique ci-dessus par 400 (le contenu d’un gros avion pour arrondir). Les erreurs médicales seraient équivalentes à 1000 crash d’avions par an, rien qu’aux USA. Je te laisse extrapoler.

Dans Les décisions absurdes – tome 2, Christian Morel expose le résultat de son enquête et de ses réflexions sur la gestion des erreurs dans les organisations à haut risque. A le lire on réalise le vide abyssal qui sépare encore le monde médical d’une approche mature du sujet.

Je me propose dans ce premier billet consacré à ce sujet de résumer quelques points clés sur l’approche de la gestion des erreurs dans des organisations aussi souples et apprenantes que la marine nucléaire, l’armée de l’air ou l’aviation civile. Juste pour montrer jusqu’où on peut aller dans le domaine. Toutes les phrases entre guillemet proviennent de l’ouvrage de Christian Morel qui est le grand inspirateur de ce qui suit. Ayant moi-même piloté une organisation (pas à haut risque) pendant pas mal d’années, je suis particulièrement sensible à son analyse. Puissé-je l’avoir connue plus tôt !

L’erreur est humaine !

« Aux Etats-Unis (encore) environ 2000 erreurs d’identité ou de côté sont commises chaque année dans les salles d’opération alors même qu’une intervention chirurgicale est pratiquée par des gens qui sont particulièrement sur leur gardes ». Et non, les ricains ne sont pas plus débiles que nous. « Se tromper est une constante fondamentale de l’action ». Plutôt que de le nier, le reconnaître fait avancer. Alors comment s’y prennent les organisation à haut risque non seulement pour limiter les erreurs mais aussi pour apprendre des erreurs commises ?

1 – La non punition des erreurs

C’est un principe absolu dans de nombreuses organisations comme par exemple dans l’armée de l’air : toute erreur doit être reportée, faire l’objet d’un retour, d’une analyse et éventuellement d’une recommandation nouvelle. Pour favoriser cela elle n’est pas punie. Chez Air France, le report de l’erreur est anonyme de manière à garantir la non punition de l’erreur (on parle bien sûr des erreurs non intentionnelles. Si le pilote fait le tour de Belle-Ile pour épater sa petite amie ça ne rentre pas dans le cadre). Cette notion est à l’opposé de la logique sociétale qui veut que quand il y a erreur il y ait coupable. Classiquement le travail sur l’erreur consiste à trouver le coupable et à le punir. Quand c’est fait tout le monde est content et on repart faire les mêmes conneries comme en 40.

La dépénalisation de l’erreur au sein de l’organisation est un puissant mécanisme qui, en favorisant le retour d’expérience permet l’amélioration, l’apprentissage. Elle pousse à décrire et analyser les erreurs et non pas à les refouler, à en faire profiter les autres au lieu de leur cacher et à éviter la reproductibilité. La question n’est plus « peut-on apprendre des erreurs des autres ? » mais  « comment s’organiser pour apprendre des erreurs des autres ? ». Un système qui pénalise l’erreur ne peut ni s’améliorer ni permettre à ses acteurs de s’améliorer. Je te laisse méditer ça Docteur.

2 – La collégialité

On a tous, gravée dans la tête, l’image du commandant seul maître à bord après Dieu, détenteur de l’autorité et du savoir suprême. Je parie même que certains des lecteurs de ces lignes en ont rencontré certaines formes dans des services hospitaliers pas plus tard qu’hier. Et bien cette image est un faux. Cela fait même un moment que cette notion est périmée dans les endroits sérieux.

Dans la plupart des compagnies aériennes le commandant n’est plus Dieu à bord depuis qu’on s’est rendu compte qu’il y avait plus de crash avec le commandant de bord aux manettes qu’avec le copilote. Véridique. Et pour une raison simple : si le copilote est aux manettes, il est facile pour le commandant de lui dire qu’il se trompe. Mais si c’est le commandant qui pilote alors c’est plus difficile pour le copilote de lui dire qu’il se trompe. Facteur humain et facteur social, rien à voir avec l’expérience et la compétence.

Le principe de la collégialité dans le cockpit a maintenant été mis en place, chez Air France notamment. Chacun, pilote ou copilote assure le « monitoring » de celui qui est aux manettes et le commandant autant que le copilote a l’obligation d’écouter ce que dit l’autre. Il a été démontré que cela augmentait significativement la sécurité des vols.

A bord des sous-marins nucléaires de notre prestigieuse marine nationale, chacun doit assurer son rôle selon sa compétence technique en toute collégialité. Pour mieux le symboliser, une fois en mer plus personne à bord ne porte les galons indiquant son grade. Lors de certaines manœuvres, c’est le chef mécanicien qui décide de ce qu’il faut faire car c’est lui qui a la compétence. Pas le commandant. Encore un exemple ? Lors des lancements d’Ariane, trois techniciens ont pour mission d’annuler la mission en cas de problème. Pour qu’il n’y ait aucune interférence avec la hiérarchie, il sont isolés dans un local privé de moyens de communication. Dans l’armée on a compris qu’un chef qui décidait seul était dangereux. Et en médecine ?

3 – La sécurisation de la communication verbale et visuelle

Que ce soit au travers des check-list ou de l’établissement d’un vocabulaire précis, l’échange d’information entre membres d’une équipe ou entre équipes doit être sécurisée pour diminuer les erreurs. Cela paraît évident mais en pratique que fait-on ? Imagine une seconde que la check-list à contrôler avant le départ d’un avion soit écrite comme cette ordonnance publiée sur Twitter par @ami89_pharma.

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Je trouve en tous cas que l’obligation de prescrire en DCI à partir de janvier 2015 va bien dans le sens d’une sécurisation de la communication entre intervenants. Serait-on entrain de progresser ?

4 – La formation aux facteurs humains

Sources de nombreuses erreurs, les facteurs comportementaux ou humains ont été étudiés de près et la plupart des autorités aéronautiques ont rendu les formations à ces facteurs obligatoires. Ainsi « la hiérarchie et les pilotes sont invités à réfléchir aux styles de comportement, aux obstacles à la communication, aux effets pervers de l’autorité, à l’écoute, au retour d’expérience, à l’autosatisfaction, aux erreurs de représentation. On demande aux acteurs de connaître les risques liés à l’affirmation de soi, à la résolution des conflits, aux attitudes dangereuses ou quelles sont les formes légitimes de désaccords » par exemple. Le sujet est immense et mériterait un ouvrage à lui tout seul. Mais c’est marrant, les militaires s’intéressent à ça, sans tabous ! Et les médecins ?

5 – L’interaction éducative permanente

Dans les sous marins nucléaires, officiers et membres d’équipage sont en permanence occupés à des tâches de formation à tel point que toute cette activité à bord est appelée l’université. Elle participe à la création d’une solidarité et d’une collégialité sans égale. Aucun sous-marinier ne voudrait échanger son poste. On les comprend. Apprendre en permanence en interaction avec les professionnels de son secteur quel rêve. Je suis sûr qu’il y a des services hospitaliers ou des maisons médicales où les choses se passent comme cela. Mais combien ?

6 – L’avocat du diable et le droit de veto

Cela se passe dans la marine nucléaire américaine. Les deux éléments saillants de la prise de décision y sont la valorisation du rôle de l’avocat du diable et le droit de veto.

« Le rôle de l’avocat du diable est un processus : Il s’agit d’amener les cadres à produire des arguments clairs et puissants aussi bien en faveur des avis opposés qu’en faveur de leurs propres avis. Les désaccords sont encouragés de telle façon que tous les aspects d’un problème soient explorés. Même en l’absence de désaccord, le management a l’obligation de susciter un débat contradictoire. » Mais où est passé Monsieur Je-sais-tout-mieux-que-tout-le-monde ?

Toujours dans la marine nucléaire américaine, les directeurs de projet ont l’obligation d’obtenir l’accord de directions techniques indépendantes, pas simplement de leur demander leur avis. Obtenir leur accord ou leur veto. Ciel, où est passée Monsieur Je-décide-moi-monsieur ?

Il ne s’agit pas ici de dénigrer la pratique médicale que je m’apprête à reprendre prochainement. Cela ne m’intéresse pas. Mais plutôt de montrer que l’on peut faire mieux, susciter la réflexion et peut-être le débat. La difficulté de la définition et de la gestion de l’erreur en médecine est renforcée par le fait qu’il ne s’agit pas d’une science exacte. Pour certains, prescrire les vaccins hexavalents est une erreur, pour d’autres prescrire les vaccins pentavalents est une erreur (pour prendre un exemple simple).

La pratique individuelle renforce les difficultés d’évaluation des erreurs, la prise de recul et l’échange étant alors quasi impossibles. Une initiative comme Rex-Soignant, un blog où l’on vient raconter anonymement ses erreurs pour les partager, ne fonctionne pas (dernier billet en juin 2014 !). Les groupes de pair seraient sans aucun doute un bon endroit pour travailler cette question. Je ne sais pas ce qui s’y passe, par définition.

Ce que je constate c’est que le sujet de l’erreur en médecine n’est pas abordé de front en tant que vrai sujet alors même qu’il est immense, quotidien et génère un nombre considérable de pathologies, handicaps, décès (cf l’infographie plus haut). On peut l’attribuer à la suffisance et à l’arrogance du corps médical et fermer le ban. Cela ne me convient pas. Je pense que les quelques exemples ci-dessus montrent que la marge d’amélioration, comme on dit, est immense mais aussi qu’il y a un vrai sujet qui se travaille, se construit et pas juste un problème sans solution.

Alors on en reste à une approche moyenâgeuse ou on essaye que ça change ?

PS. Je poursuivrai sur le sujet dans un prochain billet avec les approches sur la sécurisation en médecine de pointe. Puis peut-être avec une réflexion sur l’erreur en médecine générale, mais je suis un peu jeune sur le sujet. En attendant le livre de Christian Morel est une source inépuisable de réflexion pour celles et ceux qui ont envie de progresser.

Note
Un court extrait de l’article « A New, Evidence-based Estimate of Patient Harms Associated with Hospital Care » dont est tiré l’estimation de 400.000 décès liés aux erreurs médicales aux USA

Le terme générique employé est celui de « preventable adverse events » (PAEs).

The cause of PAEs in hospitals may be separated into these categories:
Errors of commission,
Errors of omission,
Errors of communication,
Errors of context,
and Diagnostic errors

There was much debate after the IOM report about the accuracy of its estimates. In a sense, it does not matter whether the deaths of 100,000, 200,000 or 400,000 Americans each year are associated with PAEs in hospitals. Any of the estimates demands assertive action on the part of providers, legislators, and people who will one day become patients. Yet, the action and progress on patient safety is frustratingly slow; however, one must hope that the present, evidence-based estimate of 400,000+ deaths per year will foster an outcry for overdue changes and increased vigilance in medical care to address the problem of harm to patients who come to a hospital seeking only to be healed.