A quoi sert la médecine ?

Cela commence par un tweet, cette fois ci- de @docdu16 qui me donne une forte envie de lire The Role of Medicine: Dream, Mirage or Nemesis de Thomas McKeown (1976). Étant donné son titre et le démarrage au 1er décembre prochain de mon DIU de reconversion à la médecine générale, inutile de vous dire que le sujet me happe. Et progressivement m’éclaire. Au point que je ne puis que recommander à tout médecin généraliste ou étudiant en médecine qui se pose des questions existentielles (ce qui devrait logiquement représenter 100% des populations concernées…) la lecture de cet ouvrage – que l’on peut télécharger ici gratuitement. En attendant je vous en livre un résumé subjectif en français. Entre guillemets des extraits traduits par ma pomme.

1- Les facteurs environnementaux sont les déterminants les plus importants de la santé

L’approche de la médecine est essentiellement mécaniste : « Il est supposé que le corps peut être regardé comme une machine dont la protection contre les maladies et ses effets dépend avant tout d’une intervention interne. »

Or cette approche mécaniste est battue en brèche par l’étude historique de l’amélioration de la santé en Grande-Bretagne : « (du milieu du 18ème siècle au milieu du 20ème) l’avance dans la santé ne fut pas liée aux interventions dans le fonctionnement de la machine mais à l’amélioration des conditions dans lesquelles elle opérait. »

Et donc : « Sous des conditions favorables, la grande majorité des gens nés vivants restent en bonne santé. Bien que les influences post-natales (les conditions dans lesquelles opère la machine) soient de type très varié, il est suggéré que c’est à partir de leur identification et de leur contrôle que les espoirs pour la solution des problèmes des maladies courantes se place. Cette approche peut être couronné de succès même si on n’en connait pas les mécanismes ».

Sur le rôle négligeable de la médecine mécaniste au plan historique par rapport aux facteurs environnementaux, l’exemple de la diminution considérable de la mortalité liée à la tuberculose est frappant : la baisse de mortalité date de bien avant l’arrivée de la vaccination par le BCG ou de la streptomycine. Ce n’est pas la partie mécaniste de la médecine qui a permis cette amélioration mais bien les facteurs environnementaux, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles opère la machine humaine,

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Je vous passe la discussion sur la recherche des facteurs environnementaux ayant entraîné cette baisse : les historiens ont beaucoup travaillé après McKeown et ont invalidé sa thèse que l’amélioration de l’alimentation était le principal facteur explicatif. Les déterminants ont en fait été multiples, (meilleure alimentation bien sûr mais aussi meilleure hygiène, eau potable, lait stérilisé, baisse de la contamination par baisse de la prévalence, évolution de la pathogénicité du BK, etc.) y compris des évolutions dans l’approche diagnostique et sans que l’on retrouve un facteur dominant clair.

Mais il y a consensus sur un point capital : ce sont bien les conditions dans lesquelles opère la machine humaine qui ont changé et amené une baisse considérable de la morbi-mortalité sur cette période et pas l’approche mécaniste de la médecine (1).

Partant de là, la vision de McKeown est que malgré les progrès de la médecine mécaniste, ces facteurs environnementaux généraux et comportementaux resteront prédominant pour déterminer l’état de santé des gens. Même si ces facteurs évoluent.

« Le principal changement est que, dans les pays développés, les influences comportementales sont désormais plus importantes que les influences environnementales (avec notamment la diminution des infections). Et les maladies déterminées par le comportement humain ne peuvent être contrôlées que par la modification de ce dernier ».

Et sa conclusion, sur l’importance des facteurs environnementaux : « Ceux suffisamment chanceux pour être nés sans problème congénital significatif ni handicap resteront en bonne santé si trois conditions sont réunies : ils doivent être correctement nourris; ils doivent être protégés d’un vaste panel de risques environnementaux; ils ne doivent pas s’éloigner trop des schémas de comportement personnel selon lesquels l’Homme a évolué, par exemple en fumant, en mangeant trop ou en ayant une vie sédentaire. La contribution qui peut être attendue des mesures de soins médical personnel à la prévention des maladies et au décès prématuré figurent en troisième place par rapport à ces influences prédominantes de l’environnement et du comportement. »

Et il enfonce le clou :

« L’objectif d’une santé améliorée est largement illusoire puisqu’avec les changements des conditions de vie on doit s’attendre à voir les problèmes de santé changer mais pas disparaître ». Au moment où l’on prête à l’épidémie d’obésité la responsabilité de 3,3 millions de morts par an dans le monde (2) on reste impressionné par sa vision.

Quel rôle pour les médecins sur les facteurs environnementaux et comportementaux ?

« Il est supposé que nous sommes malades en remis en bonne santé alors qu’il est plus réaliste de dire que nous sommes en bonne santé et sommes rendus malades. Peu de personnes pensent qu’elles portent elles-mêmes une énorme responsabilité pour leur propre santé et les ressources considérables mises en œuvre par les pays développés pour la santé visent essentiellement à traiter les maladies et, dans une moindre mesure, à les prévenir individuellement par la vaccination. »

« Primo, comme les médecins sont plus concernés que tout autre groupe professionnel par la santé humaine, il devraient faire leur affaire de savoir et de faire savoir l’importance relative des influences majeures sur la santé. »

« Secundo, la contribution médicale aux champs de la nutrition et de la santé environnementale, dans lequel les mesures sont pour l’essentiel non personnelles, devrait se situer dans les mains de spécialistes qui devraient être formés à ce sujet. »

« Tertio, la responsabilité qui retombe sur les médecins qui s’occupent de soins personnels est celle d’influencer le comportement de leurs patients pour leur santé. Ayant bien assimilé les déterminants de la santé, le médecin peut se dire avec beaucoup de justesse : en poursuivant l’objectif essentiel qui est de prévenir la maladie et la mort prématurée, je peux souvent faire plus pour mes patients, particulièrement pour les jeunes, en les persuadant de modifier leurs habitudes qu’avec quelque médication que je puisse offrir. »

Ce qui n’est pas forcément simple :

« Nos habitudes commencent communément par des plaisirs dont nous n’avons aucun besoin et se terminent en besoins qui n’apportent plus aucun plaisir. »

2 – l’importance croissante des soins d’accompagnement

La deuxième observation essentielle de McKeown est celle de l’importance de plus en plus énorme, en 1976, des problèmes médicaux liés à l’âge, problèmes qui sont d’une nature spécifique.

« Il y a clairement un champ considérable pour la prévention des maladies du dernier type (bronchite chronique, maladie coronarienne, certains cancers) et pour leur correction ou leur guérison par des traitements médicaux. Mais quoiqu’il en soit, on ne peut pas s’attendre à ce que l’augmentation de l’espérance de vie soit importante et les personnes âgées qui survivront au traitement (d’un cancer ou d’une maladie cardiaque par exemple) ne seront pas en général remis en pleine santé. De ce fait, une proportion large et croissante du travail médical pour les personnes âgées consistera en des soins prolongés à des patients diminués au plan intellectuel et/ou physique ».

Autrement dit :

« Le diagnostic d’un cancer incurable est nécessaire, mais cela ne satisfait qu’une quantité très restreinte des besoins du patient pour les mois ou les années qui vont suivre. Et bien que la plupart des gens finissent leur vie sans période d’incapacité, nombreux sont ceux qui apprécient l’attention médicale dans cette dernière phase. Et particulièrement leurs proches. »

« Les médecin doivent considérer que les soins prolongés et terminaux sont une partie aussi importante et gratifiante de leur activité qui ne devrait pas être transmise à d’autres personnes ou institutions. Pour les patients et leur proches, la contribution médicale à la fin de la vie est aussi significative que les tentatives faites à un stade plus précoce pour la protéger ou la prolonger. »

3 – Conclusion

« Dans le sens le plus large, le rôle médical se situe dans 3 secteurs : la prévention des maladies au travers de mesures personnelles et non personnelles; le soins aux malades avec les investigations et les traitements; et le soins aux malades qui ne requièrent pas d’intervention complexe. L’intérêt médical se concentre sur le deuxième secteur et dans une moindre mesure sur la prévention par immunisation. Les deux autres secteurs sont relativement négligés. »

« Le déterminant immédiat de l’intérêt traditionnel est la demande aigüe de soins du patient et le souhait du médecin d’y répondre. Mais cette approche repose sur un modèle conceptuel dont le fondement est que la santé dépend principalement  de l’intervention personnelle basée sur la compréhension de la structure et du fonctionnement du corps et du mécanisme des maladies. Ce concept n’est pas en accord avec l’expérience passée et l’examen des déterminants de la santé humaine suggère que le même genre d’influence risque d’exister dans le futur avec, dans les pays développés, une prédominance des facteurs comportementaux. »

J’ai mis en référence un article du Lancet (2) sur une vaste étude des causes de maladies au sens McKeownien du terme si je puis l’exprimer ainsi. J’y reviendrai sans doute dans un prochain billet. Mais la lecture de cet article et notamment celle des tableaux 3 et 4 montre que la vision de McKeown sur les déterminants environnementaux et comportementaux dans la santé est complètement visionnaire.

Et pour synthétiser :

« Ce dont il y a besoin est un ajustement de l’équilibre de l’intérêt et des ressources entre les 3 domaines de services vus plus haut. Il est essentiel de donner suffisamment d’attention aux influences personnelles et non personnelles qui sont les déterminants majeurs de la santé : à la nourriture et à l’environnement qui devraient être le fait de spécialistes et au comportement personnel qui devrait concerner tous les médecins praticiens. Dans le domaine du soin personnel, la réalisation du diagnostic et du traitement des situations aiguës ne devraient être regardés que comme le commencement d’une responsabilité qui continuera aussi longtemps que le patient ne sera pas bien. Et les distinctions arbitraires entre différents types de patients (aigu, chronique, mental, subnormal, etc.) devraient disparaître. »

Le rôle de la médecine peut in fine se concevoir comme ceci : « nous assister à venir au monde en sécurité et à le quitter confortablement et, pendant la vie, protéger les bien-portants et soigner les malades et les invalides. »

La controverse au sujet des travaux de McKeown ne retire rien à sa clairvoyance sur l’évolution de la santé et de la médecine ni à son humanisme profond.

1 – The McKeown Thesis: A Historical Controversy and Its Enduring Influence. Am J Public Health

2 – A comparative risk assessment of burden of disease and injury attributable to 67 risk factors and risk factor clusters in 21 regions, 1990—2010: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2010 – The Lancet

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