La novlangue de bigpharma

IMG_0291Les noms commerciaux des médicaments sont de toute évidence l’objet d’études savantes (études marketing s’entend) car leur influence sur la perception par les médecins en dépend. Dans le genre, Aerius (Desloratadine) est une merveilleuse trouvaille pour la rhinite allergique – alors même qu’il n’apporte rien de nouveau par rapport à la Loratadine (La Revue Prescrire Décembre 2011/Tome 31 N°338 p 906, Desloratadine, juste un métabolite de la Loratadine). Pourtant peu après son lancement dans les années 2000, il caracole en tête des ventes des antihistaminiques loin devant la Clarityne (qu’il remplace pour cause d’obsolescence de brevet) et de ses génériques. Bien que l’effet soit le même, il est si facile de retenir que l’Aerius est plus efficace que la Loratadine.

Mais on est là dans des dénominations de fantaisie, domaine où l’on s’attend bien à trouver une haute dose de marketing.

Dans le celui des DCI, les noms sont sans doute assez bien pensés mais cela ne saute pas aux yeux et leur allure “scientifique” les rend assez rébarbatifs ce qui favorise sans doute la prescription en noms de fantaisie. Sinon il n’y aurait aucune raison que la Desloratadine (Aerius) soit beaucoup plus prescrite que la Loratadine.

Mais c’est là où l’on s’y attendrait probablement le moins, dans la dénomination des classes thérapeutiques, que les effets peuvent être les plus insidieux, que le marketing, sans qu’on y prête attention, peut se glisser habilement, créant une novlangue très efficace. Pour l’illustrer, je vous ai traduit ci-après un extrait de Deadly Psychiatry and Organised Denial de Peter Gøtzsche (Psychiatrie mortelle et déni organisé non traduit en français, mais vous avez de la chance bande de veinards je bosse pour vous). On est au début du chapitre 11.

Appeler les médicaments psychiatriques des “anti”-quelque chose est un abus de langage

Les tromperies en psychiatrie s’étendent aussi aux noms de médicaments (nombre de ces tromperies ont été détaillées dans les 10 chapitres précédents, NDT). Il est cohérent de parler d’antibiotiques dans la mesure où ces médicaments soignent les infections en tuant ou en inhibant la croissance de micro-organismes. A contrario, une guérison chimique d’une maladie mentale cela n’existe pas. Les antipsychotiques ne guérissent pas la psychose, les antidépresseurs ne guérissent pas la dépression et les anxiolytiques ne guérissent pas les troubles anxieux. En fait ces médicaments peuvent même être la cause de psychoses, de dépressions ou de troubles anxieux, particulièrement si les gens les prennent à long terme ou s’il essayent de les arrêter.

Ces médicaments ne sont pas “anti” une certaine maladie. Ils ne nous guérissent pas mais ils nous transforment en produisant un large panel d’effets chez les gens (Unrecognised Facts about Modern Psychiatric Practice ← pdf en accès libre très intéressant, NDT), juste comme le font les drogues illégales. Et ils ne sont en aucune manière ciblés bien que leur dénomination suggère qu’ils le soient. Par exemple il n’y a rien de sélectif dans les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRSs). Ce terme a été inventé par SmithKline Beecham pour apporter à la Paroxétine un avantage par rapport aux autres ISRSs mais il a finalement été adopté par tout le monde (Healy, Let them eat Prozac). Il existe des récepteurs de la sérotonine partout dans le corps et les médicaments ont de nombreux autres effets que d’accroître la sérotonine . Ils peuvent par exemple affecter la transmission dopaminergique ou adrénergique et avoir des effets anticholinergiques (Rosen, Effects of SSRIs on sexual function: a critical review). Ces médicaments ne ciblent pas la dépression et et possèdent de nombreux effets similaires à ceux d’autres substances psycho-actives comme l’alcool ou les benzodiazépines. Il n’est donc pas surprenant qu’une revue Cochrane ait trouvé que l’alprazolam, une vieille benzodiazépine, était plus efficace qu’un placebo sur la dépression et aussi efficace que les antidépresseurs tricycliques (Van Marwijk, Alprazolam for depression). Savoir si les antidépresseurs possèdent un quelconque effet sur la dépression est un autre sujet, et ils n’en ont probablement pas (il y a un long chapitre sur le sujet dans le livre, je l’ai évoqué ici, NDT). Certains des nombreux effets non spécifiques sont appelés “bénéfices” par les laboratoires – bien que puisse être contesté le fait que les patients en tirent réellement “bénéfice” – et les autres sont appelés “effets secondaires”. “Effets secondaires” est un terme marketing utilisé pour sous-entendre qu’un problème est mineur, bien que ces effets soient souvent les plus importants, observés chez la plupart des patients, comme par exemple les troubles sexuels chez les patients prenant des ISRSs ou la sédation excessive avec les antipsychotiques. La distinction est complètement arbitraire et par exemple le retard à l’éjaculation provoqué par les ISRSs peut constituer un bénéfice pour ceux qui souffrent d’éjaculation précoce mais être nuisible pour les autres – d’autant que les ISRSs peuvent parfois inhiber toute éjaculation.

Nous en savons long sur la manière dont dont les médicaments interagissent avec les récepteurs dans le cerveau et influencent les neurotransmetteurs mais malgré des effets biochimiques différents au niveau moléculaire ils fonctionnent peu ou prou de la même manière, soit en supprimant les réactions émotionnelles, rendant les gens indifférents et moins attentifs aux perturbations de leur existence, soit en les stimulant (Whitaker, Anatomy of an Epidemic). Il est notable que les psychotropes sont développés à partir d’expériences menées sur le rat et que les molécules sélectionnées sont celles qui perturbent le fonctionnement normal de son cerveau (Breggin, Medication madness).

Puisque les médicaments psychiatriques – juste comme l’alcool, la marijuana, l’héroïne ou d’autres substances addictives – altèrent de manière significative la personnalité des gens et rend significativement plus difficile pour eux de mener une vie sociale normale et d’apprendre à affronter les difficultés de l’existence, il serait plus adéquat, si l’on insiste pour utiliser le préfixe “anti”, de les appeler des pilules “antipersonnalité” ou des pilules “antisociales” dans la mesure ou de nombreux patients sont isolés socialement et s’intéressent moins à eux et aux autres. les ISRSs par exemple réduisent l’identification des expressions de la peur et de l’angoisse sur le visage (Harmer, Increased positive versus negative affective perception and memory) et certains patients disent que c’est comme s’ils vivaient sous une cloche.

Mon “anti”-terme préféré pour les antidépresseurs serait “antisexe” dans la mesure où leur effet principal est de ruiner la vie sexuelle des gens. Comme d’autres médicaments psychiatriques comme les médicaments contre les TDAH ou les antipsychotiques peuvent également altérer la vie sexuelle des gens, nous pourrions appeler l’ensemble de ces médicaments des antisexes ou des antivies car ils empêchent les gens d’avoir une vie complète.

J’appellerais volontiers les antipsychotiques des “antihumains” dans la mesure ou ils altèrent la possibilité de vivre une vie normale et enrichissante, la capacité de lire, de penser, de se concentrer, d’être créatif, de ressentir et d’avoir une vie sexuelle. Il ne reste pas grand chose aux gens sous antipsychotiques et certains dans cette situation se décrivent comme un zombie ou un légume. Il n’est pas surprenant que ces patients tentent parfois, sans espoir devant eux, de se suicider. On entend souvent que la schizophrénie accroît fortement le risque de suicide mais jamais du niveau de risque suicidaire des schizophrènes qui ont délibérément refusé de prendre des antipsychotiques.

Addendum

Nous sommes en fin de livre et Gøtzsche se lâche. Une partie de ce qu’il dit fait référence aux chapitres précédents et peut sembler manquer de références. Mais sa digression sur les appellations est plus qu’intéressante et je trouve important qu’elle cogne. Parce que de l’autre côté ça cogne dur aussi, avec beaucoup de moyens, du DSM V à BigPharma les spécialistes de la novlangue ont des moyens illimités.

On pourra lire le très intéressant blog de François-Bernard Huyghes sur Langue et influence

 

6 réflexions au sujet de « La novlangue de bigpharma »

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